La Commission Sauvé, chargée d'enquêter sur les abus sexuels dans l'Eglise, lance ce lundi 3 juin, un "appel à témoignages", qui va passer notamment par une plateforme téléphonique d'écoute des victimes. Dans le Loiret, deux récentes affaires de pédophilie impliquent des prêtres.
La commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise, la "CIASE", a été créée à l'automne à la demande de l'épiscopat français, pour faire la lumière sur les abus sexuels commis par des clercs ou des religieux sur des mineurs et des personnes vulnérables depuis les années 1950.
Présidée par Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d'État, composée de 22 membres, elle a pour objectif de rendre ses conclusions "fin 2020".
Premier volet de cet appel à témoignages: une écoute, qui passe par un numéro de téléphone (01.80.52.33.55) avec des personnels spécialement formés, en partenariat avec la fédération France Victimes. Couplé à une adresse mail (victimes@ciase.fr) et une boîte postale. Ce dispositif permettra d'abord "de recueillir la parole des victimes ou des témoins d'abus sexuels", affirme M. Sauvé.
Deuxième volet de la commission : Un questionnaire élaboré avec des victimes et leurs associations
A la fin de cet entretien, il sera ensuite proposé aux appelants de répondre à un questionnaire anonyme (40 à 50 questions), qui sera traité par un institut de sondage et analysé par des chercheurs.
Olivier Savignac a été consulté pour participer à l’élaboration de ce questionnaire. Il est l'une des victimes du père Pierre de Castelet, un prêtre du diocèse d’Orléans qui a été condamné en novembre 2018 à trois ans de prison dont un avec sursis pour agressions sexuelles sur mineurs.
Les faits s’étaient déroulés en 1993 dans le village d’Arthez d’Asson (Pyrénées-Atlantiques) au cours d’une colonie de vacances chrétienne organisée par le MEJ (le Mouvement Eucharistique des Jeunes).
Celui qui est devenu une figure dans la libération de la parole de victimes en France se dit satisfait qu’un appel à témoins vienne enrichir le travail de la commission : "Ce premier volet avec ce questionnaire qui a une Matrice très spécifique sur les problématiques de victimes, est plutôt bien." se réjouit Olivier Savignac, qui regrette néanmoins que des rencontres de proximité ne soient pas mises en place.
"Des personnes qui auraient eu besoin de s’exprimer oralement ne seront pas touchées par cet appel à témoins et ne feront pas le pas d’appeler. Qu’en est-il de ces gens qui ne se présenteront pas ? Qu’il faudra peut-être aller voir sur place, dans leurs territoires avec des soirées de « parole » par exemple ? Pour l’instant cet aspect-là n’est pas pris en compte par la commission".
Olivier prévoit donc, avec sa nouvelle association "Parler et Revivre" (anciennement "Notre parole aussi libérée"), d’organiser des soirées de paroles dans l’Aveyron où il réside "pour aller au plus près des gens dans les campagnes".
Troisième volet : des entretiens et un travail sur archives
La commission, avec l'appui de chercheurs en sciences sociales, va également mener "des entretiens semi-directifs" (auditions approfondies) auprès de victimes volontaires.
L'objectif ? "Analyser plus finement les relations entre la personne abusée et l'auteur, les réticences à parler, la libération de la parole, les réactions des familles et personnes informées, celles de l'Eglise catholique, le traitement fait par l'institution ecclésiale, les raisons du recours au droit ou l'absence de recours au droit de la part de la victime", explique M. Sauvé.
Un recensement des archives des diocèses et congrégations religieuses, de la justice et de la presse est également prévu. Sur ce point, Olivier Savignac craint des manquements : " La commission peut ne pas avoir accès à toutes les archives, c’est au bon vouloir des diocèses de les donner ou non" regrette-t-il. "Je pense que des enquêteurs judiciaires auraient dû réaliser ce travail".
"Mais on ne va pas cracher dans la soupe" modère-t-il. "La commission Sauvé est la première initiative nationale sur la question des victimes (..) J’espère que cela fera effet boule de neige et que les pouvoirs publics s’empareront de ce sujet".
Car s’il n’est pas inquiet sur l’indépendance de la commission qu’il considère comme "un premier pas", il redoute par contre, son manque de moyens :
"Une commission parlementaire serait mieux outillée pour diffuser l’information au maximum et aurait des moyens judiciaires."
In fine, la commission rendra un rapport et fera des préconisations à l’Eglise. La création de la CIASE avait en effet été décidée en novembre dernier par la Conférence des évêques de France (CEF) après plusieurs scandales. "Des évêques que je sens assez frileux sur ces questions de pédophilie. Certains osent bouger, d’autre non car ils craignent des casseroles. (..) Beaucoup d’évêques ont des choses à se reprocher. Cette commission va déranger et dérange déjà."