Les deux enseignants qui ont aspergé l’ancien ministre de l’Education nationale de crème chantilly ce samedi 4 juin à Montargis dénoncent la disproportion des poursuites à leur encontre. Ils expliquent leur action à travers un compte Twitter.
"Ca nous est venu comme une envie d’acheter des fraises", plaisantent les deux enseignants, amis de longue date. La boutade n’en est pas vraiment une puisqu’elle renvoie à une phrase prononcée par Sibeth Ndiaye le 25 mars 2020. En plein premier confinement et alors que les établissements scolaires sont fermés depuis moins de 10 jours, l'ancienne porte-parole du gouvernement a tenté de justifier un appel à volontaires pour venir en aide aux agriculteurs privés de main d’œuvre : "Nous n’entendons pas demander à un enseignant, qui aujourd’hui ne travaille pas compte tenu de la fermeture des écoles, de traverser toute la France pour aller récolter des fraises", avait-elle alors lâché.
La phrase avait provoqué la colère des enseignants qui s’étaient émus que la porte-parole ignore la mission de continuité pédagogique mise en place par son gouvernement, à savoir la poursuite des enseignements à distance, l'envoi et la correction de devoirs, le suivi des élèves et même l'accueil des enfants de personnels soignants.
Alors, comme "un clin d’œil" à cette formule maladroite, Christophe explique que "comme c’est la période des fraises et qu’il y avait le marché de Montargis, on s’est dit que ce serait sympa d’y ajouter de la chantilly."
"On n’a proféré aucune insulte. On est restés très éloignés."
Les deux collègues voient arriver leur ancien ministre de tutelle et candidat aux législatives qui vient faire campagne dans les allées du marché. Dans les vidéos partagées sur les réseaux sociaux, on voit alors Christophe et Olivier asperger Jean-Michel Blanquer de crème blanche sucrée avant de scander pour l’un "La députation est une chose sérieuse ! " et pour l’autre "Education en déroute, Jean-Michel Blanqueroute !". "L’objectif, ce n’était pas d’avoir un contact physique avec lui, mais plutôt de faire "une projection". On n’a proféré aucune insulte. On est restés très éloignés et quelques flocons de chantilly sont arrivés sur sa casquette."
Christophe dit avoir ensuite été ceinturé par un homme qui lui apprendra plus tard qu’il est policier en civil. "Je lui ai dit que c’était une blague, qu’il n’y avait rien du tout." Olivier a été lui pris à partie par 6 ou 7 personnes, visiblement des militants du candidat qui le bloquent dans le renfoncement de l’entrée d’une banque : "On a échangé avec eux et là, il y avait une agressivité de leur part, des tutoiements. Olivier a eu sa chemise déchirée."
Plus tard, tous deux sont emmenés au commissariat : "Les policiers ont été très gentils. Ils nous ont dit d’attendre là, que ça n’irait pas très loin. Mais on a appris que monsieur Blanquer avait décidé de porter plainte." L’audition se transforme alors en garde à vue. Arrivés vers midi, les deux enseignants n’en sortiront qu’à 21h, soit 8 heures plus tard avec une convocation à comparaître devant le tribunal judiciaire de Montargis.
Dénoncer le parachutage de Jean-Michel Blanquer et les difficultés dans l’éducation nationale.
Ce qui a convaincu ces enseignants de chahuter l’ancien ministre, c’est le parachutage de ce dernier sur leur territoire. "Il ambitionne d’être le représentant de notre circonscription, il est au courant des difficultés que rencontrent les enseignants, mais il ne connait absolument pas le territoire qu’il convoite", explique Christophe. Agés de 51 et 57 ans, lui et Olivier enseignent depuis 20 ans dans le secondaire en REP, réseau d’éducation prioritaire. "Le but de cette action, c’est de parler de l’éducation nationale. On ne balance pas de la chantilly sur un ex-ministre juste parce qu’on veut faire une blague potache. On trouve ça indécent de se présenter avec le bilan qu’il a," justifie Olivier.
On nous reproche d’attenter à la démocratie. On nous explique que la démocratie, c’est des arguments. Nous on essaie de démontrer que la démocratie ce n’est pas le problème des élèves. L’éducation n’a rien fait pour eux. On ne crée pas des démocrates, on crée des bombes.
Olivier, enseignant en REP
"ProfsChantillyonneurs" : un compte Twitter pour expliquer et dénoncer la démesure
Christophe et Olivier ne s’attendaient ni à un dépôt de plainte, ni à un tel retentissement médiatique pour une action qu’ils estiment non-violente. "Jeter de la chantilly sur quelqu’un n’a jamais fait de mal, sauf à l’égo", réplique Christophe. Alors pour répondre à leurs détracteurs, donner leur version des faits et expliquer leurs motivations, ils ont créé ce lundi 6 juin un compte twitter. Baptisé "ProfsChantillyonneurs", la page compte déjà presque 1500 abonnés en une journée.
Ils y ont d’abord partagé quelques "mèmes", ces détournements humoristiques qui deviennent viraux, pour dénoncer "la démesure des poursuites" à leur encontre. "Des gens se sont amusés de l’image et c’est vrai que quand on voit notre pauvre projection de chantilly avec ceux qui se sont fait gazer gare de l’est ou au Stade de France, c’est intéressant de voir la disproportion." explique Christophe.
Mais comme ils le disent, le but de ce compte c'est aussi "d’expliquer qu’on n’est pas juste deux rigolos, même si le parachutage de monsieur Blanquer dans le Loiret a un côté clownesque." Alors dans une première vidéo, ils mettent en parallèle les accusations dont ils font l’objet avec la violence dont serait victime le système scolaire : "La violence, c’est 12% d’élèves qui arrivent en 6eme et ne sont pas capables de lire ou de comprendre un texte", dénonce en premier lieu la vidéo avant de poursuivre sur le décrochage scolaire, le manque de débouchés, le harcèlement scolaire, les agressions des enseignants, le manque de personnel, l’embauche de personnel non-formé … "Violente la chantilly ?" concluent-ils, "l’éducation nationale est en chute libre, mais monsieur Blanquer a, lui, son parachute pour les législatives à Montargis."
Christophe et Olivier ont reconnu les faits devant les enquêteurs. Ils comparaîtront le 4 juillet prochain devant le tribunal judiciaire de Montargis au cours d’une audience sur reconnaissance préalable de culpabilité, aussi appelée plaider-coupable. Poursuivis pour violences en réunion n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail, il encourent jusqu’à 3 ans d’emprisonnement.