Les deux principaux dirigeants de Spacetrain ont été condamnés, ce jeudi 12 janvier, à des peines de prison pour escroquerie. Cette société, qui promettait de voir renaître un projet révolutionnaire des années 60 d'une liaison Orléans-Paris en vingt minutes, enterre une nouvelle fois l'Aérotrain.
L'Aérotrain, c'est un peu l'Arlésienne de la région orléanaise : on ne l'a jamais vu mais qu'est-ce qu'on en parle. De l'idée de génie de l'ingénieur Jean Bertin il y a cinquante ans, à la condamnation pour escroquerie de ses successeurs autoproclamés, l'épopée de l'aérotrain n'a toujours pas tenu sa promesse de relier Orléans à Paris en moins de vingt minutes. Retour sur le parcours perturbé de ce transport à mi-chemin entre le train et l'avion.
1964 : l'innovation révolutionnaire avortée de Jean Bertin
Ce train ne roule pas, il vole. La perspective de ce bolide ultrarapide sans roues supporté par des coussins d'air en a fait rêver plus d'un. Révolution d’avant-garde de l’ingénieur Jean Bertin, l'aérotrain est présenté aux élus locaux et nationaux par l'équipe composée entre autres des ingénieurs Louis Duthion et Maurice Berthelot.
Après la construction de deux prototypes concluants qui finissent de convaincre le président Georges Pompidou, une voie de 18 kilomètres est finalisée entre Saran et Ruan, dans le Loiret. En forme de T inversé, la haute ligne de béton composée de 900 poteaux espacés de vingt mètres chacun accueille les premiers essais de l'Aérotrain et devient une référence. Le 5 mars 1974, l’Aérotrain I80 HV établit même le record du monde de vitesse sur rail des véhicules sur coussin d’air à 430,2 km/h.
Au delà même du projet initial de pouvoir un jour relier Orléans à Paris en vingt minutes, d'autres objectifs sont donnés : un projet de ligne reliant Cergy et La Défense et un autre faisant la navette entre Roissy et Orly sont même votés en 1971 par un conseil ministériel avant d'être abandonnés la même année.
L'équipe d'ingénieurs, qui ont élu domicile à Chevilly, ne s'y attarderont pourtant pas. L'élection de Valéry Giscard d'Estaing stoppe net toute continuation du projet de l'aérotrain au profit de la SNCF et du TGV. Jean Bertin décède un an plus tard des suites d'un cancer.
2017 : Spacetrain, le successeur autoproclamé
Quarante-trois ans après la fin de l'aventure de Jean Bertin, une start-up spécialisée dans la recherche et développement de systèmes robotiques autonomes pour les industries aéronautiques, la société Jacques Vaucanson, veut faire revivre le projet de l'aérotrain. Appelée Spacetrain, cette idée de navette interurbaine doit elle aussi utiliser une technologie de "coussins d'air" pour réduire le frottement et ainsi atteindre les 500 à 700 km/h.
Spacetrain ambitionne également de faire revivre la voie de 18 kilomètres entre Saran et Ruan, laissée à l'abandon depuis des dizaines d'années. Les douze ingénieurs du projet ont développé ce nouveau train du futur en l'adaptant sur la ligne Bertin : il suffirait, selon eux, d'installer un tube sur la voie afin d'y faire le vide à 80%.
Si Florent Montillot, actuel adjoint au maire d'Orléans, avait même créé une association de soutien à ce projet en 2018, ce tunnel faiblement pressurisé ne verra jamais le jour. Malgré le soutien des élus locaux, émerveillés par cette innovation technologique réhabilitant la bizarrerie architecturale de cette plaine de Beauce, la société n'a pas reçu le soutien de l'État. La Direction de l'immobilier de l'État, à qui appartiennent les voies, a retoqué le projet.
Le Spacetrain a du plomb dans l'aile
Le décollage promettait monts et merveilles mais l'atterrissage, bien réel quant à lui, a été violent. Derrière les paillettes et les promesses, la société derrière le Spacetrain, renommée SIA France en 2021, ne tient pas la route. Condamnée une première fois à verser 18 000 euros de salaires impayés à un couple d'ingénieurs, la société enchaîne les faux pas.
En 2021, la société est expulsée de l'entrepôt qu'ils louent à Cercottes - sur le trajet de la ligne Bertin - car elle n'a pas payé les loyers et charges au propriétaire des lieux depuis des mois et est condamnée à verser plus de 80 000 euros.
La condamnation au tribunal correctionnel
Ce jeudi 12 janvier 2023, le tribunal correctionnel d'Orléans a condamné les deux principaux dirigeants de Spacetrain à des peines de prison pour escroquerie. Emeuric Gleizes, le patron de l'entreprise, a été condamné à un an de prison avec sursis et l'interdiction de gérer toute entreprise pendant cinq ans, tandis que Zoubier Harbaoui, le directeur technique, écope, lui, de trois ans de prison ferme.
Ils étaient accusés d'avoir détourné 257 000 euros de chômage partiel pendant la crise sanitaire en 2020. Les huit salariés qui ont travaillé "gratuitement" pendant cette période planchaient même sur un autre projet à ce moment-là : ils devaient mettre au point un masque de protection. Spacetrain devra rembourser à l'État les sommes détournées et payer 30 000 euros d'amende.
D'après l'avocat des salariés, Me Quentin Roussel, ils étaient tous des étrangers embauchés avec le dispositif "immigration choisie" et ne pouvaient donc pas rompre leur contrat de travail sans prendre le risque d'être expulsés de la France. La procureure avait même qualifié le processus "d'esclavage moderne".
La bérézina ne s'arrête pas là. Cinq salariés ont saisi le conseil des prud'hommes pour le non-paiement de leur salaire, le travail dissimulé et les conditions de rupture de leur contrat de travail.