En grève, les médecins généralistes veulent à tout prix faire entendre leur ras-le-bol

Entre un temps de travail trop long, de l'administration à gérer et des revenus en baisse, les médecins généralistes sont "à bout de souffle". Si certains demandent une revalorisation de la consultation à 50 euros, d'autres pointent un système de santé défaillant. La menace d'une autre grève qui pourrait être plus longue est à envisager.

Ce 1er décembre 2022, le mouvement est très suivi. Comme rarement pour la médecine libérale. "Cela fait des années que je n’ai pas vu les confrères mobilisés de la sorte, avoue Pierre Bidaut, médecin généraliste et président de URPS Les Généralistes-CSMF de Centre-Val de Loire. Il y a aussi des confrères qui ne sont pas syndiqués ou n'ont pas pour habitude de porter des revendications."

Selon les propos du vice-président du Conseil de l’Ordre des médecins d’Indre-et-Loire, Christophe Géniès, rapportés par France Bleu entre "60 et 80 % des cabinets sont fermés dans le département". Symbole d’un ras-le-bol généralisé dans la profession, le mouvement est national et devrait être du même ordre partout en France.

Des déserts médicaux et des semaines à rallonge 

"On est dans la merde depuis 10 ans et c’est de pire en pire", réagit Olivier Ferrand secrétaire de la Fédération française des médecins généralistes du Cher et lui-même praticien. Les médecins libéraux tirent la sonnette d’alarme. La lassitude est générale.

"Le temps de travail des généralistes augmente tous les ans, à un moment, on en peut plus", continue Olivier Ferrand. En moyenne, ils travaillent 54 heures par semaine, selon une étude de la Drees datée de mai 2019. "La plupart des confrères qui sont sur mon territoire, autour de Gien, font 12 à 14 heures par jour", appuie Pierre Bidaut.

En Centre-Val de Loire, la région la moins dense en médecins généralistes avec 350 médecins pour 100 000 habitants, la situation renforce ces horaires à rallonge. "La première raison, c'est qu’il n’y a qu’un seul CHU alors que les autres régions en ont au moins deux. On sait que les médecins restent souvent dans les zones proches des CHU où ils ont effectué leur internat", souligne Edmond Galipon, président du syndicat des Médecins Libéraux du Loiret et de la région Centre Val de Loire. Une situation qui devrait être réglée avec la création du CHU d’Orléans, mais "les premiers médecins arriveront dans 10 ans", continue le docteur Galipon.

On est à bout de souffle, c'est pour ça que le mouvement a rapidement pris de l’ampleur

Olivier Ferrand, médecin généraliste et secrétaire de la Fédération française des médecins généralistes du Cher

Le problème est tel que les médecins libéraux doivent refuser certains patients en tant que médecin traitant. "Ce n’est pas facile de dire non, qu’on ne peut pas, à des personnes malades", s’attriste Pierre Bidaut. Mais la problématique concerne toute l’offre de soins et pas seulement le Centre-Val de Loire.  "Il y a 87 % des Français qui ont des problèmes pour avoir des rendez-vous médicaux dans des temps corrects", rappelle Olivier Ferrand. Les déserts médicaux sont partout, en Seine-Saint Denis et même parfois là où on ne les soupçonnerait pas, comme l’a révélé Mediacités à Toulouse dernièrement.

Un mouvement "porté par les jeunes"

Face à ces difficultés croissantes, la colère monte. À l’origine de cette grève, un mouvement créé en septembre 2022 : "Médecins pour demain". Un collectif qui se revendique "asyndical et apolitique", porté en majorité par des jeunes médecins. Ce que le président du syndicat des Médecins Libéraux du Centre Val de Loire, Edmond Galipon voit d’un bon œil : "C’est bien que les plus jeunes se mobilisent. Pour eux, qui viennent de finir leurs études, être payé une misère avec un bac +10, ce n’est juste pas possible."

