En 2011, à la mairie d'Orléans, Adam* a été victime d'un incident raciste lors de sa demande de dépôt de mariage. Il témoigne.
"Je me dis que je viens en tant qu'Orléanais, fier d'être Orléanais, et qui vient expliquer à la personne de la mairie qu'il est tellement fier d'être Orléanais qu'il veut vraiment se marier dans sa ville." Malheureusement pour Adam*, tout ne sera pas si rose à la mairie.- *Le prénom a été modifié
Le 23 novembre, nos confrères de France Bleu racontaient les difficultés rencontrées par un couple franco-algérien. Suite au signalement de la mairie concernant des soupçons de mariage blanc, Youcef, en situation irrégulière, sera peut-être contraint de quitter le territoire la veille de son mariage, laissant seule sa femme enceinte.
Une couverture médiatique qui a rappelé à Adam des mauvais souvenirs : les déboires rencontrés lors du dépôt de son propre dossier de mariage, en 2011.
Un "mariage blanc"... pour deux Français
A l'époque, le jeune homme a alors 24 ans. Il vient de déménager en région parisienne pour raisons professionnelles, mais il a passé toute sa vie dans la cité johannique.
"On voulait une date le plus rapidement possible. ça faisait longtemps qu'on était ensemble, et on voulait concrétiser ! On était au printemps, c'est la belle saison pour les mariages et, pour des raisons personnelles, ça devenait compliqué à partir de Juillet. On ne se doutait pas que ça allait éveiller des soupçons."
Car, face à lui et sa femme, qui portent tous deux des noms à consonance maghrébine, la fonctionnaire de mairie se montre singulièrement froide. "Un moment, je dois prendre un appel urgent, et quand je reviens, on dit de nouveau qu'on veut une date rapidement. Et la personne nous répond assez sèchement : "on verra, en tout cas plus vous restez là à parler, moins vous serez garantis d'obtenir une date."
Ne souhaitant pas faire d'esclandre, Adam et sa femme prennent le chemin de la sortie. "Et quand on est sorti, ma femme me dit que pendant que j'étais au téléphone, la fonctionnaire en a profité pour lui demander si ce n'était pas un mariage forcé ou un mariage blanc. Je suis français, né en France, et ma femme aussi, même si on a des patronymes qui laissent penser à des origines étrangères. Quel est l'objectif d'un mariage blanc quand les deux personnes sont françaises ?"
"Vous prenez une grosse claque dans la gueule"
Adam, qui a des connaissances parmi les élus de la ville, leur relaie l'incident. On lui assure qu'ils ne seront pas pénalisés, et qu'il s'agit d'un cas isolé.
Pourtant, huit ans plus tard, l'indignation est toujours là. "C'est tellement injuste, et le moment dans lequel ça arrive est tellement censé être un moment de bonheur. Vous êtes là, vous prenez une grosse claque dans la gueule." D'autant qu'aucune question ne lui a été posée. "Si elle nous avait posé la question de : pourquoi un tel empressement ? Moi, j'aurais été ravi d’expliquer. Je me serais attendu à ce qu'on me dise : c'est magnifique cet attachement, on va vous aider ! Pas à : "et pourquoi vous ne vous mariez pas dans votre mairie en région parisienne ?"
A la mairie d'Orléans, qui célèbre 400 mariages par an, une cinquantaine font l'objet d'une saisie du procureur. Environ une dizaine de ces cas sur ces dernières années se sont avérés problématiques.
Pour Adam, la vigilance concernant ces mariages arrangés pour l'obtention de papiers d'identité français ne peut justifier le comportement de l'agente. "On ne va pas tourner autour du pot. Quand vous voyez arriver deux personnes avec des noms à consonance maghrébine et que la première question que vous vous posez, c'est : est-ce que c'est un mariage blanc ? C'est une forme de racisme, c'est surtout être pétri de préjugés."
"Voilà ce qui m'a choqué, poursuit-il. C'est le réflexe. On est à la mairie, dans un service public, pas au bistrot du coin."
"Une parole qui n'est pas acceptable", selon la mairie
Contactée, la mairie ne remet pas en cause la parole d'Adam, pas plus qu'elle ne remet en question la dimension raciste de l'incident. Mais, sans signalement ni plainte, les services de l'Etat civil n'ont pas eu connaissance d'un tel incident.
Muriel Sauvegrain, en charge de l'état civil et du personnel, n'a pas non plus relevé d'incident similaire depuis sa prise de fonction, en 2008. "Sur les 3500 agents, ça peut arriver qu'il y ait une parole qui n'est pas acceptable, et dans ce cas on a des procédures, des rappels à l'ordre. A l'Etat civil, jamais on n'a entendu parler de ce souci-là."
Selon Mme Sauvegrain, l'agente de mairie a par ailleurs outrepassé ses fonctions. "Quand un couple prend rendez-vous pour déposer un dossier de mariage, s'ils doivent être auditionnés, ce n'est pas les agents de l'accueil qui doivent s'en occuper, ce sont les chefs de service. Derrière, ça remonte à moi, et c'est moi qui décide si je saisis ou non le procureur."
Un incident donc, qu'Adam comme la mairie espèrent isolé.