"On perd une certaine identité, liée à notre indépendance" : événements Esport, le jeu périlleux des partenariats

Dans chaque événement esport, marques et acteurs publics sont devenus des partenaires indispensables à l'aura et à l'organisation. Mais des pratiques douteuses inquiètent une partie de la profession. 

Mairie d'Orléans, région Centre, Caisse d'Epargne, Aorus, Playstation, NRJ... Tous ces acteurs ont un point commun : ils font partie des partenaires de l'Orléans Game Show, événement Esportif qui a clôturé hier soir sa troisième édition. 

"S'il n'y avait pas la mairie, il n'y aurait pas d'événement. Au-delà de l'aspect subvention, qui est important : la mise à disposition du Palais des sports, de tables, de chaises, de fleurs, de base câbles... Ils nous aident sur tellement de points, on pourrait sigler l'événement Mairie d'Orléans" détaille l'organisateur, Jean-Charles Grivau. 

Les élus avaient d'ailleurs été relativement faciles à convaincre, après la première édition en 2015. "On avait simplement demandé à Mathieu Langlois (l'adjoint au numérique de la mairie, ndlr) de passer. Et puis quand l'événement a eu lieu, les élus ont été super emballés. Ils nous ont dit : "Mais pourquoi vous n'avez pas demandé ? On vous aurait aidés !"
 

Acteurs publics vs acteurs privés


Pour Tony Rubio, rédacteur spécialisé et membre de l'association France Esports, "les acteurs publics arrivent dans un milieu où on les injecte", mais ont le mérite d'élargir le public. "A la Gamers Assembly de Poitiers, par exemple, le Grand Poitiers a mis à disposition le Parc des expositions, mais à condition que les organisateurs mettent le paquet sur les familles. Et pour ça, il faut des stands adaptés, comme par exemple sur l'addiction aux jeux vidéos."

En subventionnant ces événements, les pouvoirs publics s'amarrent à un secteur qui pesait, en 2016, "un chiffre d'affaire de 28 millions d'euros et un taux de croissance de 14% par an", selon la très récente "Etude territoriale de l'Esport en région" commandée par le Centre-Val de Loire. Avec eux, les organisateurs sont, sinon en position de force, au moins sur un pied d'égalité.   Le jeu change dès qu'ils doivent s'adresser aux acteurs privés et en particulier ceux du milieu ou ceux qui ont un lien exclusif avec un influenceur star. Quand ils investissent en espèces sonnantes et trébuchantes, cet argent va souvent à la dotation des compétitions, les cashprize. Autre cas de figure : l'échange de bons procédés sur la communication et la visibilité. 

"Si tu n’as pas ces partenaires, tu vas avoir des cashprize a priori plus faibles et entrer dans un cercle vicieux. Sans gros cashprize, tu n’as potentiellement pas de grosses équipes, et donc pas d’influenceurs, et donc certaines personnes ne viendront pas" expose Tony Rubio. De plus, les marques participent largement à l'animation des événements, en installant des stands souvent bien conçus et bien équipés.
 

Des marques toujours plus voraces


Conséquences : les grosses marques sont à même d'imposer certaines exigences. En trois ans, Jean-Charles Grivau estime avoir réussi à garder le contrôle, même s'il reconnaît que des partenaires ont déjà pu se montrer insistants. "Certains ont beaucoup, beaucoup de petites demandes qui à la fin sont lourdes à gérer. C'est "est-ce que vous pouvez faire un tweet ?", puis ", "est ce que vous pourrez diffuser notre spot sur scène, même si c'était pas prévu ?", puis "est ce que vous pouvez faire une annonce au micro"... Ils poussent toujours le bouchon un petit peu plus loin", sourit-il. C'est vrai, c'est le jeu.

Mais une partie de la profession s'inquiète de pratiques de plus en plus agressive. "J’ai eu une expérience qui m’avait choqué, se souvient Tony Rubio. En 2018, il y a eu un tournoi Fortnite en partenariat avec Samsung, et la compétition portait le nom de la marque. C’était une grosse pub pour le Samsung Galaxy Note 9, ils avaient payé les influenceurs pour qu’ils jouent le tournoi là-dessus. L’intrusion de la marque était extrêmement agressive." Une pratique qui n'a rien d'isolée.  Autre exemple : à la Dreamhack de Tours, cette année, les joueurs pouvaient se faire livrer leur Burger King devant leur ordinateur. "Moi je pars du principe que si on veut une certaine éthique, on ne peut pas s’associer, ou donner trop de visibilité, à certains acteurs. Mais organiser un événement coûte cher. Les organisateurs disent : "ok, mais si Mac Do arrive et pose 50 000 sur la table, pourquoi je dirais non ?" complète le rédacteur qui a lui-même pris part aux auditions de l'étude régionale. 
 

"A quel point ça doit nous influencer ?"


Les organisateurs de tournoi discutent entre eux, et connaissent les partenaires agressifs. Il n'en reste pas moins que certains se sont rendus indispensables, notamment via leurs contrats avec les gros influenceurs du jeu vidéo. "Si par exemple, tu as un stand avec Omen, ils vont faire venir Skyyart. Si tu n'as pas Ranstad, tu n'auras pas Luffy...Avec respectivement 300 000 et 20 000 abonnés sur Twitter, facile de mesurer l'enjeu.  "Je me dis qu’on est en train de perdre une certaine identité qui était liée à notre indépendance. J’ai peur que les grosses marques mettent la main sur notre pratique et qu’elle se transforme. Mais les gens voient ça comme "être pris au sérieux". On s’intéresse à nous, on n’est plus pourri par les médias… On nous donne notre légitimité, mais à quel point ça doit nous influencer ?"

Lui rêve de joueurs rémunérés avec un salaire fixe, et donc moins dépendants des cashprize, ce qui affaiblirait l'emprise des marques. En 2016, une loi a rendu applicable à l'Esport les CDD qui encadre le secteur sportif, éloignant certains du statut périlleux d'auto-entrepreneur. Le dispositif reste soumis à un agrément du ministère. Le chemin sera long. 
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