Ambre Acoulon exerce depuis neuf ans comme sage-femme libérale à Pithiviers dans le nord du Loiret. Mi-mars, elle va rejoindre un poste en centre de PMI (Protection maternelle et infantile) en Seine-et-Marne, épuisée par son activité en libéral. Pour la présidente de l'Ordre des sages-femmes du Loiret "ce départ est le signe d'un système qui s'effondre".

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"C'est bien souvent en pleurant que je suis venue travailler. Je devais faire un choix, et il n'a pas été facile. Mais j'ai choisi ma santé et mes enfants". C'est sur son profil Facebook qu'Ambre Acoulon, sage-femme libérale depuis 9 ans à Pithiviers, a annoncé à ses patientes qu'elle allait cesser son activité mi-mars pour rejoindre un poste en PMI, Protection maternelle infantile et centre de planification en Seine-et-Marne. Une démarche rare et un message de désespoir qui raconte un épuisement.

"En 9 ans, j'ai vu l'offre médicale se dégrader, les maternités fermer, les gynécologues, pédiatres, généralistes se raréfier. J'ai vu mes compétences, mes missions augmenter, sans moyens pour les mettre en œuvre. J'ai vu les charges augmenter, sans que les revenus, eux, augmentent. Je suis arrivée au bout de l'énergie que je pouvais donner."

Le sentiment d'être seule au monde pour accompagner les femmes 

Maman de deux enfants, Ambre Acoulon a souhaité raconter les motifs de l'arrêt de son exercice en libéral pour ses patientes et ses collègues. 

"Je travaille dans une zone qui est un désert médical. On avait une maternité jusqu'en 2016 avec les urgences pédiatriques et gynécologiques. Quand elle a fermé, au début, on avait des pédiatres, des gynécologues, tout ce qu'il fallait et au fur et à mesure des années, ils sont tous partis", raconte-t-elle. "Aujourd'hui, j'ai une gynéco qui vient deux jours par mois, un pédiatre qui devrait être à la retraite, des généralistes débordés. Ça devient infernal. Je ne peux plus adresser mes patientes à un confrère, je ne peux plus appeler demander un avis. La PMI est débordée, le centre périnatal aussi. C'est plus possible. On prend en charge trop de choses. Au bout d'un moment j'ai saturé". 

Une charge mentale énorme et un burn-out bien présent... Épuisée, Ambre Acoulon a la voix qui flanche. "J'ai des patientes qui viennent me voir pour des pathologies qui n'ont rien à voir avec mes compétences. J'ai diagnostiqué une hernie inguinale il y a deux jours. Certaines viennent pour de l'endométriose. Comme elles n'ont personne d'autre, elles viennent me voir mais je ne peux rien pour elles. Je leur propose un avis gynéco, mais je ne sais pas vers qui les envoyer. " Pour trouver un gynécologue, les femmes doivent aller à Orléans ou en région parisienne à une heure de route minimum. "Et encore quand elles arrivent à trouver parce que beaucoup ne prennent pas de nouvelles patientes."  La sage-femme qui exerce depuis 15 ans est obligée de refuser des patientes. Elle en prend 150 de plus chaque année. "Les sorties précoces des maternités se sont rajoutées aux nombreux autres soins". 

La sage-femme s'occupe des femmes et des bébés en bonne santé

Une sage-femme accompagne les femmes en bonne santé pour la grossesse ou s'occupe du suivi gynécologique. Elle ne s'occupe pas de celles qui ont des pathologies. Elle s'occupe aussi des bébés jusqu'à un mois hors pathologie.

Quand elle a choisi d'exercer en libéral en quittant l'hôpital il y a neuf ans, c'était pour gagner en qualité de vie et être plus présente pour ses enfants. "Au début c'était le cas. Et puis petit à petit je me suis retrouvée seule", déplore-t-elle. "On manque de sages-femmes. Beaucoup d'étudiants ne vont pas au bout de leurs études ou n'occupent pas ce poste après leurs études à cause du revenu qui évolue peu et de la charge de travail qui augmente". 

Quand elle a commencé il y a 15 ans, Ambre Aucoulon gagnait 1700 euros. Aujourd'hui son revenu s'élève à environ 2500 euros. "Les actes que nous réalisons prennent du temps. On ne peut pas voir 25 patientes par jour. Les consultations durent entre 30 et 45 minutes et sont payées 26,50 euros comme les médecins."

Un poste en structure avec des horaires fixes et une équipe

Ambre Acoulon va fermer son cabinet à Pithiviers, le 15 mars prochain. Triste mais soulagée, elle a obtenu un poste dans un centre de planification et en protection maternelle infantile (PMI) en Seine-et-Marne. "C'est un poste intéressant que j'ai choisi : grossesses, gynéco, IVG, il regroupe tout ce que j'aime dans mon métier, tout ce qui m'a permis de tenir jusqu'ici." Des horaires fixes, des week-ends, des congés payés et surtout une équipe. "Il n'y aura pas de surcharge mentale. Je ne serai pas seule dans mon cabinet. Il y aura une équipe autour. Le travail ne sera pas plus facile mais à la fin de la journée je pourrais couper mon téléphone. Et surtout je serai cantonnée à mes compétences et j'aurais du temps pour souffler avec un revenu équivalent."

