Victime d'un double inceste, commis par un grand-oncle et par deux cousins, Arnaud Gallais lutte contre les abus sexuels et la violence envers les enfants. Il veut briser le silence en donnant la parole aux victimes, s'active pour faire voter des lois et sensibiliser l'opinion publique.
Arnaud Gallais est un activiste des droits de l'enfance. Cofondateur de "Prévenir et protéger", et fondateur de Mouv'Enfants, Il se joint en 2021 au collectif #MeTooInceste. La même année, il est nommé membre de la Commission Indépendante sur l'Inceste et les violences faites aux Enfants, la CIIVISE. En 2022, il cofonde BeBrave, une déclinaison française d'un mouvement international de survivants de violences sexuelles dans leur enfance.
Acteur associatif depuis plus de quinze ans, il se bat pour toutes les victimes oubliées, enfermées dans le silence et dans l'indifférence, sous une chape de plomb qui a volé leur enfance et piétiné leur avenir.
Guy Padovani, réalisateur, rencontre Arnaud Gallais en 2020 alors qu'il filme les témoignages d'adultes violés pendant leur enfance. C'est la première fois qu'il parle devant une caméra, de l'inceste dont il a été victime. Son témoignage est poignant. Ce sont les mots d'un homme qui ne veut plus se taire, la parole se libère, la source du mal est débusquée.
Guy Padovani est saisi par l'histoire d'Arnaud, il lui propose de se raconter dans un documentaire. "Inceste, un homme en colère" voit le jour. "Je ne sais pas encore que je m'engage dans une aventure qui va durer plus de trois ans et que cet homme fragile va devenir sous mes yeux, un activiste incontournable des droits de l'enfant."
Arnaud veut sortir de l'ombre pour faire entrer dans la lumière, les enfants meurtris et oubliés. Le combat est long, difficile, il se confronte à ses blessures, à ses colères contre l'omerta de l'inceste, mais il ne lâche rien. Il est là, sur le devant de la scène pour le petit garçon qu'il a été et pour tous les autres.
Arnaud, le fils
Arnaud est né le 29 juin 1981, fils unique de la famille Gallais, il grandit dans la banlieue parisienne, entouré de ses deux sœurs. Son père est directeur commercial dans l'import-export, sa mère est femme au foyer. Ils habitent dans un quartier bourgeois où les familles sont très rarement dans le viseur de l'aide sociale à l'enfance.
Derrière les portes de sa maison, Arnaud vit l'enfer. Il subit la violence psychologique et les sévices infligés par son père. Sa mère, passive, ne lève pas le petit doigt pour lui venir en aide. Elle trouve des excuses à son mari, minimise les faits, rajoute ainsi de la douleur à la douleur. Les cris traversent les murs. Tout le monde sait, mais personne ne dit rien !
"Le souvenir qui me revient quand on me parle de mon enfance, c'est surtout d'avoir eu un père qui était extrêmement blessant, humiliant, tout était prétexte à me rabaisser. "
Arnaud est un enfant battu. Son corps garde des cicatrices indélébiles. Les coups de ceinturon s'abattent sur le jeune garçon. Une rage d'adulte qui blesse sa chair, une pluie d'insultes qui traverse et anéantit la confiance en soi.
Je n'ai pas su toujours, comment dire, mettre les formes. J'étais un peu brut de pomme, comment on pourrait dire. Il m'arrivait de péter les plombs même pour des trucs qui n'en valaient pas la peine. Voilà.
Le père d'Arnaud
Brut de Pomme ! Sans fioritures, sans tact, ni délicatesse. Une expression qui est loin d'être à la hauteur du mal enduré par son fils. Un semblant de mea-culpa pour se dédouaner de sa culpabilité, une offense de plus.
Les violences verbales et physiques, familiales et conjugales ne seront jamais dénoncées. Ni l'école, ni le médecin de famille, ni le voisinage... Personne n'a donné l'alerte.
Arnaud, la proie
Quand Arnaud à huit ans, un grand-oncle, du côté de sa mère, prêtre salésien et missionnaire au Gabon est hébergé pour quelques nuits au domicile de la famille Gallais. Arnaud ne comprend toujours pas comment le diable a élu domicile, à chacune de ses visites, dans la chambre du petit garçon qu'il était, alors que la famille dispose d'une chambre d'amis.
