Ancien député socialiste, figure de la gauche au Sénat, maire d'Orléans et toujours fin connaisseur des institutions, Jean-Pierre Sueur a répondu à trois questions au sujet des difficultés rencontrées par la gauche pour proposer un Premier ministre.
En une semaine, plusieurs noms ont circulé à gauche pour nommer un Premier ministre et un gouvernement capable de rester en place, au moins jusqu'en juin 2025 si Emmanuel Macron décide de dissoudre à nouveau l'Assemblée nationale. Pourtant, le bloc arrivé en tête aux élections législatives peine à s'entendre, en interne ou avec ses concurrents, sur le casting.
Député socialiste durant les années 80, ancien sénateur, Jean-Pierre Sueur fait partie des figures du Parti socialiste. Après la victoire de la gauche aux législatives, il pose un regard exigeant sur la responsabilité de la gauche, qui doit selon lui construire une majorité absolue ou renoncer à gouverner.
Le NFP s'est formé très rapidement et vient d'obtenir une victoire en arrivant en tête aux élections législatives. Mais pourquoi la gauche n'arrive pas à présenter une personnalité qui fasse consensus pour le poste de Premier ministre ?*
Jean-Pierre Sueur : La dissolution a été une profonde erreur. Cela a été une décision personnelle et irrationnelle car Emmanuel Macron ne pouvait ignorer que la situation serait plus ingouvernable après qu'avant. Il ne pouvait ignorer que cela se traduirait par une montée du RN et une baisse très sensible des députés macroniens.
Toutefois, il y a eu dans ces élections au bord du gouffre un sursaut républicain qui est un point positif, un réflexe républicain puissant.
Les conversations entre les quatre partis de gauche donnent une mauvaise impression, c'est le moins qu'on puisse dire. Mais il faut que l'on soit conscient des réalités. Quand bien même on se mettrait d'accord sur une personne, il ne faudrait pas que le gouvernement forcément minoritaire que cette personne constituerait soit désavoué et pulvérisé dix jours après par une motion de censure.
Bien sûr, la gauche souhaite appliquer le programme qu'elle porte en elle, avec toute une série de mesures qui sont bienvenues, que ce soit de revenir sur la réforme des retraites, l'augmentation du pouvoir d'achat, des considérations plus humaines et humanistes concernant l'immigration. Je partage tout cela.
Simplement, la gauche est minoritaire. Donc je crois qu'un gouvernement représentant cette gauche n'est possible que s'il est ouvert à d'autres forces politiques. Sinon on est condamnés à être très vulnérables. On est à la croisée des chemins : on a vécu quarante ans d'alternances, avec une gauche ou une droite républicaine qui avait une majorité massive.
Comme la gauche ne pourra pas gouverner seule, il va falloir qu'elle ait le sens de l'ouverture et accepte de discuter de son programme.
Jean-Pierre Sueur, ancien sénateur du Loiret
Aujourd'hui, on est dans un autre schéma. On entre dans un système différent, que les pays protestants du nord de l'Europe, ou tout simplement l'Allemagne, connaissent depuis longtemps. À la suite des élections, ils s'ouvrent à des coalitions, de manière à pouvoir gouverner. Je serai simplement contre des alliances sans principes. Mendès-France avait écrit qu'il fallait un contrat de législature qui puisse rassembler sur des valeurs et des réformes.
Mais en s'ouvrant, en faisant des compromis, il y a toujours le risque de la compromission. Si les députés du centre posent comme condition à une coalition le maintien de la réforme des retraites par exemple...
C'est justement pourquoi je suis partisan d'un élargissement, parce qu'en étant minoritaires, on est sujets à des motions de censure qui mettront fin au gouvernement. La différence entre compromis et compromission est la suivante : je n'accepterai pas pour ma part un élargissement sans principes. Dès lors qu'il y a une discussion.
Si on refuse toute discussion, tout élargissement, autant dire qu'on renonce à gouverner.
Jean-Pierre-Sueur, ancien sénateur du Loiret
Inutile de passer des centaines d'heures à trouver un Premier ministre, si c'est pour le mettre dans une situation où il ne pourra pas gouverner et sera balayé dans les dix jours suivants par une motion de censure ! Je crois que l'ouverture est nécessaire, tout simplement parce qu'on ne peut pas faire autrement.
Il y a des pays où l'on fait cela couramment, et où il y a des compromis acceptables. Prenez par exemple Sacha Houlié, il est de gauche à l'intérieur du bloc macroniste : je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas discuter avec lui, et avec d'autres. Dès lors qu'on se met d'accord sur une feuille de route et des projets communs.
Le risque, si cet élargissement ne prend pas, c'est que Renaissance gouverne avec la droite voire l'extrême droite ?
J'espère que lorsqu'il fera son choix, Emmanuel Macron prendra en compte le fait que la gauche est le bloc majoritaire. Ce serait logique.
Si Emmanuel Macron proposait à quelqu'un de droite de former un gouvernement, il aurait le même problème, à savoir la recherche d'une majorité. Par exemple avec le bloc LR. Mais s'il cherchait une majorité de droite, il méconnaîtrait le résultat des élections, et le fait que le bloc en tête c'est le bloc de gauche.
La question n'est donc pas de trouver au bout de quinze jours de palabres une personne pour être Premier ministre. La question, c'est de voir à quelle condition on peut ouvrir les choses de manière à aller vers une majorité. À mon avis ça demande beaucoup de discussions et de réflexion.
Dans cette logique, il est évident que le Parti socialiste aura un rôle à jouer dans la défense de nos valeurs. Je crois qu'il y a des compromis qui sont salutaires.