L'ashram Sivananda de Neuville-aux-Bois, dans le Loiret, est accusé par plusieurs stagiaires en formation d'avoir fait preuve de laxisme face au covid-19 et d'avoir dissimulé l'émergence d'un cluster estimé entre 14 et 35 cas au cours de la première quinzaine d'août.
"On a beau être une communauté spirituelle, ce n'est pas en agitant des clochettes et en répandant de l'encens qu'on va se protéger du covid !" A peine rentrée d'une session de formation comme professeur de yoga à l'ashram Sivananda de Neuville-aux-Bois, Annette* ne décolère pas. A partir du 1er août, cette "congrégation monastique reconnue par le gouvernement français", comme elle se définit sur son site web, devait accueillir une promotion d'une cinquantaine de futurs professeurs pour une formation d'un mois, brutalement interrompue après une quinzaine de jours.
Cet "ashram", du terme sanskrit désignant un "ermitage", a été établi en 2003 comme le premier sanctuaire de l'école Sivananda en Europe. Fondée en 1957 par le yogi indien Swami Vishnudevananda, cette organisation à but non lucratif compte 11 ashrams et 31 centres dans le monde entier, dédiés à l'enseignement d'une philosophie "intégrale" du yoga. Depuis 2019, elle est également au centre d'une controverse liée à des abus sexuels dénoncés par plusieurs femmes ayant fréquenté Vishnudevanda.
Une "formation" à plusieurs milliers d'euros
En amont de la formation, dont le coût affiché sur le site web de l'ashram varie entre 2575 et 4255 euros, la congrégation envoie un mail à ses participants pour leur rappeler d'être testés au covid-19 moins de 48 heures avant le début du séminaire, et leur rappeler divers gestes barrières et précautions sanitaires.
Toujours par précaution sanitaire, les 51 participants sont encouragés à ne pas trop sortir de l'ashram, et leurs familles ne peuvent pas leur rendre visite. "Les gens venaient de Bordeaux, Toulouse, Rennes, Paris, de partout", ajoute Béatrice*, également inscrite à la formation. "Moi je suis vaccinée, mais j’ai fait le test en plus, poursuit-elle. Mais je suis sûre qu’ils n’ont pas vérifié. Des personnes ont pu participer au stage sans avoir envoyé leurs papiers !"
D'abord rassurées par les précautions sanitaires affichées par la structure, les deux participantes déchantent rapidement. Le 4 août, sans que les futurs-professeurs de yoga en soient informés, entre 40 et 60 nouveaux arrivant débarquent pour une semaine de "bhakti", un mode d'adoration qui fait partie intégrante de l'hindouïsme, jusqu'au 11 août. Puis arrivent des personnes en "vacances de yoga", un mode de séjour qui fait également partie des services proposés par l'ashram. "Entre temps, il y a eu aussi une formation sur 'la biologie du bonheur' animée par une personne venue d'Allemagne", se souvient Annette*, ainsi qu'une nouvelle fournée de stagiaires à partir du 13. Pourtant, dans son mail daté du 27 juillet envoyé à ses stagiaires, l'ashram mentionnait explicitement : "nous n’aurons pas d’autres stagiaires ou visiteurs à l’ashram pendant la formation."
Contacté par France 3, le centre de formation explique cette affluence par une simple erreur dans le mail, qui est copié d'un modèle utilisé l'année précédente. "Normalement on a vérifié tous les tests PCR", tous négatifs, insiste cependant la responsable de l'ashram, Florence Aillot, confinée sur place avec le personnel.
Une centaine de personnes "mélangées, chantant allègrement, sans masque"
Mais très vite, des symptômes apparaissent, et des rumeurs circulent. La structure, qui annonce que quatre membres du "staff" sont déjà positifs au covid-19 et sont confinées, fait acheter des auto-tests à tous ses élèves. Le 12 août, quatre premiers cas apparaissent, qui sont ensuite confirmés par test PCR. Le 13 août, affirme-t-elle six autres cas sont détectés. Le 15, ils sont dix de plus, mais tous n'ont pas été confirmés par test PCR. "Alors que la promo de professeur de yoga devait être seule dans l'ashram, il y a eu une petite centaine de personnes qui ont défilé sur le lieu, s'indigne-t-elle. Tout le monde a été mélangé, chantant allègrement, sans masque."
