"La prison véhicule beaucoup de clichés, la psychiatrie aussi", immersion dans une unité pénitentiaire spécialisée en psychiatrie

À Fleury-les-Aubrais, près d'Orléans, l'hôpital psychiatrique Daumézon accueille une unité unique en Centre-Val de Loire. Elle est spécialisée dans l'accueil des détenus atteints de troubles psychiatriques. Premier volet d'une immersion dans un univers entre le soin et la détention.

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Ici, pas de détenus, mais des patients. Pas non plus de cellules, mais des chambres. Pourtant, les 17 personnes accueillies dans cette Unité Hospitalière Spécialement Aménagée (UHSA) sont bien toutes connues de la justice. Condamnées et jugés responsables de leurs actes, ou en attente de jugement, elles étaient en détention avant d'être admises dans ce pan de l'hôpital psychiatrique Daumézon, à Fleury-les-Aubrais. 

L'hôpital derrière un bâtiment aux allures de prison 

D'extérieur, tout ressemble à un bâtiment pénitentiaire. De grands murs d'enceinte, des barbelés et une immense devanture munie d'une vitre sans tain. Il faut avoir une autorisation pour arriver jusqu'ici, les photos sont interdites au public, et les avertissements clairement inscrits. 

Une fois l'identité du visiteur déclinée, le portique passé avec succès, (en chaussette et sans veste pour que tout soit passé au détecteur), puis le téléphone confié à un casier fermé à clé, les portes de l'UHSA s'ouvrent pour France 3 Centre-Val de Loire. 

La prison véhicule beaucoup de clichés, la psychiatrie aussi. Donc on ne parle pas trop de notre quotidien à l'extérieur.

Soignante à l'UHSA de Fleury-les-Aubrais

"On n'a pas l'habitude de voir des journalistes" s'amusent certains patients et personnels soignants. C'est d'ailleurs rare que les blouses blanches parlent de leur métier "on sait comment c'est reçu à l'extérieur, de travailler avec des détenus" souligne un infirmier. "Moi, je ne le dis plus" tranche une autre professionnelle. 

Ici, la plupart des patients sont atteints de schizophrénie. D'autres souffrent de dépressions, troubles de l'humeur ou encore syndromes de stress post-traumatique. Une enquête menée dans le Nord et le Pas-de-Calais dresse un constat alarmant : les troubles psychiatriques sont en moyenne trois fois plus fréquents à l’entrée en détention que dans la population extérieure.

"On essaie de faire en sorte que ce lieu ressemble le plus possible à un hôpital" insiste la docteure Coralie Langlet, psychiatre et directrice médicale de l'UHSA. Les salles d'activités sont décorées, certains murs peints en vert et orange. Mais il reste des traces de cet univers particulièrement sécurisé, toutes les fenêtres ont des barreaux, et les barbelés surplombent les épais murs de béton extérieurs. Un décor auquel on s'habitue "je ne les vois même plus" affirme une des infirmières. 

Dans la structure, il y a deux directions : une médicale, et une pénitentiaire. Les "blancs" pour leur blouse et les "bleus" pour leur uniforme doivent donc trouver un juste milieu entre le soin et la sécurité. À l'intérieur de l'hôpital, ce sont les soignants qui deviennent gardiens des clés. Un rôle parfois un peu étrange pour ceux qui n'ont pas vocation à passer leur temps à ouvrir et fermer des verrous. Les chambres sont toutes fermées entre 9h30 et 10h30, pendant les réunions des équipes, puis de 13h à 14h30 pour laisser les soignants prendre une pause déjeuner, et enfin, de 18h45 à 7h30, pour la nuit. 

Garder le juste milieu entre soin et sécurité

"Ce n'est pas plus violent ici que dans un autre hôpital psychiatrique" estime une infirmière. L'UHSA est ouverte depuis 2013, deux ans après une loi qui mettait en place la construction de ces structures. Avant cela, les détenus étaient envoyés dans des établissements classiques "mais il y avait trop d'évasions" affirme Ludovic Henon, directeur pénitentiaire. 

Contrairement aux deux autres niveaux de soins psychiatriques (c'est-à-dire les consultations en détention et l'hospitalisation de jour qui ont lieu en prison), "c'est la prison qui vient à l'hôpital, pas l'inverse" souligne Dr Coralie Langlet. La structure est sécurisée par des équipes pénitentiaires.

Une fois les portes de l'hôpital franchies, les forces de l'ordre n'interviennent que sur demande des soignants, ou en cas d'urgence détectée. Si la pénitentiaire se fait discrète dans l'enceinte de l'hôpital, elle a quand même des yeux sur les couloirs et les extérieurs de l'unité, grâce à des caméras.  

