"Faire exécuter les peines de prison ferme plutôt que les alternatives" : la proposition de loi du député Loïc Kervran "aggraverait la situation"

Le député Horizons du Cher, Loïc Kervran souhaite porter une loi afin de "renforcer l'exécution des peines d'emprisonnement ferme". Il dénonce le recours aux alternatives à la prison ferme, inefficaces selon lui. Une proposition qui vise rassurer la population et faire baisser la récidive, selon l'élu du Cher. Les spécialistes du milieu carcéral, eux, sont dubitatifs.

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Le député Horizons de la troisième circonscription du Cher, Loïc Kervran, l'assure : "Il y a un double intérêt à cette proposition : un intérêt vis-à-vis de la population qui a besoin d'être rassurée et aussi pour la récidive."

Le parlementaire a déposé, le 26 octobre dernier, une proposition de loi "visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme". Dans son viseur, la loi "Taubira" de 2014 et la loi pour la réforme de la Justice de 2019 encourageant l'aménagement des peines de prison ferme en dessous d'un an et interdisant les peines de moins d'un mois.

"J'ai pu aller à la rencontre de magistrats qui constatent et remontent du terrain que, depuis 2019, ça ne fonctionne pas pour la prévention de la récidive", insiste Loïc Kervran. Le député demande que toutes les peines soient exécutées, y compris les plus courtes. Une réponse, selon lui, à la récidive et à la surpopulation carcérale.  

Le système actuel en échec ?  

Pour appuyer sa proposition de loi, le député Horizons Loïc Kervran, explique se baser sur des travaux scientifiques ainsi que des échanges avec des magistrats sur le terrain. Selon lui, le constat est clair : la politique visant à aménager les peines en dessous d'un an est un échec total, notamment sur la récidive. "Dans le système actuel, la prison ferme arrive seulement pour des parcours de délinquances déjà bien connues. Alors que le but initial est qu'on ne revoit pas les mêmes délinquants", pointe-t-il.  

"Honnêtement, je ne vois pas comment on peut affirmer tout ça de manière aussi catégorique", répond un agent de Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip), souhaitant rester anonyme. La démographe carcérale, cheffe du bureau des études et de la prospective (PMJ5) au sein de la direction de l’administration pénitentiaire, Annie Kensey, s'étonne également. "Avec les enquêtes d'aujourd'hui, on ne peut pas savoir si la loi de 2019 a fonctionné ou non, car la plus récente traite des sortants de prison de 2016", souligne-t-elle. Plus encore, de nombreuses études ont démontré l'intérêt des aménagements de peine dans la récidive. "Je ne comprends pas, souffle un membre d'une association qui travaille en milieu carcéral. L'objectif est de ne pas revoir les gens en prison et il y a des choses intéressantes aux alternatives à la prison ferme. Au vu des conditions actuelles d'incarcération, je ne vois pas comment c'est possible." 

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"Sur la récidive, ce qu'on a prouvé, sur 20 ans d'enquête, c'est que l'alourdissement des peines n'a pas d'effet. Vous pouvez prononcer 15, 20 ou 30 ans, ce n'est pas ça qui va jouer, mais plutôt la nature de l'infraction", constate la chercheuse Annie Kensey. Selon Loïc Kervran, la politique pénale initiée depuis 2019, allonge la durée moyenne des peines, ce qui mène à la surpopulation carcérale. "En l'absence de courtes peines, la prison ferme arrive très tard dans un parcours délinquant. Pour que les peines soient appliquées, les juges doivent prononcer des peines plus longues. Pour ne pas enfermer les gens 3 semaines, on les enferme 7 ans", avance l'élu qui explique que l'on n'incarcère pas plus qu'avant mais plus longtemps.  

Les Pays-Bas, un exemple à suivre ?  

Une contre-vérité selon la criminologue, Martine Herzog-Evans. "Tous les tribunaux correctionnels expliquent aux jurés les réductions de peine et tous les juges savent qu'il faut mettre plus pour que la prison soit effectuée, explique la chercheuse. C'est déjà intégré dans la prise de décision. Ensuite, criminologiquement, ça n'a aucun sens de dire qu'il faut une dose d'incarcération déterminée pour réduire la récidive. 

Le député Horizons Loïc Kervran indique s'appuyer sur l'exemple des Pays-Bas, très souvent loué pour sa politique pénale. "D'autres pays exécutent des courtes peines de prison ferme et ça fonctionne. L'exemple le plus frappant est sans doute les Pays-Bas qui appliquent les courtes, voire très courtes peines. La récidive est bien moins présente", avance-t-il. En effet, en moyenne, la peine de prison aux Pays-Bas se situe autour de deux à trois mois, alors qu’elle se situe autour de huit à dix mois en France. Mais pour ce qui est de la récidive, Martine Herzog-Evans apporte quelques nuances : "Deux phénomènes parallèles ne sont pas forcément liés. Ce n'est pas dû à des politiques répressives… Aux Pays-Bas, ils ont surtout des formations et de la recherche extrêmement approfondies, parmi les meilleures du monde. Ils sont sur l'application de toutes les méthodes scientifiques dans toute la société, et forcément ça donne des résultats." 

