"Merde, il faudrait peut-être faire quelque chose !" : elles s’engagent contre les féminicides

Face à un phénomène qui explose et à un manque d’action politique, quatre jeunes femmes racontent pourquoi et comment elles se sont engagées dans la lutte contre les féminicides.

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Papier,  colle, bombe de peinture, et toute la discrétion possible. Cet attirail, elles le partagent avec bon nombre d’artistes de rue. Mais ce n’est pas l’art qui motive Audrey, Ines et Jeanne. Elles appartiennent au groupe des "colleuses" d’Orléans.

"J'étais à Paris cet été, j'ai vu les collages apparaître un peu partout. Je ne savais pas trop ce que c'était, avant de tomber sur le compte Instagram" entame Jeanne, 20 ans, l'une des créatrices du groupe orléanais.

Depuis près de deux mois, elles affichent sur les murs de la ville des slogans pour alerter et lutter contre les féminicides. "Parfois, c'est seulement le nombre de féminicides : on va juste voir "122". Il faut qu'il y ait un impact dans l'esprit, pour que les gens se demandent ce que ça veut dire" illustre Ines, 24 ans.

Car selon les associations et médias qui tiennent un rigoureux décompte, ça y est. L’année 2019, à 70 jours de sa fin, a tristement battu le record de l’an dernier. 122 femmes sont mortes, victimes de leur conjoint ou ex-conjoint.

La violence de genre, dans laquelle le féminicide puise sa source, Audrey, 26 ans, l’a vécue de près. "Les gens minimisent les actes, les paroles. Dans mon entourage, j'ai pu entendre "c'est qu'une claque, c'est rien". Mais c'est déjà trop, en fait. Non, c'est n'est pas qu'une claque, c'est une claque. Il serait temps qu'on voie les choses sous cet angle-là" tranche-t-elle.
 

"Quand j'ai voulu déposer plainte..."


Macabre cerise sur un triste gâteau : selon une enquête menée par Le Monde, un tiers des victimes mortes en 2018 avaient appelé à l’aide, par un dépôt de de plainte, ou de main courante. "C’est important de se faire entendre, de se faire écouter, précise Audrey. Je trouve ça dommage qu'en 2019, on doive encore se battre pour nos droits. J'espère que les hommes, les femmes, ouvrent les yeux. Qu'en voyant ces collages, ils se disent : "Merde, il faudrait peut-être faire quelque chose !" 

Même constat pour Ines, qui a aussi pu apprécier directement le passage par la case police. "J'ai été la cible d'un homme qui me suivait dans la rue, qui a retrouvé mon adresse, il m'envoyait des vidéos de viol en me disant "tu seras la prochaine". Quand j'ai voulu déposer plainte, on m'a conseillé d'aller plutôt dans le Cher, en me disant que la suite de la procédure était plus laxiste dans le Loiret, et trop lente. On m'a agressé devant ma mère. Il y avait des témoins, des caméras, mais je n'ai jamais eu de suite à mes plaintes" déplore la jeune femme.

Le mauvais accueil dans les commissariats a été cartographié en 2018 par l’association féministe Le Groupe F. Et à ce jeu-là, la région n’est pas gagnante. Refus de prendre la plainte, dissuasion, culpabilisation... La liste des humiliations est parfois longue. En septembre, dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, Christophe Castaner a pris la décision de mener un audit sur les pratiques de 400 commissariats et gendarmeries à travers la France. 
 


Budget : l'anarque des grandes annonces


Mais pour Ines, c’est très clair. Ce n’est pas la police qu’elle veut dénoncer, mais plutôt "le manque de moyens" avec lequel les forces de l’ordre doivent composer.

Nerf de la guerre comme chacun sait, la question du budget n’est pas la moins sensible. Début octobre, Marlène Schiappa avait annoncé 1 milliards d’euros d’investissement consacré à l'égalité hommes-femmes. Surprise : après analyse du détail, il n’en reste pas grand-chose. Par exemple, la somme comprend 138 millions de dépenses liées à l’Education Nationale. "Ces dépenses correspondent au salaire des enseignant.e.s de 1er et 2nd degré. En effet, le gouvernement considère que chaque enseignant.e parle d’égalité aux élèves et donc qu’une partie de leur salaire concoure à l’égalité" ironise la militante Caroline de Haas. L’action du gouvernement en matière de violences faites aux femmes ne convainc pas plus les trois jeunes militantes. "J'ai l'impression qu'il y a eu une "mini" prise de conscience. Mais c'est terminé, ils sont passés à autre chose", considère Jeanne. "On se donne bonne conscience, de petits groupes de paroles, une petite mise en garde-à-vue, mais c'est tout. Il n'y a pas d'effort, en fait" abonde Audrey.
 

Sur la route de Compostelle


L’effort, Marie Albert connaît. Le 4 septembre, cette jeune journaliste a entamé une marche contre les féminicides. Chaque jour, elle dédie ses kilomètres à l’une des victimes. "En France, il y a tous ces groupes de collage. Moi, je suis seule, je voulais faire ma part. Je récolte des infos sur les féminicides, et chaque soir, j'en parle sur les réseaux sociaux. Si je peux sensibiliser ne serait-ce qu'une personne, ce sera déjà pas mal !"

Pour son périple, elle a pris la route de Saint-Jacques de Compostelle, en Espagne. "J'ai découvert qu'en Espagne, il y a trois fois moins de féminicides qu'en France. Parce qu'il y a une vraie politique menée depuis des années, qui a fait chuter ces crimes. Donc c'est possible, c'est pas juste un fantasme !" ironise-t-elle.A mesure que son initiative prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux, Marie commence à recevoir des messages de femmes qui partagent avec elle leur souffrance. "Des femmes qui ont été battues, dont les mecs ont agressé leur propre fille, ou qui doivent fuir en avion parce que personne ne les écoute..." énumère-t-elle, émue.

La jeune femme, qui vient de terminer sa marche, est rentrée chez ses parents quelques temps. Un peu fière d’elle, un peu amère. "Je me dis toujours : ça sert à quoi en fait ? On répète toujours la même chose, tout le monde en parle, et tous les deux jours on apprend un nouveau meurtre, soupire-t-elle. Je ne sais pas ce que je peux faire de plus."
 
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