Ce mardi 22 mai, au deuxième jour du procès de l'ancien prêtre Olivier de Scitivaux, trois frères parties civiles et leurs parents ont raconté leurs liens avec l'accusé. Un ami proche, presque un membre de la famille.
"C'était le fan-club de Scitivaux, ce qu'il disait était parole d'évangile." A la barre, Quentin se souvient de l'époque où, enfant, il voyait toutes les semaines l'ancien prêtre Olivier de Scitivaux. L'abbé venait souvent chez ses parents, au début des années 1990. "C'était un ami, avec un grand A", se souvient la mère de Quentin.
Sauf que, à chacune de ses visites, le religieux aurait agressé sexuellement l'enfant, alors âgé de seulement une dizaine d'années. Il est également accusé d'agressions sexuelles et de viol par les deux frères de Quentin, et par un de leurs amis de l'époque.
Pendant plus de dix ans, Olivier de Scitivaux se serait rendu coupable de caresses, fellations, pénétrations sur les trois enfants.
"Mon père pleurait, à quatre pattes sur un parking"
Ce n'est qu'après le déclenchement de l'enquête judiciaire, en 2018, que les frères découvrent qu'ils sont tous les trois victimes. Chacun se pensait seule victime. Ils décident d'annoncer la nouvelle à leurs parents. Le moment propice pour leur faire entendre la vérité : un voyage, que les parents prévoient à Tahiti, pour rendre visite à leur fils Pierre qui y réside. "Au moins, ils auront la mer", explique Pierre, à la barre des assises du Loiret, ce mardi 22 mai à Orléans.
Il se souvient d'un trajet en voiture. Sa mère lui demande s’il a des nouvelles de l'affaire Scitivaux, dont les premiers échos étaient parus dans la presse. Il leur annonce avoir été victime, avec ses frères.
J'ai vu ma mère se décomposer, mon père devenir blanc. J'ai arrêté la voiture. Mon père pleurait, à quatre pattes sur un parking.
Pierre, partie civile
Jusque-là, chaque question de leurs parents était suivie d'une dénégation. "Quand j'ai appris l'affaire dans la presse, je les ai appelés, je leur ai demandé s’ils avaient été victimes, ils m'ont répondu : "Non maman". Je pense qu'ils voulaient nous protéger."
Ce n'était pas la première fois que les trois frères évitaient le sujet avec leurs parents. Pendant toutes ces années, aucun des trois n'a osé évoquer ce qu'ils auraient subi. L'accusé "était tellement introduit dans notre famille, il a baptisé mon petit-cousin, il a enterré mes grands-parents", se souvient Quentin.
Dépendance affective et économique
Les liens se nouent en 1989, à l'arrivée de la famille près de Meung-sur-Loire, où il est prêtre. Un jour, ils lui viennent en aide, alors qu'il est en panne de voiture. Il devient un ami. Il vient dîner chez eux. "On a très vite fait connaissance de sa famille, assure la mère. On a été accueillis à bras ouverts, une famille sympathique, agréable, accueillante." Les deux parents intègrent la gestion du camp de vacances dirigé par Olivier de Scitivaux, en Bretagne.
Modeste, la famille profite des invitations du père de Scitivaux dans ses résidences familiales. Dans un château, ou dans un chalet en Haute-Savoie. "On avait les paillettes, des vacances extraordinaires." La mère se souvient que le religieux lui aurait dit : "Sans moi, vous n'aurez plus jamais de vacances comme ça."
Les liens s'affermissent. Les parents du prêtre proposent, spontanément, d'héberger Quentin chez eux lorsqu'il commence le lycée à Orléans. Olivier de Scitivaux, lui, accueille Pierre au presbytère. Où de nouvelles agressions auraient eu lieu, "tous les jours". Pour les parents, "c'est un homme d'église, franc, honnête, tout ce que j'attendais de droiture était dans ses homélies".
Avec le recul, la mère le confesse : "Il nous a envoûtés, et il a fait le vide autour de nous. Quand on lui présentait des amis, il disait "Oh, peu intéressant."" Elle reconnaît une forme de dépendance affective et économique vis-à-vis du prêtre. Pour Pierre, il y a eu "une forme de bêtise, de naïveté" de la part de ses parents. "C'est de l'emprise."
Des photos pédopornographiques sur l'ordinateur d'Olivier de Scitivaux
Si bien que, ni l'un ni l'autre, n'ont vu quoi que ce soit. Le côté tactile du prêtre, toujours entouré d'enfants ? "Je le voyais comme une sorte de grand frère, ça ne m'a jamais choqué", explique la mère. "Un homme d'église ne pouvait pas devenir le bourreau de nos enfants, c'était au-dessus de mes forces", ajoute-t-elle. Et puis "il avait toujours les mots qu'il faut, il était magnétique".
Pendant tout ce temps, la négation des faits se poursuit. Un soir, Pierre reste dormir chez le prêtre. "Ma mère me laisse seule avec lui, en pensant que je suis entre de bonnes mains." Il aurait alors subi sa première agression. Le lendemain, "ma mère me demande si ça va, j'ai l'air fatigué, je lui réponds que oui, on a regardé un film". Les années suivantes, "ma mère m'a posé 100 fois la question, tout va bien ? J'ai nié en bloc".
Quelques alertes, pourtant, viennent de l'extérieur. Un jour, le père des trois frères découvre des photos pédopornographiques sur l'ordinateur d'Olivier de Scitivaux. "Il a été tellement surpris, il a fermé l'ordinateur tout de suite, et lui a dit de tout supprimer tout de suite." Rien de plus. Une autre fois, le vicaire général du diocèse demande aux parents de ne plus loger Pierre chez le prêtre, "parce qu'il était mineur". Ce que l'ancien vicaire, Nicolas Souchu, a nié ce mardi devant le tribunal. "On lui a demandé s'il y avait un problème avec Scitivaux, il a répondu que non." Le diocèse avait, pourtant, reçu plusieurs signalements de familles depuis 1997.
Mission de protection
"J'ai été aveugle, si j'avais été plus vigilante..." Depuis, les trois frères "nous ont secoués", affirme leur mère. "Je leur ai dit : vous avez des missions de parents. Vous avez loupé votre mission de protection", ajoute Pierre. Que pensez-vous de votre parentalité, demande à sa mère Me Antoinette Frety, avocate du quatrième plaignant. "À part avoir tout raté, qu'est-ce que vous voulez que je pense", lance-t-elle, en sanglots.
Dans les années suivantes, les frères s'éloignent les uns des autres. Pierre part à l'autre bout de la Terre. Hubert insiste pour partir faire ses études en pension, pour fuir le prêtre. "Il voulait faire une soirée, il était ambitieux, pour moi c'était ça", insiste son père. "En tout état de cause, les relations familiales sont profondément altérées par les faits", analyse un expert psy, ayant rencontré Pierre en 2019.
Mais celui-ci dit ne pas en vouloir à ses parents. "Le responsable, c'est Olivier de Scitivaux." À l’issue de l'audition du père, ce dernier est venu s'asseoir au premier rang de l'assistance. Où il a retrouvé ses trois fils et leur mère. Une famille unie face à l'épreuve, qui demande d'une seule voix : que la vérité soit dite.