Les besoins augmentent mais le nombre de sages-femmes stagne dans le Loiret

Pour Roselyne Vinas, présidente de l'Ordre des sages-femmes du Loiret, le départ d'Ambre Acoulon est le résultat de tout un système qui s'effondre. "Elle était un des derniers piliers qui restait à Pithiviers. Au-delà d'Ambre, au-delà d'une profession, elle est représentative d'un territoire qui ne va pas bien. Et dans le Giennois c'est pareil. La sage-femme est partie à la retraite en décembre et avait énormément de travail." Roselyne Vinas est sage-femme libérale à Châteauneuf-sur-Loire. Ce nouveau départ l'inquiète. "Ambre va manquer à des patientes pour le suivi des grossesses et le suivi post-accouchement, mais aussi pour l'accès à la contraception et aux dépistages gynécologiques".  Le Loiret compte 240 sages-femmes dont une soixantaine en libéral. Un chiffre qui stagne depuis 7 ans. "Chaque année, c'est une qui s'installe, une qui part alors que les besoins augmentent", constate Roselyne Vinas. 15 arrivées pour 15 radiations. "Ce sont des sages-femmes qui partent à la retraite, qui changent de régions ou qui abandonnent. Mais elles ne nous donnent pas le motif donc on ne sait pas pourquoi elles demandent leur radiation". 

Un séjour restreint à la maternité qui accroît l'activité des sages-femmes

Il y a 15 ans, le département comptait deux fois moins de sages-femmes libérales, mais cela ne posait pas de problème. "Toutes les maternités tournaient, les cours de préparation étaient donnés en maternité, les séjours duraient trois-quatre jours, il y avait beaucoup de consultations gynécologiques," se souvient Roselyne Vinas. Aujourd'hui le séjour en maternité est restreint à deux jours voire moins quand tout se passe bien. Résultat : les soins post-accouchement sont assurés par des sages-femmes libérales. "Une dame qui au troisième jour post-accouchement va avoir sa montée laiteuse, son bébé qui pleure beaucoup, les coliques qui peuvent arriver, le babyblues avec la chute hormonale, les saignements plus abondants... le moment charnière où il y a des milliards de questions, si elle n'a pas de sage-femme libérale, ça pose tout de suite un vrai souci," s'inquiète Roselyne Vinas. 

On est le département qui a le plus de naissances de la région Centre mais on n'a pas d'école de sages-femmes.

Roselyne Vinas, Présidente de l'Ordre des sages-femmes du Loiret

Une école de sage-femme dans le Loiret : la solution ?

Les étudiantes en école de sages-femmes choisissent désormais en dernière année si elles souhaitent exercer en libéral ou dans une structure. Elles sont plus nombreuses à faire le choix du cursus libéral mais il manque des sages-femmes quand même.  "Le nombre de sages-femmes aurait dû augmenter en même temps que les soins proposés par les hôpitaux diminuaient. Dans le Loiret on a le plus de naissances de la région Centre mais on n'a pas d'école de sages-femmes", déplore la présidente de l'Ordre des sages-femmes du Loiret.  Le Loiret dépend des écoles des autres territoires en priorité de celle de Tours. "Sur les 15 sages-femmes qui s'installent chaque année, en moyenne cinq sont diplômées en Belgique, cinq viennent d'autres régions, le dernier tiers vient de l'école de Tours", énumère Roselyne Vinas.

La promotion de Tours compte 25 sages-femmes pour toute la région. Depuis la création de la faculté de médecine à Orléans en septembre 2022, l'ouverture d'une école de sages-femmes dans le Loiret se pose. "C'est un vrai débat à avoir. C'est difficile parce qu'on a du mal à prendre du recul. Je suis incapable de vous dire combien de sages-femmes il faudrait en plus. Ce qui est sûr c'est qu'il en faut au moins quinze pour remplacer les quinze qui partent chaque année." La présidente du conseil de l'Ordre des sages-femmes du Loiret est convaincue de la nécessité de créer une école, mais elle tient à nuancer : "En 2009-2015, il y avait des sages-femmes au chômage. Les séjours en maternité étaient encore longs. Les consultations gynéco étaient encore nombreuses. C'étaient des années noires pour les jeunes diplômées. C'est aussi ça la crainte. C'est difficile de juger exactement quel est le besoin de la société et que sera l'avenir. " Sa seule certitude : il faut une sage-femme libérale à Pithiviers et une à Gien. "Un pédiatre, un généraliste ou une gynécologue ne vont pas s'installer demain. Donc les femmes de ce territoire ont besoin d'être suivies dans ces territoires qui vont mal".  La région Centre-Val de Loire compte 273 sages-femmes libérales. 

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