Trop chère, pas assez visible : l'agriculture bio au bord de la crise après des années de vaches grasses

L'agriculture bio a pris un sérieux coup de frein en 2022. Chaque année, plus de 2000 exploitants quittent les rangs, et l'objectif du gouvernement sur les surfaces agricoles bio pourrait être compromis.

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Après des années de croissance, la consommation de produits bio a encaissé un coup de frein notable en 2021, marqué par une surproduction d'œufs, de lait, ou de porc. D'une croissance à deux chiffres jusqu'en 2018, les ventes ont amorcé un recul qui frise les 20% sur certains produits, comme la farine.

Une agriculture plus saine, mais qui a un prix

"Il y a quelques semaines sur l'année, effectivement, où on est descendus à 40% de chiffres d'affaires en moins", reconnaît Benjamin Trouslard, maraîcher bio dans le Loiret et président du Groupement des agriculteurs biologiques et biodynamistes de l'Orléanais et du Loiret (Gabor 45). Pour autant, le producteur préfère ne pas s'alarmer. Pour lui, l'agriculture bio a encore "le vent en poupe".

Alors certes, la consommation a subi un coup de mou. "On sent bien que les gens sortent moins, c'est pas un renoncement à cette consommation là en particulier."

Olivier Chaloche, quant à lui, est céréalier, et membre du conseil d'administration de la Fédération nationale de l'agriculture biologique dans le Centre-Val de Loire. Si les chiffres régionaux ne lui sont pas encore remontés, il a néanmoins bien observé un "ralentissement" de la consommation en 2021. "Après une dizaine d'années de croissance assez forte, on voit la consommation reculer pour la première fois", mais "on est sur une crise conjoncturelle plutôt que structurelle".

Des produits "50% plus cher qu'en conventionnel"

L'agriculture bio, explique-t-il, a subi la conjonction de plusieurs facteurs. D'abord, bien sûr, la baisse générale de la consommation et du pouvoir d'achat. Ensuite, la concurrence de "labels, qui ressemblent de loin à de l'agriculture bio, mais qui ne vont pas aussi loin, qui mettent l'accent sur uniquement un aspect : la production locale, ou la juste rémunération du producteur, ou le sans-pesticide".

Mais l'avenir de la filière ne l'inquiète pas plus que cela, et il affiche même une certaine sérénité face à un simple "hoquet" du marché, qu'il attribue aussi à un déficit de marketing pour les produits bio en 2021. "De toute manière, tôt ou tard il faudra qu'on aille vers une agriculture plus respectueuse de l'environnement, plus saine et plus juste pour les producteurs."

A première vue, on a pourtant l'impression que le prix du bio ne lui rend pas service, dans un contexte de recul du pouvoir d'achat. Mais, pour Benjamin Trouslard, cette différence de prix occulte une partie de la réalité : "Quand vous achetez des légumes de qualité, vous les gardez plus longtemps et ils vous nourrissent mieux !" Pas certain, sur le long terme, qu'on soit perdant.

Néanmoins, "évidemment, l'augmentation de coût à l'achat est importante" par rapport aux grandes surfaces, observe le maraîcher. "En moyenne, on a 30% de coût de main d'œuvre en plus sur du bio que sur une exploitation conventionnelle. Si vous embaucher de la main d'œuvre française et que vous la rémunérez correctement, ça a un coût." Plutôt que d'aligner ses prix sur les concurrents des grandes surfaces, il essaie de le calibrer en fonction du coût réel de production. A l'arrivée, les produits bio souffrent d'un "frein prix indéniable" a expliqué à l'AFP Emily Mayer, experte des produits de grande consommation à l'institut IRI, notant qu'ils sont "en moyenne 50% plus cher qu'en conventionnel".

"Les clients ne sont plus chez Biocoop, ils sont chez Lidl"

Dans la filière porcine, seul 1% du cheptel national est bio. Pourtant, là aussi, "on est en pleine crise de surproduction", constate Laurent Guglielmi, à la tête d'une entreprise d'Eure-et-Loir transformant 300 porcs bio par semaine, vendus dans des enseignes spécialisées.

Du fait des tensions sur le pouvoir d'achat, "on voit bien que les clients ne sont plus chez Biocoop, ils sont chez Lidl". Également éleveur, il avait démarré son activité bio en 2018, quand le marché français manquait d'approvisionnement local. "On y croyait." Désormais, "tout le monde est déçu".

Un million de poules "en excédent"

La consommation nationale de produits bio, qui excluent engrais et pesticides de synthèse, connaissait jusque-là des croissances à deux chiffres en supermarché, jusqu'à +23% en 2018. Mais "on a assisté en 2021 à quelque chose d'inédit, la courbe s'est retournée", retrace Emily Mayer. Par rapport à 2020, les ventes ont reculé de 3,1% en valeur. La baisse est spectaculaire pour la farine (-18%), le beurre (-12%), le lait (-7%) ou les oeufs (-6%).

Les fruits et légumes frais bios sont aussi en "vrai décrochage", avec des volumes d'achats en baisse de 11% sur un an, selon l'interprofession Interfel. 2020 a été atypique, avec des confinements pendant lesquels "les gens consommaient ce qu'il restait dans les rayons", dopant artificiellement le bio, mais avec 5,1% de part de marché en 2021, "le bio stagne", souligne Emily Mayer, après des années de hausse.

Conséquence : cette situation inédite de surproduction, révélée notamment au niveau des élevages laitiers et de volailles. Selon une lettre adressée au gouvernement par des organisations de producteurs et d'industriels de l'ouest de la France, 1,15 million de poules seraient ainsi "en excédent" par rapport à la demande.

Le spectre de la déconversion

Face à ces difficultés, la crainte de la filière réside dans une déprise du bio, et du retour de certains agriculteurs vers le "conventionnel". Au mois de mai, un certain nombre de producteurs bio, y compris dans le Loiret, avaient protesté contre les arbitrages de la Politique agricole commune européenne, défavorables à l'agriculture biologique.

Au cours des quinze dernières années, le nombre d'exploitants et de surfaces exploitées en agriculture biologique a explosé en Centre-Val de Loire. Entre les surfaces certifiées bio et celles qui se trouvent à différents stade de conversion (C1, C2 et C3), la région est passée d'environ 20 000 hectares concernés à près de 100 000 selon les chiffres de l'Agence du bio, chargée de la promotion du ce mode de production.

Dans le même temps, à l'échelle nationale, le taux de "déconversions" - qui comprend les départs à la retraite - est pourtant quasi stable selon l'Agence du bio, à environ 4%, soit "un peu plus de 2200 exploitants" en 2021, sur quelque 53 000 producteurs présents sur le territoire.

Si elles venaient à se multiplier, ces sorties de l'agriculture biologique compromettraient l'objectif national d'atteindre 18% de surfaces agricoles en bio en 2027 (contre 9,5% fin 2020). "Ce n'est pas encore un motif d'inquiétude mais on va regarder cela comme le lait sur le feu", a affirmé la directrice de l'Agence, Laure Verdeau, à l'AFP.

Dans ces conditions, même si certains producteurs bio veulent rester optimistes, ce coup de frein risque d'avoir des conséquences sur leur mode de production et leur rémunération. Il reste pourtant une lueur d'espoir : si le pouvoir d'achat, première préoccupation des Français pour l'élection présidentielle, se redressait, la croissance bio pourrait bien relever la tête.

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