Une récente étude sur la perception de la pauvreté par les Français montre que les clichés à l'encontre des personnes en situation de pauvreté sont encore tenaces. Nous les avons confronté à la réalité avec Nicole Riffault, 75 ans, bénéficiaire du Secours Populaire d'Orléans Centre.
"Déjà, je sors la petite chienne, à 6heures du matin, parce que je suis une lève-tôt et une couche-tard ! Et puis après je fais mon manger, et tout. Je fais mon ménage. Si y'a personne, je fais pas ! Moi vous savez, j'suis simple. Et puis je m'en vais sur le bord de Loire. Je rencontre des gens, j'dis : "Bonjour, bonsoir, vous allez bien". Et puis une petite conversation, et une autre conversation... "Nicole Riffault a 75 ans, et elle nous accueilli ce matin dans son petit appartement, Quai du roi. Elle est souriante, bien peignée, essaie d'empêcher la petite chienne en question de se laisser déborder par l'enthousiasme. La vie d'une retraitée ordinaire.
"Je ne dis pas aux autres gens que je vais au Secours Populaire. Les gens vont dire : "Attends, elle a besoin de ça, elle ?" Ils ne connaissent pas la vie des gens, c'est ça qu'il faut se dire. Ils croient qu'on touche des 100 et des 1000, des grosses retraites."
"Faut qu'j'm'en sorte"
Nicole, elle, touche 600 euros par mois. Après le loyer, l'électricité, le gaz, la mutuelle, il lui reste chaque mois un peu moins de 100 euros pour vivre. Depuis une dizaine d'années, elle est bénéficiaire de l'aide de l'antenne du Secours Populaire d'Orléans Centre.
"Ils m'aident à m'en sortir, avec la nourriture. Parce que c'est dur, hein. Tous les ans, je ramène mes papiers. Ma feuille d'impôt, mes ressources. Alors, le monsieur me dit : "Ah oui, c'est toujours pareil, quoi." Je lui dis : "Vous savez, les retraités aujourd'hui, ils n'ont pas grand chose." Il me dit : "Oh ! Je sais ça."
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— LCI (@LCI) 15 mars 2018
Jeune, Nicole Riffault connaît une "vie d'enfer". Mariée à 18 ans, elle arrête l'école avant le certificat d'études. Mère au foyer, elle élève 7 enfants aux côtés d'un conjoint alcoolique, et violent. "C'était pas marrant, quoi. Si j'ai divorcé, c'est bien dû à tout ça !".
A 50 ans passés, elle arrive dans un foyer, à l'Argonne et commence à travailler. "C'était de l'intérimaire, mais je prenais. J'ai fait les conserves : Maingourt, Gravier, tout ce qui s'ensuivait, quoi. Je me disais : faut qu'j'm'en sorte, faut qu'j'm'en sorte."
Vendredi, 14h15 : Secours Populaire
C'est au foyer qu'on lui explique qu'elle a droit à des aides sociales, et qu'on la dirige vers le Secours Populaire. Entourée de sept enfants, 28 petits-enfants, et 28 arrières petits-enfants, Nicole Riffault détonne un peu au milieu de gens qui, pour beaucoup, sont aussi conduits ici par la solitude. "Ma famille n'a pas d'argent", tranche-t-elle.
Et la vie devient de plus en plus dure. "C'est même affreux. Vous vous dites : "je touche ça, je dois payer ça, et ça, ça a encore augmenté !" Je n'peux rien me payer, moi. Je ne peux pas m'acheter des vêtements neufs, c'est mes vieilles affaires. Mais ça fait rien, elles sont propres, elles sont lavées, elles sont repassées. J'en suis pas plus mécontente !"
Ses petites-filles, de temps en temps, lui font cadeau d'un vêtement ou d'une fleur qui la ravissent toujours.
L'une d'entre elles, Paloma, l'accompagne lorsqu'elle va chercher ses vivres au Secours Populaire, avec son chariot de courses. Pour éviter les files d'attentes du mercredi, de plus en plus interminables au fil des années, Nicole y va le vendredi, à 14h15.
"L'ambiance a toujours été très bien, là-bas. Les gens, ceux qui servent et ceux que je connais, ils sont super ! Ils me disent : "Alors madame Riffault, ça va ? Et les petites, ça va ?" Vous voyez, ils savent que c'est moi. Et puis pour les sorties : "Madame Riffault ça vous intéresse une sortie ?
La réponse est toujours oui. C'est sa seule petite folie.Tous les ans, Nicole économise pour sa seule journée de vacances, en août, avec l'association. "Evidemment, je paye, c'est normal ! Un euro par là, 50 centimes par ci, mais j'y arrive !"
"Aidez les jeunes !"
Nicole Riffault, qui s'intéresse un peu de politique, regarde de temps en temps les nouvelles à la télé. "Mais, vous savez, des fois je me dis : y'en a marre, c'est toujours pareil. [Des gens qui ont besoin des aides], il y en a encore, il y en aura toujours. Il y en a de plus en plus. Moi, ça me fait de la peine. J'ai des petits-enfants, je pense toujours à la génération qui arrive. Mais qu'est-ce qu'ils vont devenir ?"
A 75 ans, elle ne voit plus ses conditions de vie s'améliorer, mais voudrait voir l'Etat s'investir davantage aux côtés des jeunes. "Ce qu'il manque c'est ça : aidez les jeunes ! Au moins, qu'ils s'en sortent pour plus tard ! Y'a bien des choses qui peuvent les aider. Je ne demande pas qu'on leur donne des paies entières... Mais une petite bourse, quelque chose. Si ils ont envie de s'acheter un petit pantalon, un haut, bah ils pourraient..."
Honte ? Non merci
Un souhait qui serait bien à contre-courant de la majorité. Dans une étude de l'Ifop, parue début Juillet, 61% des français estimaient que "les individus sont responsables de leur propre bien-être et ils doivent eux-mêmes se prendre en charge".
On s'enquiert auprès d'elle de ces personnes qui, selon le responsable de l'antenne, Jean-François Lunebitz, renoncent à passer la porte du Secours Populaire, par peur du regard des autres.
"Moi, ça ne sera pas mon cas. Je vous jure, s'il y a des gens qui disent : "J'ai honte"... N'ayez pas honte. Ce n'est pas une honte, c'est que vous avez besoin. Ça nous aide, tout simplement."