"On sait que l'incarcération courte est criminogène. Elle est pire que l'incarcération de moyenne durée ou longue", continue la criminologue, définissant les courtes peines à compter d'un mois. Elle regrette pourtant la disparition des très courtes peines de 14 jours, comme en Suisse, qui ont des résultats, selon la chercheuse. "La première fois qu'un tribunal est tenté de prononcer une incarcération, commencer par une peine d'une ou deux semaines, c'est plus efficace que 6 mois, observe Martine Herzog-Evans. Mais on ne va pas bombarder avec l'arme nucléaire qu'est la prison, même pendant deux semaines tout et n'importe quoi. Déjà ce n'est pas faisable, ni finançable. 

Car Loïc Kervran l'avoue, sa proposition de loi aurait un "coût d'entrée" avec plus de monde en prison au début, mais réglerait la surpopulation à la longue. Pour cela, le député du Cher a plusieurs pistes : "Il y a déjà beaucoup de places en prison, d'autres sont en construction. Et puis on pourrait se dire que pour des courtes peines, il n'y a pas besoin du même niveau de sécurité dans les établissements carcéraux, qui sont très normés à ce niveau. Dédier des établissements aux courtes peines pour permettre de construire les places manquantes bien plus rapidement." Le parlementaire évoque également 4 000 places de prisons facilement libérables, car étant occupée par des ressortissants européens qui pourraient purger leur peine dans leur pays.

Un manque de conseiller d'insertion et de probation plutôt que de places de prison ? 

Pourtant, comme le relève Prune Missoffe, responsable des analyses et du plaidoyer de l'Observatoire International des Prisons (OIP), "entre 90 et 2024 le nombre de places de prison a augmenté de 25 152 pendant que le nombre de personnes détenues augmentait de 30 477." "Construire des prisons supplémentaires ne sert à rien la preuve, c'est qu'on a toujours plus de places et on incarcère beaucoup plus", constate, de son côté, la démographe Annie Kensey. Chacune avance plutôt le manque de moyens des Services pénitentiaires d'insertion et de probation, en sous effectifs, au contraire de ceux alloués à la construction de prisons, en 2024, 123 millions d'euros contre 634 millions d'euros dédiés à la construction

La criminologue, Martine Herzog-Evans, avance, elle aussi, le manque de moyens mis en place pour le traitement des personnes incarcérés. "Déjà s'il y avait moins d'incarcérations - ça coute une fortune - et qu'on mettait beaucoup plus d'argent sur la probation et la formation des agents. Il faut vraiment qu'on ait les formations dont on a besoin parce que là, on ne peut plus continuer avec des gens qui n'ont fait que quelques semaines de criminologie à l'École nationale de l'administration pénitentiaire", milite-t-elle.  

Comment on peut attendre des personnes de comprendre la sanction et de retrouver une place dans la société si pendant quelques semaines, quelques mois ou quelques années, on les soumet à des traitements inhumains et dégradant ?

Prune Missoffe, responsable des analyses et du plaidoyer de l'Observatoire International des Prisons

Selon les données du ministère de la Justice sur les sortants de prison de 2016, en moyenne après 4 ans, 55 % des personnes ayant bénéficiées d'un aménagement de fin de peine ont récidivé contre 61,2 % pour ceux qui n'en n'avaient pas reçu. "En 2022, selon le ministère de la Justice, nous avons 67,7 % des personnes condamnées qui sortent de prison sans aménagement de fin de peine, poursuit Prune Missoffe. Ces aménagements ne sont pas des faveurs, ce sont des modalités d'exécution de peine décidées par un juge et un dispositif prévu dans la loi comme une disposition de transition entre la prison et le retour à la liberté. C'est pour le bien de la société toute entière, quand on sait la désocialisation produite par la prison, l'aménagement de fin de peine est un accompagnement nécessaire." 

À l'Observatoire International des Prisons, on pointe également les conditions de détention en France. Selon Prune Missoffe, la proposition de loi de Loïc Kervran aggraverait la situation, en plus d'être démagogique. Elle en veut pour preuve les 155 % de taux moyen d'occupation en maison d'arrêt et 3 600 personnes qui dorment sur des matelas au sol. "Beaucoup de personnes détenues n'arrivent pas à voir leur conseiller d'insertion et de probation, car elles sont trop nombreuses et le nombre de conseillers sous-dimensionné. La personne va sortir de prison encore plus désocialisée qu'elle ne l'était avant et c'est ça le point sur lequel on devrait travailler si on veut améliorer la situation, plaide-t-elle. Il faudrait déjà que les prisons ne soient pas des endroits où les droits fondamentaux sont constamment bafoués."  

En juillet 2023, un rapport parlementaire des députées Caroline Abadie (LREM) et Elsa Faucillon (PCF) soulignaient l'efficacité de l'alternative à la prison ferme et encourageait sa poursuite. Un discours qui dénote avec la proposition de loi de Loïc Kervran qui a également pour objectif de "rassurer la population" et son sentiment d'insécurité. Une volonté politique que le député ne cache pas. Il espère porter sa proposition au printemps prochain.  

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