En Centre-Val de Loire, le RN n'empoche que deux sièges à l'Assemblée nationale sur 23. Mais, dans de nombreuses circonscriptions, son score au deuxième tour est très élevé. Pour la gauche, arrivée en tête et savourant sa victoire, et la majorité présidentielle, l'enjeu est de taille.
"Ce soir on danse, mais sur un fil au-dessus du précipice", écrit une électrice du Nouveau Front populaire sur X (ex-Twitter). Ce dimanche 7 juillet, à l'issue du deuxième tour des élections législatives, la gauche a fêté l'inattendue première place obtenue par le NFP. Sur la place de la République, à Paris, les sympathisants ont célébré une majorité extrêmement relative à l'Assemblée nationale, après 10 ans de déconvenues électorales, comme une grande victoire.
Mais, même dans une soirée de victoire de la gauche, les sourires sont crispés. Le "précipice" décrit par l'internaute, c'est le score historique réuni par le Rassemblement national. La performance ne lui permet pas d'obtenir la majorité, mais l'extrême droite devance le NFP et la coalition présidentielle Ensemble en nombre de voix. Et passe de 88 à 143 députés.
Le RN troisième, mais premier
Et, même dans les circonscriptions où il est défait, le Rassemblement national fait des scores énormes. 49,3% dans la 5e du Loiret, 48,3% dans la 4e d'Eure-et-Loir, 48,9% dans la 3e du Loiret... Dans la 2e circo du Cher, le sortant communiste Nicolas Sansu devance le candidat RN de seulement 500 voix. "J'ai le sourire, nous avons réussi à endiguer la vague", réagit-il auprès de France 3, pendant la soirée électorale de ce dimanche (à retrouver ici en replay). Un sourire qui "reste humble devant de telles secousses aux européennes et aux législatives".
Regardons ce qui se passe : on a, dans le pays, beaucoup beaucoup de personnes qui votent Rassemblement national. Il faut répondre à une certaine angoisse et une certaine colère, sans jamais céder aux sirènes ni du racisme ni de la xénophobie, c’est notre point de rupture avec eux.
Nicolas Sansu, député PCF/NFP du Cher
Car le Rassemblement national est arrivé en tête au premier tour dans presque toutes les circonscriptions du Centre-Val de Loire.
Pour Nicolas Duplessy, nouveau député Génération·s du Loiret, la victoire est prudente. "On a besoin de réparer nos territoires, renouer des liens dans la population", explique-t-il, au vu de la fracture entre la France des villes et la France des champs. À l'issue du premier tour, le député réélu de Tours, Charles Fournier (Les Écologistes), manifestait la nécessité de reconstituer "un réseau militant en ruralité" : "On doit se déplacer dans les territoires ruraux, ouvrir la discussion et le débat, parler de l’effondrement des services publics, l’industrialisation, l’effritement de la solidarité."
"Je mesure aussi la fracture énorme qui s’est créée entre le monde des campagnes et le monde des villes, abonde Laurent Baumel, nouveau député socialiste de la 4e circo d'Indre-et-Loire. Les responsabilités seront les nôtres pour réconcilier les Français."
Des députés élus, entre "satisfaction" et "préoccupation"
S'il esquisse un sourire devant la caméra de France 3 à l'annonce de sa réélection, la mine satisfaite est de courte durée. Et reste grave. Comme celle de la majorité des invités politiques de cette soirée électorale en Centre-Val de Loire. Que ce soit les RN défaits ou les députés élus, peu importe leur camp. Réélue en Indre-et-Loire, Sabine Thillaye (MoDem) manifeste sa "satisfaction", mais aussi sa "préoccupation". "En tant que Franco-Allemande, je suis heureuse de ne pas être considérée comme une citoyenne de deuxième classe", lance-t-elle, en référence au récent débat sur les binationaux lancé par l'extrême droite, et notamment le député RN de Loir-et-Cher, Roger Chudeau.
En plateau, la députée Renaissance réélue Stéphanie Rist (1ère circo du Loiret) semble crispée. Elle salue "la victoire des valeurs de la République", mais ne semble pas réussir à se réjouir de la deuxième place de son camp, donné pourtant troisième dans presque tous les sondages des dernières semaines.
Au-delà de la progression nette du RN, qui passe de 88 à 143 députés, les deux blocs Ensemble et NFP se retrouvent face à la semi-impasse de la majorité très relative. Bien plus que lors de la dernière législative. En tête en nombre de sièges, la gauche ne peut espérer fonctionner seule. Et, déjà, la majorité mise sur un délitement du Nouveau Front populaire pour trouver des compromis, et une fameuse majorité de projets.
Un résultat idéal pour Marine Le Pen ?
"Il va falloir trouver une façon de gouverner ce pays, et donc faire des accords entre des familles politiques qui ont des valeurs en commun", explique Caroline Janvier, députée sortante Renaissance du Loiret. Elle cite les socialistes et les écologistes, mais pas La France insoumise, futur groupe majoritaire au sein du NFP à l'Assemblée.
"Soit on considère qu'il y a trois catégories de Français et qu’on ne pourra rien faire et que ce sera l’enfer. Je crois qu’on aura trois blocs qui devront s’entendre", abonde Stéphanie Rist. Qui explique que tout cela "se fait au niveau local". "Quand l'essentiel est en jeu, il faut savoir se rassembler", estime de son côté Guillaume Kasbarian (Renaissance), réélu en Eure-et-Loir.
Dans l'Indre, François Jolivet (Horizons) assure avoir la "victoire modeste, beaucoup d'électeurs ont voté pour moi pour éviter que la France ne plonge dans le vide". Pour lui, "ça vaut contrat". Son homologue eurélien confirme, ne voulant pas "décevoir" ceux qui ont fait barrage en votant pour lui. Nicolas Sansu aussi constate "un résultat qui m’oblige, on a été au-delà de nos rangs, je sais la responsabilité qui est la mienne".
Reste à savoir si la bonne volonté suffira à éviter à la France la paralysie, et à faire passer des textes au Parlement. Car, "s'il y a un échec, quel que soit le gouvernement ou la majorité présidentielle qui va se mettre en place à l'Assemblée nationale, le débouché présidentiel pourra être un réveil douloureux", analyse Pierre Allorant, politologue et doyen de la faculté de droit d'Orléans. Qui se demande si le résultat, qui permet à Marine Le Pen d'être "dans l'opposition à tous les autres partis si une coalition se met en place", n'est pas "finalement une bénédiction pour Marine Le Pen en 2027".