Et en effet, sur les photos partagées sur les réseaux sociaux, on voit apparaître des dizaines de personnes réunies sans masque et proches les unes des autres, ainsi que ce qui ressemble à des dortoirs.
"Un an après le début d’une crise sanitaire pareille, je ne comprends pas", s'insurge pour sa part Béatrice*, qui n'hésite pas à qualifier le manque de réaction de l'ashram de "honteux". "Comment faire ce genre d’erreurs ? Ils n’ont pas désinfecté la chambre, j’ai dormi trois nuits à côté de draps contaminés, ils ne sont pas venus aérer, ni mettre de désinfectant, rien ! Nous sommes trois ou quatre par chambre dans l’ashram !" En confrontant leurs chiffres, les deux stagiaires avancent le chiffres de trente-cinq cas au cours du week-end.
Il y en a une qui est asmathique, couchée depuis 4 jours, son père est venu la récupérer, et ses affaires sont toujours sur place !
Du côté de l'ashram, Florence Aillot avance des chiffres très différents : "Ça a commencé jeudi [12 août, NdR], on a reçu l'information que deux personnes, qui avaient quitté déjà l'ashram, avait été testées positives. Le lendemain, d'autres personnes ont commencé à avoir des symptômes, et donc nous avons alors décidé de tester immédiatement l'ensemble des élèves ainsi que tous les membres du personnel. Suite à cet auto-test on a eu huit personnes positives, on leur a demandé de le confirmer par un test PCR. Dimanche, elles ont reçu la confirmation que c'était positif donc on les a isolées. Suite à cela, on a re-testé tout le groupe dimanche, et suite à ce deuxième auto-test on a eu neuf autres personnes de la formation positives, et cinq membres du personnel également, suite à quoi nous avons pris la décision de fermer immédiatement l'ashram et de demander aux gens de rentrer s'isoler chez eux."
Des réactions trop tardives ?
De fait, le dimanche 15 août, dans un mail que France 3 a pu consulter, l'ashram prévient prévient ses élèves que "deux personnes qui séjourné à l’ashram entre le 4 et le 11 août ont été testées positive au covid une fois rentrées chez elles", et leur demande de "prendre des précautions". Or, ce nombre de deux cas, difficilement vérifiable, doit être questionné : il est en-dessous des quatre cas avancés par les deux témoins, qui ont été confirmés par test PCR, mais il est également en-deçà du seuil de trois cas à partir duquel on parle de foyer d'infection ou "cluster". C'est seulement le lendemain, le lundi 16 août, que l'ashram Sivananda annonce par mail en fin de matinée la fermeture du site pendant dix jours et enjoint les participants à se faire dépister.
Enfin, l'Agence régionale de santé (ARS), reçoit par mail au cours de l'après-midi le même jour le signalement d'un cluster au sein de l'ashram, avec les mêmes chiffres : "deux premiers cas détectés le jeudi 12 août", suivis d'une dégradation soudaine au cours du week-end aboutissant à "14 cas confirmés" ce lundi 16 août. "La structure est en train d'établir la liste précise des personnes qui ont séjourné dans ce centre entre le 4 août et aujourd'hui", précise le directeur de cabinet de l'ARS, Christophe Lugnot, et les investigations de "traçage" sanitaire ont été lancées pour déterminer combien de personnes exactement ont été contaminées par le virus et, surtout, quand.
Du côté d'Annette* et Béatrice*, l'inquiétude a en tout cas fait place à la colère et à l'indignation. "Il y a des gens fragiles, faibles, qui y vont et qui croient qu'ils vont être protégés" au sein d'une communauté spirituelle se désole Annette*. "Sous couvert de spiritualité, on ne renvoie pas trente personnes covidées chez elles, c'est scandaleux !" renchérit Béatrice. "Les établissements qui accueillent du public ne doivent pas nous mentir."
A l'ashram, une quinzaine de membres du personnel permanent est désormais confinée sur le site selon nos informations.
Mise à jour le 19 août : selon l'ARS, un total de 32 cas a été confirmé en relation avec l'ashram de Neuville-aux-Bois, mais un certain nombre de personnes doivent encore être contactées.