Laélia Véron, la linguiste qui a conquis Twitter

A 32 ans, cette enseignante-chercheuse passionne Twitter, où elle démonte le mythe d'une langue française figée et intouchable. 

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"Aimer la langue, ce n'est pas en faire un objet dans une boîte en verre qu'on ne peut absolument pas toucher. Au contraire, c'est s'en saisir, la parler, l'écrire, se poser des questions dessus." A 32 ans, tasse de café à la main dans son jardin de Meung-sur-Loire, Laélia Véron est le cauchemar de l'Académie Française.

Elle est enseignante-chercheuse, spécialisée en langue française et stylistique. Pas précisément le profil d'une icône des réseaux sociaux. Elle est pourtant suivie sur Twitter par 38 000 personnes. "J'y suis allée grâce à une autre universitaire, qui était déjà très populaire, c'est Mathilde Larrere, qui est une amie. Moi, je n'étais pas convaincueMais j'ai aimé ce qu'elle faisait, comment elle s'adressait à des personnes qu'on n'atteignait pas" reconnaît la linguiste. Sur Twitter, elle rencontre aussi son sujet de thèse : le trait d'esprit. "Dans Balzac, j'essayais de voir les mécanismes d'inclusion et d'exclusion par les petites phrases qui montrent des connivences humoristique, idéologique, de valeurs... s'enthousiasme-t-elle. Et bien sûr qu'on retrouve ça sur Twitter, la phrase qui tue."

La passion pour les mots peut naître n'importe où. Pour certains et grâce à elle, c'est derrière un écran. Pour elle, ça a commencé avec une singulière passion d'enfant pour Emile Zola. "Je jouais à Zola avec mes playmobil. Je faisais des grèves, comme les mineurs, je reconstituais le magasin de Au bonheur des dames... Ça fait un peu psychopathe !" confie Laélia Véron avec un rire.
 

Péril mortel


"A propos du mot féminicide", "Est ce que vous connaissez le mot schibboleth ?", "Fil linguistique sur le "petit nègre" : nombreux sont les angles d'attaque de Laélia Véron sur le réseau à l'oiseau bleu. Mais ils ont tous la même visée : réfléchir sur la langue, et se la réapproprier. Un travail qui, en France, se heurte à une certaine mystique. 

"On a l'impression que c'est notre culture, notre identité, et on ne se rend pas forcément compte de ce qu'on projette dans la langue et qui n'est pas la langue. C'est un réflexe humain, admet-elle. Et en France, on a le poids médiatique de l'Académie Française, qui à l'habitude tenir un discours de "péril mortel". Péril mortel pour l'écriture inclusive. Quand c'étaient les langues régionales, ils comparaient ça aux guerre du Kosovo, ils n'ont aucune honte."


"On est mieux quand on parle entre nous"


Même si, comme stylisticienne, elle conçoit son rôle comme un rôle d'analyse, difficile de garder son sang-froid face à certains usages de la langue, notamment politiques. "Ce qui m'énerve, c'est l'indigence d'une certaine langue de bois politique qui est complètement abstraite, qui prend les gens pour des imbéciles en jouant sur une apparence de complexité. Et c'est pas ça aimer la langue, et c'est pas ça une pensée complexe !" avertit-elle. 

Pour cette militante de gauche, le langage comme enjeu de pouvoir est depuis longtemps une bataille du politique. Dans le choix du porte-parole, dans les thèmes que l'on amène à la discussion... Pourtant, dire est un pouvoir sans cesse confisqué par les mêmes personnes. "On l'a vu avec les gilets jaunes : certaines personnes n'ont pas le droit d'avoir une parole politique. On a bien vu les réactions de Macron, qui parlait de "Jojo le gilet jaune" ou des "mots d'un boxeur gitan". C'était vraiment : "Ne prenez pas la parole, on est mieux quand on parle juste entre nous !" singe-t-elle. La langue comme outil politique, comme outil social, Laélia Véron la décortique dans son livre sorti en avril dernier, Le français est à nous, écrit avec la docteure en linguistique Maria Candea. "Ce qui nous faisait le plus plaisir, c'est quand on rencontrait des gens qui nous disaient que ça les avait décomplexés, que ça les avait remotivé pour parler, ou écrire, ou apprendre le français" se réjouit la stylisticienne.  

L'accès à la parole


Les complexés de l'orthographe, elle les croise moins souvent à l'Université que sur son autre lieu de travail. "En prison, j'ai souvent des gens qui s'expriment vraiment bien à l'oral, qui ont la tchatche, qui savent vraiment bien argumenter, mais qui ont du mal à passer à l'écrit."

En détention, elle se confronte à un autre public, à qui elle essaye d'appliquer les mêmes règles. "Je pense que, spontanément, tout le monde s'adapte. Ce qui est vrai, c'est à quel point ça peut être artificiel. Moi, ça me met toujours hyper mal à l'aise quand des gens projettent sur un public une certaine manière de parler. Mes étudiant.e.s, que ce soit à la fac ou en prison, je les appelle par leur prénom et je les vouvoie. Dans les deux cas, ce sont des adultes." Il y a bien eu quelques réglages à faire, pas là où Laélia Véron aurait pu s'y attendre. "Ils trouvaient que je leur faisais trop de compliments, parce que je leur dis quand c'est bien. C'est pas forcément ce que disent mes étudiants à la fac, rit la jeune chercheuse. C'est eux qui m'en ont parlé, en disant que voilà, en prison, on a l'habitude qu'on nous la mette à l'envers, donc si quelqu'un nous fait des compliments, on va être méfiants." 

Dans un environnement carcéral parfois mutique, les cours sont une forme de libération. "Souvent les gens ont très envie de parler, on organise des débats. Échanger de manière politique ou citoyenne, c'est aussi ça l'accès à la parole" remarque-t-elle. Un même cheval du bataille, derrière les barreaux, derrière les pages, ou derrière l'écran. 
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