Cette nuit-là, Arnaud se lève parce qu'il a une fois de plus fait pipi au lit. L'énurésie, une manifestation du traumatisme causé par les violences qu'il subit. Son oncle l'interpelle alors qu'il se rend à la salle de bains. Sous prétexte de lui expliquer comment son corps fonctionne, il touche ses parties intimes, lui parle du plaisir que l'on peut ressentir avec le sexe. Le prêtre, membre de la famille abuse du petit garçon souillé. Arnaud sera violé à chacune de ses visites, jusqu'à ses onze ans, par Rémy Laurendeau, un prêtre pédocriminel.
Les mots d'Arnaud font mal, comment ne pas prendre son témoignage de plein fouet. Ses yeux se ferment puis s'écarquillent, la voix reste en suspens. Il est parti un instant, happé dans cet ailleurs où il est seul, dans cette dimension où tous les chiens sont des loups qui dévorent les enfants. Nous partons sur ses traces et nous revenons, nous aussi abasourdis par l'innommable.
Enfant, il ne dit rien des viols et de la violence, il a appris à se taire. Arnaud bégaye, les mots ne veulent plus sortir. Il ne comprend pas ce qui lui arrive, prend sur lui le poids de la faute, se demande pourquoi il est resté passif ?
"Moi, j'étais convaincu que ce qui s'était passé, faisait d'une certaine manière, que j'avais une attirance pour les hommes. J'étais troublé, parce que je n'en avais aucune. Moi, les clés que j'avais, d'une certaine manière, c'est que j'avais été consentant."
Un enfant n'est jamais consentant et celui ou celle qui abuse de son innocence est un violeur. À douze ans, Arnaud va être victime d'un deuxième inceste. " Ce viol non plus, il n'en parle pas, il commence à fumer du cannabis et à boire de l'alcool."
"Ce sont des rencontres qui vont sauver Arnaud, un professeur qui croit en lui, le sport, une petite amie attentionnée". Dans sa famille, il trouve du soutien auprès de l'un de ses oncles. Le seul membre de la famille qui a eu le courage et la volonté de mettre en avant les dysfonctionnements du foyer. Un personnage tourmenté, lui aussi, qui a mis fin à ses jours. C'est le deuxième suicide dans la famille.
La révélation
Arnaud a dix-neuf ans. Il regarde un reportage sur un prêtre pédophile. Il lâche sans réfléchir : "cela m'est arrivé à moi aussi." Sa mère réplique : "On s'est bien fait avoir".
"On s'est bien fait avoir" ! Une phrase déconcertante, prononcée par une mère qui vient d'apprendre que son fils a été victime de viols dans la sphère familiale. Pas un mot, pas un geste pour l'entourer de son affection. " La bonne réaction d'un parent, c'est de dire à son enfant "Je t'aime", même ça, je ne l'ai pas eu."
Avec le recul, dos à la caméra, la mère d'Arnaud se justifie en expliquant que c'est par pudeur, qu'elle n'a pas posé plus de questions à son fils, qu'elle imaginait que cela pouvait le gêner !
Arnaud souffre d'amnésie traumatique, il se souviendra du viol commis par ses cousins, au cours de sa thérapie, quatorze ans après les faits. Un acte minimisé par sa famille, un jeu, une bêtise tout au plus.
La vie d'après
Arnaud se bat, Arnaud se soigne, il porte sur son dos le fardeau des coupables et dans sa chair les déchirures infligées, mais il avance malgré tout.
Arnaud veut comprendre, cherche des réponses en suivant des études d'anthropologie. À 29 ans, il sort diplômé de l'École des hautes études en sciences sociales. Il travaille chez Emmaüs puis dans différentes structures de l'aide à l'enfance. Il suit une psychothérapie, son psychiatre dira de lui, " qu'il avait tout pour devenir psychotique."
Tout ce qu'on n'a pas fait pour lui, tout ce qu'il n'a pas reçu, Arnaud en fait son combat. Il est prêt à déplacer des montagnes pour changer la donne. Il est sur tous les fronts, répond à des interviews dans la presse écrite et télévisée, participe à des manifestations et part à la rencontre des victimes. Dans ce tourbillon qui remue sans cesse la lie des souvenirs, son corps donne des signes d'alerte.
Je me bats contre des morceaux de moi.
Arnaud
Les séquelles physiques de ces viols provoquent une déficience respiratoire et des problèmes cardiaques. L'alcool l'aide parfois à brouiller les pistes des fantômes qui le hantent, à atténuer la brûlure qui le consume, mais c'est un exutoire éphémère qui n'est pas sans conséquence.
Arnaud, papa
En 2010, Arnaud rencontre Alexandra qui a déjà une fille de sa première union, Louison. En 2015, Armel agrandit la famille.
