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REPLAY. Faux accusés, faux avocats, faux juges : quand les citoyens jouent la justice le temps d'un procès

Lenteur, décisions incomprises, engorgements des tribunaux, jamais la défiance n’aura été aussi grande entre la justice et les citoyens. Pour y remédier, l'institution judicaire organise des procès fictifs, une fois dans l’année, à l’occasion de la Nuit du Droit.

Ce mercredi 4 octobre dans la salle des assises du tribunal judiciaire d'Orléans se tient un procès pas tout à fait comme les autres. Une femme est jugée pour le meurtre de son mari violent. Près d'elle se tient l'avocate de la défense, en face il y a l'avocat général, et bien sûr la cour avec sa présidente, ses assesseurs et ses jurés tirés au sort. Jusque-là, un procès comme on peut en voir tant d'autres dans les tribunaux français, sauf que dans celui-ci, rien n'est vrai.

C'est le lieu de toutes les émotions (...) mais c'est le lieu où il ne faut pas se laisser guider par ses émotions.

L'accusée, dans le box n'a commis aucun crime, d'ailleurs son avocate n'en est pas une et la présidente n'avait jusque-là jamais porté la robe rouge. Tous sont de simples citoyens qui, il y a quelques semaines encore, ne connaissaient rien de la justice, mais sont animés d'une même envie : la découvrir de l'intérieur.

Un lieu où les émotions n'ont pas de place

Durant tout l'été, la Cour d'Appel d'Orléans a procédé à un appel à candidatures pour la participation à ce procès fictif. Quinze volontaires ont été sélectionnés. Assistés par de réels professionnels de la justice, ils vont préparer pendant un mois le scénario des débats tiré du film Arrêtez-moi avec Sophie Marceau et Miou-Miou. Si l'exercice peut prendre l'allure d'une simple pièce de théâtre amateur, les choses ne sont pas si simples.

Dans la vie, les magistrats d'un jour sont étudiants, chefs d'entreprise, sapeurs-pompiers, retraités… Donc pour la plupart très éloignés du milieu judiciaire. Ils devront pourtant embrasser les rôles d'accusé, de président de cour d'assises, d'expert médical ou d'avocat général. Mais plus que la robe ou le rôle de justiciable, c'est tout le poids d'un procès d'assises qu'ils vont devoir réussir à encaisser.

"C'est le lieu de toutes les émotions et souvent les plus fortes, mais c'est le lieu où il ne faut pas se laisser guider par ses émotions", prévient Julien Simon-Delcros, le Président du tribunal judiciaire d'Orléans lors de la première réunion de préparation.

67% des Français considèrent la justice comme trop éloignée d'eux

L'objectif de ce procès fictif est de réconcilier les citoyens avec leur justice en leur proposant une immersion à la cour d'assises, là où sont jugés les crimes les plus graves. "Je voulais vraiment qu’il y ait des gens qui s’immergent et qui comprennent. Et c’est important pour moi de montrer que cette institution, elle peut aller au-delà de la robe noire. Que derrière, on a des personnes qui veulent rendre une justice vraiment juste et qui mettent vraiment toutes leurs tripes dans rendre cette justice", explique Delphine Bocchino, l'organisatrice du procès.

L'institution judiciaire est en effet très méconnue du grand public. Selon un sondage CSA  publié en septembre 2022, 93 % des Français la trouvent trop lente, 69% l’estiment opaque, 68% laxiste, et 67% trop éloignée d’eux. Une défiance également constatée par le garde des Sceaux lors des états généraux de la justice en 2021. Dès lors, le ministre développe des initiatives pour mieux faire connaître la justice. Depuis le 22 avril 2022, la loi autorise par exemple les caméras à pénétrer dans les prétoires.

Le Conseil Constitutionnel, lui, a pris les devants en créant en 2017 un rendez-vous entre les professionnels du droit et les citoyens: la "Nuit du droit". Durant la soirée du 4 octobre, les tribunaux de France s’ouvrent au public au cours de débats, d’expositions, de concours d'éloquence et de procès fictifs.

On découvre la complexité du fonctionnement judicaire mais aussi la complexité de la vie. Les choses ne sont pas blanches ou noires. Il y a beaucoup de teintes entre le blanc et le noir et c'est ça que découvrent nos concitoyens qui sont précipités dans la fosse de la cour d'assises.

