Le 5 mars 1974, le "train du futur" battait le record de vitesse sur rail, en atteignant 430,2 km/h. 50 ans plus tard, France 3 a pu discuter avec Daniel Ermisse, qui a piloté l'engin pendant plus de 10 ans. Souvenirs d'une époque révolue.
430,2 km/h. Voilà l'exploit que réalisait, le 5 mars 1974, il y a 50 ans tout pile, l'Aérotrain. Le TGV n'ira plus vite qu'en... 1989.
L'Aérotrain fut un rêve, relativement éphémère, né dans l'esprit de l'ingénieur Jean Bertin. Pendant les années 60, son équipe et lui développent un concept de véhicule sur coussins d'air, guidé par un rail de béton. Allure futuriste, propulsion novatrice, turbines d'avion : l'Aérotrain détonne, et fait rêver.
Le train du futur
Une première voie d'essai est construite à Limours dans l'Essone, avec deux véhicules à l'échelle 1/2. Puis une deuxième, grandeur nature, flottant sur de hauts piliers de béton à travers la Beauce pendant 18 km, le long de la ligne de chemin de fer, à quelques kilomètres au nord d'Orléans.
Le concept séduit le président Georges Pompidou, mais n'est pas au goût de son successeur, Valéry Giscard-d'Estaing. Peu après son arrivée au pouvoir en 1974, l'Aérotrain est lâché par les pouvoirs publics, et la ligne La Défense-Cergy, signée quelques mois plus tôt, est abandonnée. La France verra l'avènement du TGV, et la chute de l'Aérotrain.
Quelque temps avant l'annonce fatale, le 5 mars 1974, l'Aérotrain atteint donc la vitesse de 430,2 km/h. L'équipe ne sait pas que le projet vit ses derniers temps, et que ce record sera son baroud d'honneur. L'aéroclub de France fait le déplacement, et homologue le record. C'est officiel : l'Aérotrain est le moyen de transport sur rail le plus rapide. Et le restera pendant 5 ans, jusqu'à l'avènement du train magnétique au Japon.
De rêve à réalité
Mais, à en croire Daniel Ermisse, l'Aérotrain n'a jamais dévoilé tout son jeu :
Si on avait eu une voie plus longue, on aurait pu le pousser à 500 ou 600 km/h !
Daniel Ermisse, ancien pilote de l'Aérotrain
Lui-même a piloté l'Aérotrain, tant sur la voie de Limours que sur celle d'Orléans. Et, si personne n'était là pour l'homologuer, il assure avoir déjà dépassé les 450 km/h avec le véhicule. "J'avais un vent arrière, je n'ai pas fait gaffe", explique-t-il.
En 1966, Daniel Ermisse arrive chez Jean Bertin pour ses compétences en électronique. À 21 ans, il est le plus jeune de l'équipe. Quand il voit l'Aérotrain pour la première fois, "ça m'a interloqué". Et puis, rapidement, "le piloter est devenu mon rêve". Il est repéré par Maurice Lefrant, le pilote attitré de l'engin, décédé en 2022. "Il a vu que je comprenais ce qui se passait" au sein même de l'Aérotrain, ajoute Daniel Ermisse. "Il m'a dit que j'étais le plus à même de le piloter."
Ci-dessous, un extrait du documentaire Aérotrain : la vie d'après de Corinne Bian Rosa (TGA Production).
Oui, le piloter. Car l'Aérotrain est testé pour la très haute vitesse. On ne le conduit pas, on le pilote. Pourtant, "le confort était exceptionnel", poursuit l'ancien électronicien. Et, aux manettes d'un engin très rapide, et pourtant très stable, "sans accélération brutale, on est frustré, on avait toujours envie d'aller plus vite".
La course avec la SNCF
Preuve des performances de l'Aérotrain, Daniel Ermisse s'amusait à faire la course avec le Capitole, qui reliait Paris à Toulouse en passant par Orléans, et qui filait à 200 à l'heure dans la Beauce.
On connaissait l'horaire SNCF, ils étaient très précis à l'époque. Je me mettais plateforme sud, je voyais passer le Capitole, je mettais la pleine puissance et je le rattrapais. Un jour, j'ai réussi à faire demi-tour au bout, et à le croiser dans l'autre sens.
Daniel Ermisse, ancien pilote de l'Aérotrain
Un jour, Daniel Ermisse croise un conducteur du Capitole. "Il m'a dit : "Vous me doubliez toujours, mais ça m'a vexé quand vous m'avez recroisé." Mais sur le ton de la bonne humeur. Il était passionné par l'Aérotrain."
Cette passion et celle de l'équipe de Jean Bertin n'auront pas suffi à sauver le projet. Fin 1977, Daniel Ermisse prend pour la dernière fois les manettes de l'Aérotrain. Il lui fait faire l'aller-retour sur les 18 km de la voie d'Orléans, "pour faire marcher les moteurs". Et puis, en janvier 1978, "c'est moi qui ai fermé les portes". Définitivement. Il fait installer une alarme dans le hangar qui abrite le prototype orléanais, à Chevilly. "Des pigeons la faisaient sonner, donc rapidement les gendarmes ont arrêté de venir." En 1992, alors qu'une exploitation touristique et un musée à Saran sont envisagés, le prototype est incendié.
Jours d'un avenir passé
Pourtant, lorsqu'il s'en va en 1978, Daniel Ermisse pensait "que ça allait reprendre un jour". Et puis il a "perdu espoir au fur et à mesure". Ailleurs dans le monde, les autres projets d'Aérotrain (aux États-Unis et au Japon notamment) sont aussi tombés à l'eau. "Tout le monde s'est dit que si la France, qui a créé l'Aérotrain, annule, c'est qu'il doit y avoir quelque chose qui cloche." Pourtant, 50 ans plus tard, subsiste "l'incompréhension de voir l'annulation de quelque chose qu'on a testé pendant plus de 10 ans et qui marchait bien".
Aujourd'hui, Daniel Ermisse ne "pense pas" que l'Aérotrain renaîtra. Ni en France, ni ailleurs. Ce qui ne l'empêche pas de se réjouir que l'engin "fasse encore rêver". "Des jeunes continuent de me poser des questions !" Son fils résidant à Limous, il fait régulièrement son "pèlerinage" sur la voie d'essai, conservée le long d'une récente voie verte. Orléans, "j'y suis revenu il y a deux ans, j'aime bien y aller".
Si l'Aérotrain n'existe plus, avalé par les flammes, le viaduc de béton d'Orléans résiste, comme un témoignage concret d'une époque révolue. Un passé dont le futur n'est jamais arrivé.