"Quand notre fils est né, c'était pour lui quelque chose de tellement formidable, à plusieurs titres. Il devenait papa, ça signifie qu'il construisait lui-même sa propre famille, comme il l'entendait en protégeant ses enfants, en ayant un lien avec ses enfants et avec moi et que rien ne pourra jamais détruire ça. Et surtout, surtout et d'ailleurs, il le dit toujours à son fils, je ferai tout pour être le papa qu'il te faut et je ferai tout pour ne pas ressembler à mon père."
La première rencontre avec son fils est un moment magique. Dans les bras de son papa, Armel cesse instantanément de pleurer.
"C'est formidable de voir un enfant grandir, c'est une rencontre. C'est la vie."
Arnaud connaît des moments si difficiles, qu'il n'arrive pas à faire face. L'envie d'en finir le traverse, il est à deux doigts d'être interné à Saint-Anne. Une limite suffisante pour faire volte-face, pour se tourner vers Armel et lui prendre la main.
"Celui qui a tout dégoupillé, c'est Armel, je me suis dit : bien sûr mon fils, c'est ma priorité, je suis con ou quoi, qu'est-ce que je fais, moi ?
Des chiffres glaçants
- 160 000 enfants subissent chaque année des violences sexuelles, tandis qu'un enfant meurt tous les 5 jours sous les coups de ses parents.
- L'église reconnaît après deux années d'enquêtes, être responsable depuis 1950 de 330.000 victimes, Arnaud est le numéro 587. 12 à 13 enfants par jour ! "Une boucherie".
- Un Français sur 10 déclare avoir été victime d'inceste. On estime qu'il concernerait de 2 à 3 enfants par classe de CM2.
- À ce jour, seules moins de 1 % des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation en cour d’assises.
- 4 % des enfants, victimes de viol portent plainte. Sur ces 4 %, 0,3 va aux assises.
À petits pas
La loi Billon du 21 avril 2021, vise à mieux protéger les mineurs contre les violences sexuelles et l'inceste. Aucun adulte ne peut prévaloir du consentement sexuel d'un enfant s'il a moins de 15 ans ou moins de 18 ans en cas d'inceste. La clause dite "Roméo et Juliette" permet un écart d’âge de 5 ans entre le mineur et le majeur, dans une relation consentie. Arnaud est en colère, les exceptions sont une faille où le mal peut s'engouffrer.
Arnaud se bat contre l'impunité, contre un entre-soi qui le révolte, une forme de corporatisme qu'il dénonce.
L'activisme d'Arnaud passe désormais par les réseaux sociaux. Ces engagements militants jouent désormais un rôle primordial dans sa réparation personnelle. Il n'est plus centré sur lui-même. "Une autre manière de supporter concrètement cette violence-là".
Il mène une enquête pour avoir accès au dossier de son bourreau, le grand-oncle de la famille, le prêtre Rémy Laurendeau de la congrégation Don Basco. Un prêtre qui était censé prendre soin des enfants et des adolescents. Combien de victimes, de trophées de chasse dissimulés sous ses images pieuses ? Arnaud veut savoir. Il mène une enquête téléphonique puis se rend au diocèse d'Annecy. Les archives qui devaient être à disposition sont absentes de l'entretien. À l’époque, rien n'était consigné par écrit, tout se faisait oralement ! Arnaud n'en peut plus de cette mascarade, la colère monte.
Le mur du silence s'effrite, mais il tient encore debout.
Arnaud se livre par écrit
Arnaud pose ses maux dans un livre intitulé "Je n'étais qu'un enfant" coécrit avec Ixchel Delaporte aux éditions Flammarion. Nous sommes le 04 octobre 2023, sa sœur aînée est présente, elle attend la fin de la séance de dédicaces pour se montrer.
Ils ne sont pas vus depuis trois ans. Arnaud le sait aujourd’hui "malgré les traumatismes, le mot amour reste possible."
Après la fin du tournage, les viols subis par Arnaud ont été reconnus par la Commission Reconnaissance et Réparation de l'Église.
Le documentaire "Inceste, un homme en colère" est un film de Guy Padovani, coécrit avec Anaïs Enshaian. Une production La Voie Lactée en coproduction avec BIP TV / TV Tours-Val de Loire. Avec la participation de France 3 Centre-Val de Loire dans le cadre du contrat d’objectifs et de moyens Région Centre-Val de Loire, en partenariat avec le CNC et la participation du Centre National de la Cinématographie et de l'image animée.
Il sera diffusé sur France 3 Centre Val de Loire le jeudi 25 avril à 23 h 00, en avant-première puis en replay sur france.tv.