Denis Chausserie-Laprée - Procureur général à la Cour d'Appel d'Orléans.

De faux procès joués parfois par des acteurs ou, comme à Orléans, par des citoyens désireux de découvrir l’institution judiciaire. "On rend la justice au nom du peuple français et c'est primordial que ce peuple aussi acquière une culture juridique suffisante lui permettant de comprendre les mécanismes de notre institution", explique Denis Chausserie-Laprée, Procureur général à la Cour d'Appel d'Orléans.

"Participer à ce procès c’est comme un défi."

Parmi les 15 personnes sélectionnées pour participer à cette édition 2023, Il y a Julie, 45 ans, formatrice en sauvetage et secourisme du travail. Elle a accepté de prendre le rôle le plus éprouvant de ce procès: celui de l'accusée.

Julie va donc devoir se mettre dans la peau de Sophie Lérré dans le film, cette femme victime de violences conjugales qui a tué son mari en le poussant du balcon de leur appartement. "Ça me ramène à moi, à ce que j’ai pu vivre avant pendant mes 20 années de mariage ou j’ai été victime de violences conjugales psychologiques. Du coup je me dis ce rôle ça peut être une thérapie pour moi, pour me permettre d’avancer", explique-t-elle.

Yann, 50 ans, est expert-comptable et commissaire aux comptes. Il interprétera le rôle de l'Avocat général. C'est le procureur des assises, celui qui représente les intérêts de la société.

À la fin des débats, il devra prendre un réquisitoire c’est-à-dire suggérer au jury la peine qu'il estime juste. "J’ai une image de la justice un peu comme une pièce de monnaie avec deux faces différentes, celle relayée par les médias avec un caractère un peu scabreux, et de l’autre côté de la pièce une image rigide froide avec une application des textes pouvant être très dure. J’espère apprendre ce qu’il y a derrière et mélanger ces deux faces."

Amandine elle, a 20 ans et est étudiante en deuxième année de droit à l'Université d'Orléans.

C'est elle qui jouera la Présidente de la Cour d'assises, celle qui mènera les débats et décidera, avec le reste du jury, de condamner ou d'acquitter l'accusée ainsi que de la durée de sa peine. "J'aimerais devenir magistrate alors c’est un moyen de me tester parce que j’ai du mal à gérer mes émotions, je rougis. Participer à ce procès c’est comme un défi, ça peut m’entraîner à parler devant les autres."

"Ils vont vivre ce que vivent les magistrats et comprendre comment on juge"

Durant deux réunions, tous révisent leurs rôles, peaufinent leurs personnages mais apprennent surtout comment se déroule un procès d'assises et quelle est la mission de chaque protagoniste. Une avocate professionnelle et un Avocat général sont là pour les accompagner. "Il y a un avocat récemment qui a été séquestré parce qu'il a défendu tel ou untel. C'est un métier qui est exposé. Et donc quand on vient expliquer à des citoyens qu'il y a des nuances de gris, que quand on défend quelqu'un on ne défend pas ce qu'il a commis, c'est important parce que c'est un des piliers de la démocratie", relate Clémence Lemarchand, avocate au barreau d'Orléans.

En peu de temps, tous vont aussi devoir apprendre à imiter l’éloquence qu’un homme ou une femme de loi met des années à acquérir. "Ils vont vivre ce que vivent les magistrats et comprendre comment on juge, qu’est-ce qu’on doit prendre en compte, comment on réfléchit et se rendre compte que ce n’est pas si simple que ça", détaille Bruno Amouret, Substitut général à la Cour d'appel d'Orléans. "C’est important qu’on démystifie et qu’on voit un peu comment fonctionne la justice et comment fonctionne un procès."

Le 4 octobre, jour de la nuit du droit, les citoyens acteurs enfilent leurs robes et se jettent enfin dans la fosse des assises. Dans une salle d'audience pleine à craquer, ils jugent Sophie Lérré devant 200 spectateurs, eux aussi curieux d'en apprendre davantage sur la justice. Comme dans un vrai procès, ils vont décider d'envoyer ou non l'accusée en prison mais sauront-ils s'appuyer sur les notions de droit qu'ils ont acquises durant leur préparation, ou se laisseront-ils plutôt guider par leurs émotions ?

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