"L'argent ne rachètera pas tout" : Olivier Savignac dénonce des défaillances dans l'instance chargée de réparation des victimes de pédocriminalité dans l'Eglise

Alors que le barème d'indemnisation a été dévoilé par l'instance en charge de la réparation des victimes de pédocriminalité dans l'Eglise, le co-fondateur de l'association Parler et Revivre, Olivier Savignac dénonce des défaillances dans la formation des personnes chargées de recueillir la parole des victimes et demande à reconsidérer l’expertise des associations et collectifs de victimes.

La longue lutte d'Olivier Savignac contre les abus pédocriminels commis par les membres de l'Eglise continue encore aujourd'hui, six ans après la création de sa première association Notre parole aussi libérée. A l'époque, l'association avait pour but de rassembler les victimes d'un prêtre d'Orléans, mais, une fois le procès terminé, une seconde association, Parler et Revivre, voit le jour pour aider le plus de victimes possibles à se libérer.

L'Inirr, l'instance qui doit prendre en charge les victimes de pédocriminalité dans l'Eglise, a dévoilé les critères d'évaluation pour les indemnisations qui pourront aller jusqu'à 60 000 euros par victime. A cette occasion, Olivier Savignac a accordé un entretien à France 3. 

Olivier Savignac : Je déplore que la prise en charge de l'Inirr soit défaillante. La plupart des personnes qui nous font des retours sur leurs interactions avec l'instance dénoncent un manque criant d'écoute. Certaines personnes n'ont pas eu de réponses pendant plusieurs semaines, voire des mois ou n'ont tout simplement pas été recontactées. En plus de la confiance complètement entachée, ces victimes ont l'impression de se faire balader. 

D'après les retours, il y a peu de rencontres en personne, et les appels téléphoniques sont souvent expédiés. On sent bien qu'aujourd'hui c'est la précipitation dans l'Eglise. Je crois qu'on passe à côté de la raison première de ce genre de mission qui doit être de savoir recevoir la parole, parce que la plupart des victimes ont été muselées pendant des années. Il s'agit d’abord d'accueillir et de reconnaître la parole, puis ensuite de réparer symboliquement. L’argent ne rachètera pas tout. Il fait partie du processus mais ce n’est que la seconde partie.

  • France 3 : Est-ce dû à un manque d'investissement ? 

O. S. : Je pense que c'est plutôt dû à un soucis dans la construction : ils ont fait de la réparation la clé de voûte de leur processus. L'Inirr s'est clairement concentrée sur l'aspect réparation financière et a délaissé la partie accueil et reconnaissance de la parole. Mais au delà de ce problème, il y a un défaut dans le processus. Ils devraient être spécifiquement formés à accueillir la parole de victimes de pédocriminalité de membres de l'Eglise mais on se rend compte que les référents sont balancés sur le terrain sans trop de repères.

Il faut aussi reconnaître que la campagne de communication est plus que timide. Pour les personnes qui ne sont plus dans l'Eglise ou qui sont isolées, il est difficile d'avoir connaissance de ce processus. 

On va garder le cap tant que les choses ne sont pas tolérables. Et, aujourd'hui, elles ne le sont pas.

Olivier Savignac

  • France 3 : Après le rapport Sauvé, qui est le fruit de deux ans et demi de travail de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise (Ciase), et la création de l'Inirr et du CRR, avez-vous l'impression que votre combat touche à sa fin ? 

O.S. : Vu les défaillances qu'on observe, nous ne sommes pas au bout de nos peines. On va garder le cap tant que les choses ne sont pas tolérables. Et, aujourd'hui, elles ne le sont pas. Nous nous sommes rendus comptes que la pression médiatique a permis de faire de grandes avancées dans la libération de la parole et d'empêcher des propositions stupides (la somme forfaitaire suggérée en 2019, par exemple). 

Mais pour être honnête, l'engagement est fatiguant et nous, les associations et collectifs, ne sommes pas toujours considérés. Alors que la commission Sauvé nous avait associé à leur démarche, l'Inirr ne s'est pas du tout tourné vers nous. Pourtant, notre expertise expérientielle pourrait les aider à prendre en charge les victimes.

  • France 3 : Vous avez révélé l'agression dont vous avez été victime pour la première fois en 2008 au diocèse d'Orléans. Quatorze ans après, quel regard portez-vous sur la libération de la parole ? 

O.S. : Lorsque je me suis rendu compte que la diocèse d'Orléans avait protégé mon agresseur, je me suis heurté à des murs de silence. Et pour moi, ça a vraiment été grâce à la ténacité et la perspicacité de mon avocat que nous nous sommes engagés dans une bataille judiciaire qui a duré 7 ans et demi.

Aujourd'hui, le paysage a vraiment évolué. La posture de l’Église est complètement différente. Elle s'est retrouvée au pied du mur grâce à des personnes, des collectifs et des associations qui sont sortis du silence et ont eu la force d'aller jusqu'au bout. Il y a eu #Metoo, puis #Metoochurch qui ont permis de libérer la parole. Et surtout des condamnations des prêtres agresseurs ont été prononcées, ainsi que celles des supérieurs qui les ont protégés. C'est ce qu'il s'est passé pour moi quand, en 2018, l'évêque André Fort a été mis en examen et condamné pour non-dénonciation d'actes pédophiles.

Aujourd’hui, mon combat porte surtout la prévention. J'ai élaboré un spectacle sous forme de ciné-concert, Enfant du Silence, avec des musiciens qui jouent sur scène. Sur la question de société des violences sexuelles - dans l'Eglise, mais pas que - les gens ont besoin d'être informés et formés, et la forme du spectacle permettent de faire comprendre avec l'émotion. 

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