Deux ans avant son assassinat par la milice en 1944, Jean Zay a rédigé un polar depuis les geôles de la prison de Riom (Puy-de-Dôme). 80 ans plus tard, une maison d’édition orléanaise réédite l’ouvrage devenu désormais introuvable.
De la couverture bleue d’origine illustrée d’une chauve-souris, il ne reste plus rien. Sur la nouvelle édition, le rouge a remplacé l’azur de la nuit et l’animal furtif a disparu au profit d’un portrait, celui de l’auteur : Jean-Zay. "La bague sans doigt" n’est donc plus réduite à la clandestinité, bien au contraire, l’œuvre fait désormais partie d’un patrimoine culturel, qu’en des temps obscurs, on a tenté de faire disparaitre et que des passionnés souhaitent aujourd’hui réhabiliter.
Parmi eux, celui qui signe la préface : Pierre Allorant, doyen de la faculté de droit d’Orléans, historien du droit, politologue et surtout président du "Cercle Jean Zay" qui s’évertue à perpétuer la mémoire de l’ancien journaliste, avocat, député du Loiret et ministre de l’éducation nationale et des beaux-arts. Mais aussi Jean-Pierre Delpuech, fondateur et directeur de la maison d’éditions orléanaise Le Mail qui réédite le livre aujourd’hui. "Notre maison d’éditions s’inscrit dans une perspective résolument républicaine", explique l’éditeur. " Nous souhaitons mettre en avant les grands personnages de l’histoire de la république française en particulier dans cette collection où on les trouve, non pas dans leur domaine de prédilection, mais quand ils s’en éloignent pour écrire des romans policiers, des romans, des pièces de théâtre.."
Si "La bague sans doigt" était connu des passionnés de Jean Zay et des historiens, l’œuvre tirée à l’époque à seulement 9000 exemplaires, échappait jusque-là à la connaissance du grand-public. Jean-Pierre Delpuech se réjouit donc de pouvoir aujourd’hui "permettre à tout le monde de connaitre ce roman policier."
On participe ainsi à l’histoire de Jean Zay. C’est aussi le moyen de faire vivre la mémoire de ce grand orléanais, de ce qu’il était, de ce qui le guidait, de cette lumière qui a guidé sa vie au service des valeurs principes de la république qui lui étaient très chères : l’égalité, la liberté, la fraternité, le progrès social.
Jean-Pierre DelpuechEditions Le Mail
Une évasion de l'esprit
Un entrepreneur dans le bâtiment est retrouvé assassiné à Blois. Sa fille le découvre avec un doigt sectionné. Une enquête est alors diligentée par les autorités policières locales. Ainsi débute le cœur de l’intrigue. "Jean Zay campe de façon talentueuse les personnages. On les suit dans leurs pérégrinations, poursuivant les criminels pour essayer de comprendre ce qu’il s’est passé", détaille Jean-Pierre Delpuech. Ecrit dans la prison de Riom où il a été détenu, deux ans avant son exécution par la milice française, le polar était pour Jean Zay, un moyen de laisser son esprit s’évader à défaut de pouvoir réellement s’échapper des geôles.
C’est une intelligence supérieure, il est doté d’une grande puissance de travail. Et tout d’un coup il se retrouve enfermé entre 4 murs et s’astreint à une discipline incroyable, à de l’exercice physique, et il en profite pour relire Proust, Balzac… Et pour se détendre entre quelques cahiers d’exercices d’anglais et d’allemand, il écrit ce roman policier.
Jean-Pierre DelpuechEditions Le Mail
Publié en 1942 sous le pseudonyme de Paul Duparc, un nom d’emprunt choisi en référence à la rue orléanaise du quartier Dunois où Jean Zay est né, l’identité de l’auteur est tout de même révélée avec pour conséquence, le durcissement de son régime de détention. "Il fait s’évader à plusieurs reprises son personnage principal. Pour les autorités de vichy, écrire un roman policier où le héros s’évade au nez et à la barbe de la justice, c’est préparer une évasion."
Edité en 1942 par un pétainiste
C’est l’éditeur Sequana qui publie à l’époque le roman et, comble de l’ironie, celui qui en est à la tête est le pétainiste René Julliard qui avait d’ailleurs fait déménager sa maison d’éditions de Paris à Vichy. "Je crois que Julliard a voulu être agréable à tous. Il savait pertinemment qu’il publiait Jean Zay puisqu’il le rencontre en prison et en même temps, publie des auteurs pétainistes. Il savait ce qu’il faisait ce qui lui a permis de traverser la libération sans aucun problème", suppose Jean-Pierre Delpuech.
D’autres personnes visitent l’ancien ministre de l’éducation nationale durant sa détention : Son Père Léon ainsi que sa femme Madeleine et leur fille Hélène. "Jean Zay était marié à une femme remarquable", se passionne Jean-Pierre Delpuech. "Elle avait un courage énorme et était profondément amoureuse de son mari. Et c’est dans le landau d’Hélène que tous les documents, dont le roman, sortent au nez et à la barbe des geôliers."
80 ans plus tard, les éditions Le Mail à Orléans, ont donc décidé de rééditer pour la première fois ce livre devenu aujourd’hui introuvable. "La bague sans doigt" sortira officiellement le 30 juin 2022.