En juin 2020, le gouvernement a amorcé une politique de relocalisation de l'industrie pharmaceutique, et particulièrement la fabrication des principes actifs. Une requête de longue date du secteur.
Colofoam, Erwinase, Hexatrione... L'énumération s'étend sur plusieurs centaines de noms, et elle devrait nous inquiéter. C'est la liste des médicaments menacés de ruptures de stock en France. Et pas n'importe lesquels : l'Agence nationale du médicament (ANSM) précise qu'il s'agit des "médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (...) et pour lesquels, il n’y a pas d’alternative thérapeutique disponible sur le marché français."
Révélée au grand public à l'occasion de la pandémie du coronavirus, la crise de l'approvisionnement pharmaceutique est bien connue du secteur. David Simonnet, propriétaire d'Axyntis, l'un des derniers fabriquants français de principes actif, alertait déjà les autorités en 2011.⚠️Tensions d’approvisionnement sur les stylos d’#adrénaline
— ANSM (@ansm) July 6, 2020
Avec @AFPRAL nous demandons aux patients de conserver leurs stylos jusqu’à leur date de péremption avant de les renouveler
La situation devrait s’améliorer fin 2020#allergies
En savoir ➕ https://t.co/XNPFQL8PxE
"Pour fabriquer un médicament, il faut certes faire le comprimé, mais il faut un élément essentiel, c'est le principe actif. Depuis la fin du XXème siècle, les principes actifs ont été délocalisés massivement en Inde et en Chine" explique l'industriel de la chimie fine, qui possède un site à Pithiviers.
Nos médicaments, un enjeu géopolitique
Selon le ministère de l'Economie, jusqu'à 85% des principes actifs de nos médicaments sont fabriqués en Chine. "Ces usines n'ont pas les mêmes standards que nous en qualité, en sécurité, elles connaissent parfois des difficultés sur ces plans et ne sont pas en mesure de livrer le principe actif. Or, nous sommes dépendants, et en bout de chaîne, c'est le patient qui n'a pas accès à son médicament" rappelle David Simonnet. La santé des patients français qui dépend du bon vouloir d'un autre territoire ? On appelle ça un enjeu géopolitique.
Scénario noir : que faire si nos médicaments deviennent l'objet d'un chantage dans un conflit politique ? Pas grand-chose. "Il va falloir qu'on ait un accès à ces médicaments sans devoir dépendre de gouvernements sur lesquels on n'a aucun moyen de contrôle démocratique" presse le chef d'entreprise.
Il critique, en outre, le manque d'information du public. "Je milite aussi pour qu'on affiche sur les boîtes de médicament le lieu de fabrication du principe actif. N'importe quel vêtement qu'on achète, on sait où il a été fabriqué, mais pas un médicament. C'est une pression du patient citoyen sur les groupes pharmaceutiques." Une idée déjà lancée en 2011 et bottée en touche par les pouvoirs publics, selon l'Express.
« Nous proposons d’inscrire le pays de production du principe actif sur les boîtes de médicaments » : https://t.co/eS8mRv1oDi
— Pharmacosmetech (@pharmacosmetech) May 6, 2020
"La relocalisation, c'est reconnaître qu'on est allés trop loin"
En juin 2020, pressé par le secteur et l'opinion public, Emmanuel Macron annonce son intention de recréer un biotope à la française pour l'industrie pharmaceutique. Les premières annonces suivent quelques jours après.
Il faut dire que les conclusions du rapport Biot, commandé en septembre 2019, sont sans appel : tensions d'approvisionnement multipliées par 20 depuis 2008, ruptures d'approvisionnement mis en cause dans 20% à 30% des cas de pénurie, déséquilibre de l'offre et de la demande...Relocalisons la production de médicaments essentiels sur notre sol ! pic.twitter.com/TOPpRaaAT0
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) June 16, 2020
Après 10 ans de revendications du secteur, l'annonce est bienvenue, mais arrive bien tardivement. Remonté, David Simonnet en accuse "l'hyprocrisie et la schizophrénie des pouvoirs publics. On nous dit qu'on veut maintenir des secteurs d'excellence en France, et en même temps on fait du médicament un produit aussi banal qu'une pièce de textile dont l'enjeu principal est le coût. Alors qu'on touche à la vie des gens ! On ne peut pas livrer impunément des produits stratégiques aux forces de la mondialisation. La relocalisation, c'est reconnaître qu'on est allés trop loin."
Un long processus commence
Mais s'il est satisfait que les politiques fassent un pas vers la chimie française, il s'inquiète des délais qui seront exigés, et rappelle que la route sera longue. "Pour relocaliser un principe actif, le plus court, c'est 9 mois, si on doit refaire quelque chose qu'on savait déjà fabriquer. Sinon, ça peut aller jusqu'à deux ou trois ans."
Pour qu'un médicament soit commercialisé en France, il doit passer par ces 4 étapes :
- Mise au point du principe actif : 4 à 6 mois
- Maîtrise des enjeux d'environnement, de sécurité et de qualité : 6 à 12 mois
- Passage de la production au stade industriel : 6 à 12 mois
- Mise en conformité et contrôle qualité : 6 à 12 mois
Un long chemin, mais qui en vaudra la chandelle pour le secteur français. "En relocalisant 2 à 3 molécules par chaque année, on pourrait augmenter de 50% notre chiffre d'affaires d'ici 2024. Cela se traduit par des investissements, et des recrutements." Une bonne nouvelle pour la région, alors que le bassin de vie de Pithivers est marqué par "une hausse de la demande d'emploi plus forte qu'en moyenne régionale et un poids important des chômeurs de longue durée."