Alors que les fouilles archéologiques sur le chantier de l’ancien hôpital Porte Madeleine à Orléans prennent fin, les scientifiques s’attellent à présent à décrypter les 21 tablettes de malédiction exhumées. On y retrouve des textes d'un intérêt scientifique majeur... car certains sont rédigés en langue gauloise
Depuis fin janvier 2022, les archéologues de la ville d’Orléans ont retroussé leurs manches et leur matériel de terrain pour accompagner la réhabilitation de l'ancien hôpital Porte Madeleine. La parcelle, qui doit accueillir la nouvelle université Porte Madeleine en 2026, n’a pas fini de révéler tous ses secrets. Alors que les fouilles se concluent à la fin du mois de janvier, une nécropole inédite par sa taille et sa conservation a pu être découverte ces derniers mois. Avec elle, c’est une vingtaine de tablettes de malédiction datant de la fin du 1er siècle après Jesus-Christ, qui a été mise au jour et que les archéologues s’efforcent à présent de décoder.
Ils sont fous ces gaulois
Ces tablettes de malédiction ne sont pas chose rare, comme l’atteste Matthieu Loeuillet, archéo-anthropologue au pôle archéologie de la ville d’Orléans : “Ce n’est pas une pratique propre aux Gaulois mais répandue dans le monde romain, dès la Grèce Antique”. Avec plus de quatre-vingts sépultures exhumées, vingt et une tablettes, au total, ont été extraites de la nécropole. Enterrées aux côtés des défunts, ces tablettes de défixion qui visent généralement des personnes bien vivantes, prennent la forme d'une prière adressée aux divinités souterraines.
Quoi de mieux pour faire passer le message qu’une tombe où le mort va servir de messager jusqu’aux divinités infernales.
Matthieu Loeuillet, archéo-anthropologue au pôle archéologie de la ville d’Orléans
Ce qui a surpris les archéologues du site, c’est la bonne qualité de conservation dans laquelle ces tablettes ont été retrouvées. Ces tablettes sont des plaques de plomb, longues d'une vingtaine de centimètres, et souvent repliées sur elles-mêmes. Leur manipulation, après des siècles sous terre, est délicate. Toutes les précautions sont prises afin de ne pas les endommager, elles, et les secrets qu’elles contiennent.
Une démarche minutieuse
Le protocole que doit suivre Julien courtois, archéologue pour la ville d’Orléans, et son équipe, pour manipuler ces tablettes est millimétré : “La priorité c’est de s’assurer que les tablettes ne se dégradent pas et qu’elles soient maintenues dans les conditions de conservation les plus adéquates possible. On peut faire appel à une restauratrice pour s’assurer de cela” informe-t-il. Ensuite, vient l’étape de la tomographie, une radiographie en 3 dimensions qui permet aux archéologues d’extraire les informations essentielles de la tablette sans même avoir à la manipuler. Une fois dépliée, l’heure est à la "RTI" (Reflectance Transformation Imaging), “une technique d’imagerie qui permet de prendre des photographies avec diverses projections de lumières différentes” précise Julien Courtois. Cela permet de déceler les incisions extrêmement fines qui ont été faites dans le métal, et donc des caractères et des mots, qui seraient autrement presque invisible à l’œil nu. Cette technologie, qui a seulement une dizaine d’années a permis de faciliter le travail des scientifiques mais les obstacles à la bonne compréhension de ces tablettes sont encore nombreux.
Une langue pas si morte que ça
Au-delà de l’aspect technique, l’autre enjeu est d’arriver à déchiffrer les inscriptions en langue gauloise qui sont présentes sur certaines des tablettes de malédiction. “Le gaulois est une langue qui a complètement disparu et dont nous avons peu de traces écrites aujourd’hui. précise Julien Courtois. Pour le déchiffrer nous devons faire des parallèles avec des langues qui sont des lointaines cousines, comme le vieux breton, le vieux gaélique, pour pouvoir trouver des points de comparaison et de similarité.”
Sur les tablettes de malédictions retrouvées il y a une série d’une quinzaine de noms à consonnance romaine et latine. La seule chose que l’on ne sait pas encore c’est la raison de cette malédiction.
Julien courtois, archéologue pour la ville d’Orléans
Une autre piste d’exploration vient d’autres écrits en gaulois qui ont été retrouvés ailleurs en France, et qui font un bon point de comparaison. “Sur une de ces tablettes, il y a une formule magique qui est très similaire à celle retrouvée sur une autre tablette en France. On voit qu’à plusieurs centaines de kilomètres de distance on emploie la langue gauloise pour des usages qui sont quasiment les mêmes” conclut l’archéologue orléanais.
Malgré ces récents progrès scientifiques et linguistiques, Matthieu Loeuillet et Julien Courtois l’attestent, il faudra encore des années pour faire parler la nécropole, ses tombes et ses nombreuses tablettes de malédiction.
Article écrit par Noah Gaume, propos recueillis par Matthieu Jarry