Aurélien est étudiant infirmier, "des questions éthiques, on en a tous les jours" reconnaît-il. Il se souvient de la première fois où il a assisté à l'intervention des forces de l'ordre "ils étaient habillés, casqués, bouclier à la main et sont entrés dans la chambre, oui c'est impressionnant". 

Le tabac comme principale source de conflits 

"On sait que la tension peut vite monter" estime-t-il. Le plus souvent, c'est l'accès aux cigarettes qui cristallise les tensions "c'est pire que tout" affirme une autre soignante. Ici, la quasi-totalité des patients sont fumeurs "en détention, ils n'ont souvent que ça pour occuper leur temps".

Face à l'addiction, le racket est souvent la solution de facilité. Alors dans les salles des soignants, des pots de tabacs étiquetés s'alignent. La plupart des patients viennent chercher de quoi se rouler une cigarette au compte-goutte. "Mais je ne vais pas aller leur prendre la tête avec la nécessité d'arrêter de fumer" estime une infirmière. "Ils ont déjà tellement de choses à régler". 

Souvent, je dis aux gens que 99% de ceux qui arrivent ici ont eu une vie de merde. Et souvent, ça a commencé tôt.

Soignant à l'UHSA de l'hôpital Daumézon

"Parfois, ils prennent notre attention pour de la gentillesse" remarque de son côté Aurélien, "c'est à nous de savoir mettre la distance nécessaire, mais on cherche une alliance thérapeutique, pour pouvoir travailler avec eux". 

"Le rôle du soignant n'est pas celui du punisseur comme peuvent être perçus les surveillants" observe le Docteur D. Des détenus connus pour des violences sur les services pénitentiaires sont souvent, d'après elle, plus calmes au contact des blouses blanches. 

Composer avec les réalités de terrain 

Par un découpage territorial, les admissions peuvent se faire depuis la prison d'Orléans, mais aussi de Tours, Châteauroux, ou encore Troyes. Ce qui rend souvent les équipes médicales tributaires des disponibilités des escortes policières. Une seule est disponible sur la journée, il faut donc penser les entrées et sorties minutieusement, dans un contexte pourtant propice à l'urgence.

Tous les vendredis matin, c'est la réunion "blancs-bleus", pour passer en revue le nombre de lits occupés, les arrivées et départs, mais aussi les profils de chaque patient. Il est question, ce jour-là, de faire sortir un patient particulièrement agressif. "Il suffit d'un élément comme celui-là pour que le service soit sous tension" estime l'une des soignantes. Dans tout autre hôpital, la manœuvre serait possible. Sauf que là, c'est une veille de week-end et l'escorte est déjà prise. Il faut alors garder l'homme jusqu'au lundi après-midi, pour que les forces de l'ordre viennent directement le chercher. 

À l'inverse, une entrée devait se faire, une femme qui doit être jugée pour des actes de terrorisme, qui demande volontairement son hospitalisation. Alors que les équipes se préparent à la recevoir, le juge d'instruction de ce dossier refuse l'admission. Dans ce contexte, il en a le droit. Si son état se dégrade et la place dans un état de crise, l'hospitalisation se fera sous contrainte, et la justice n'aura plus la main. 

Gestion des états de crise 

Lorsqu'on est admis à l'UHSA, ce n'est pas pour un simple coup de déprime. Ici, on gère les urgences. Les patients sont amenés dans des états de crise. "La plupart des patients sont atteints de schizophrénie" détaille la psychiatre Coralie Langlet. Les admissions se font souvent sur des états délirants, ou alors des crises suicidaires. Les trois quarts sont admis sous contrainte. 

Davantage de personnalités antisociales arrivent jusqu'à la structure que dans un milieu non carcéral. Les soutiens familiaux ou amicaux sont plutôt rares, ou éloignés géographiquement. Un pilier en moins pour réussir à enclencher des mécanismes de guérison pour les patients.

Les équipes soignantes s'appuient en général sur les échanges avec les proches de leur patient. Ici, les patients ne contactent leurs proches qu'à travers des appels téléphoniques payants et contrôlés par les services pénitentiaires, et par les parloirs. Trois par semaine pour une personne en attente de jugement, un seul pour les condamnés. Ces temps sont cadrés par les surveillants, dans la partie "prison" de la structure. Le lien avec les soignants est donc plus difficile à tisser. 

En moyenne, un séjour dure 24 jours à l'UHSA. Avec une volonté, pour les soignants, de transformer l'état d'hospitalisation sous contrainte en un accompagnement consenti. Pour espérer ainsi enclencher un suivi thérapeutique et des soins adaptés sur le long terme. Les patients redeviendront détenus quoi qu'il arrive. "Accepter de prendre un traitement, c'est accepter d'être malade" souligne une soignante. Et en prison, ça rime souvent avec "vulnérable". 

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