Ils demandent que les honoraires de consultation passent de 25 à 50 euros et que celle-ci soit indexée sur l’inflation. Le tarif n’a pas augmenté depuis 2017 où elle avait augmenté de 2 euros. En Europe, la moyenne d’une consultation est de 46 euros. Pour se faire entendre, certains menacent même de se déconventionner et de fixer eux-mêmes leurs honoraires qui ne seront pas remboursables.

J’ai un patient qui a perdu la vue faute de prise en charge rapide.

Olivier Ferrand, médecin généraliste et secrétaire de la Fédération française des médecins généralistes du Cher

"Il y a 30 ans, il y avait 30 % de charges, aujourd’hui chaque consultation est taxée à 50 %, pointe Edmond Galipon. On touchait limite mieux à l’époque à l’époque alors que les honoraires étaient moins élevés." Une taxation qui, selon lui, empêche de pouvoir investir dans son cabinet et payer des employés pour le travail administratif. 

L'échec du système de santé

Pour autant, en ces temps économiques difficiles, ce doublement de l’honoraire risque de ne pas passer auprès des Français. "Cette grève est un combat d’arrière-garde. Ce n’est pas en réclamant quelques euros de plus qu’on trouvera la solution aux besoins de santé de la population ! Ce monde a changé, et il faudrait que les médecins libéraux s’en aperçoivent", a vivement rétorqué dans les colonnes du Dauphiné Libéré Gérard Raymond, le président de France Assos Santé, réunissant 50 associations de malades. "On sait bien qu'on n'aura pas 50 euros, mais il faut bien le demander pour avoir quelque chose", avouait dernièrement Laurence Pétinay, présidente du syndicat FMF Centre-Val de Loire.

50 euros, ce n’est pas pour acheter des sacs Vuitton, c’est pour embaucher du personnel.

Edmond Galipon, médecin généraliste et président du syndicat des Médecins Libéraux du Loiret et de la région Centre Val de Loire

De son côté, Christophe Tafani, président du conseil de l’Ordre des Médecins du Loiret, comprend totalement les revendications. "En comparaison, les gens trouvent cela normal de payer 60 à 80 euros un osthéopathe qui n’est pas un professionnel de santé et qui n’est pas remboursé", soulève-t-il. Mais selon lui, le problème est ailleurs et concerne l’ensemble du système de santé. Le généraliste Olivier Ferrand est plutôt de son avis et regrette que seuls "les 50 euros" soient retenus par le grand public. "C’est un détail, ça peut passer par autre chose comme des aides. Il faut que les gens comprennent qu’on se bat pour eux", déclare-t-il.

Une mobilisation "partie pour durer"

Ces dernières années, le mal-être de la part des soignants de toutes sortes ne cessent d’apparaître sur la place publique. "Cela fait des années que l’on alerte sur toute sorte de choses. Le diagnostic est connu, attaquons-nous au traitement", lance Christophe Tafani. Le président de l’Ordre des médecins du Loiret considère que le système de santé dans son ensemble est "à la fin d’un cycle". "Tout doit être revu du début à la fin, de la cave au grenier, car on ne comprend plus rien", insiste-t-il.

Alors que des négociations ont débuté et que se tient cette semaine le Conseil National de la Refondation (CNR) Santé, les généralistes espèrent être entendus. Au matin du 1er décembre, sur France Info, Thomas Fatôme, directeur-général de la Caisse nationale de l’assurance-maladie, jurait les avoir entendus et s’est engagé à "une revalorisation de tarifs". Mais celle-ci n’irait certainement pas jusqu’à 50 euros. "Ce n’est pas sa faute, il a une enveloppe à gérer, mais il répond à côté de la plaque", s’agace le président de l’URPS Les Généralistes-CSMF de Centre-Val de Loire, Pierre Bidaut.

Ce dernier évoquait un mouvement parti pour durer. Ce qu’a confirmé le président de son syndicat, la CSMF, auprès de France Info. "Je crains très fort qu'on aille vers des mouvements très suivis avec, entre autres, une fermeture des cabinets et des permanences de soins entre Noël et le premier de l'An", menaçait-il. Les médecins libéraux semblent bien décider à obtenir gain de cause.  

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