Soupçons de maltraitance en Ehpad : "Il n’y avait pas cette bienveillance vis-à-vis de la personne âgée malade"

Le père d’Anne-Marie est décédé en juillet dans un Ehpad Korian du Loiret. La veille de sa mort, elle signalait des disfonctionnements et déposait une plainte pour maltraitance. Aujourd’hui, elle souhaite se joindre à l’action collective contre le groupe Korian lancée par une avocate parisienne.

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C’est une histoire qui fait douloureusement écho au scandale Orpéa révélé le 26 janvier lors de la sortie du livre "Les Fossoyeurs" de Christophe Castanet. Cette fois-ci, c’est bien Korian, premier dans le secteur de l’hébergement des personnes âgées, qui est visé par des accusations de maltraitance. Anne-Marie qui vit à Saint-Jean de Braye dans le Loiret, a tiré la sonnette d’alarme bien avant la sortie du sulfureux ouvrage. Elle a envoyé un signalement à l’agence régionale de santé du Centre-val de Loire, écrit une lettre à Sophie Boissard la PDG de Korian, et déposé une plainte auprès du Procureur de la République d’Orléans dès le 27 juillet dernier. Sans se douter que le lendemain, son père José, 88 ans, rendrait son dernier souffle. "Le décès de mon papa est la suite des nombreuses chutes qu'il a faites. Ces chutes n'ont pas été surveillées. S'il avait été encadré, il serait encore la", déplore-t-elle la gorge nouée par l’émotion encore vive.

"Jamais je ne me serais doutée que de tels agissements puissent survenir"

Ce n’est pas de gaité de cœur qu’Anne-Marie décide de placer son père en 2020. Atteint de la maladie d’Alzheimer, José est d’abord maintenu à son domicile grâce à la visite d’infirmières et d’aides-soignantes matin et soir. Il reçoit aussi les visites quotidiennes de sa fille et de sa petite-fille qui s’évertuent à veiller sur le lui. Mais le vieil homme commence à déambuler la nuit. Anne-Marie équipe alors son domicile de caméras qui, très vite, s’avèrent insuffisantes. "Une nuit, il a fait une chute, qui m'a tellement traumatisée, qu’on s'est dit qu'il fallait qu'on trouve une structure adaptée, surveillée, où il serait en sécurité."

Elle se met alors en quête d’un établissement adapté à Orléans mais, confrontée au manque de places, doit se résoudre à étendre ses recherches. A la Ferté-Saint-Aubin se trouve un Ehpad du groupe Korian pourvu d’une unité de vie protégée de 14 places : Le Château des Landes. L’établissement a tout pour plaire. Niché au cœur de la Sologne, entouré de forêt et battit autour d’un château, la maison de retraite médicalisée séduit Anne-Marie et sa fille dès la première visite. "Le directeur de l’époque nous a dit qu'ils avaient la structure adaptée à recevoir ce type de pathologies (ndlr la maladie d’Alzheimer), qu'ils étaient surveillés, peu nombreux et avaient la chance d'avoir du personnel soignant en continu. Jamais je ne me serais doutée que de tels agissements puissent survenir par la suite."

"On est tombées de très haut quand on l’a vu arriver"

José intègre la maison de retraite en octobre 2020. Une solution provisoire, le temps pour sa famille de trouver une structure plus proche. Mais quelques jours seulement après son placement, le second confinement est décrété. Les transferts sont désormais interdits et, plus désolant, les visites sont suspendues afin d’éviter tout risque de transmission du covid aux résidents. Anne-Marie patiente deux longs mois avant de pouvoir revoir son père. Quand enfin en décembre, elle reçoit un mail de la direction annonçant la fin des restrictions, c’est emplie de joie qu’elle se rend avec sa fille au Château des Landes, sans se douter que le bonheur allait tourner court. "On est tombées de très hauts quand on l'a vu arriver. Son squelette avait changé, il ne se tenait plus droit, il avait le dos arrondi. Quand il nous a vues, il n'a même pas souri alors qu'il était toujours heureux. Il était sale, ses yeux, sa bouche, les doigts sales. Il portait des vêtements qui n’étaient pas à lui, n’était pas coiffé, pas lavé. Il ne nous parlait plus et était très très amaigri", décrit-elle. Anne-Marie estime que José a perdu "au moins 10 kilos" quand elle le retrouve. Effarée, elle tente de rencontrer le directeur... absent. Elle appelle, envoi des mails. Tous restent sans réponses. "Je n'ai jamais pu voir personne. Je me suis heurtée à un mur."

Entre dix et quinze allers-retours aux urgences en dix mois

La famille continue de visiter José chaque semaine et devient le témoin meurtri de la déchéance de son proche. "La manière dont on le tirait dans le couloir, je le voyais venir, on le tire alors que lui est déjà était vouté. Son squelette ne lui permettait plus d'avancer correctement. C’était inhumain. Il n'y avait pas cette bienveillance vis-à-vis de la personne âgée et malade", constate Anne-Marie, désœuvrée. Puis, c’est le début d’une longue série de chutes. La famille découvre régulièrement des hématomes, "pas toujours expliqués" par le personnel soignant. José tombe beaucoup et Anne-Marie regrette de ne pas être systématiquement prévenue. "Il pouvait rester une demi-heure, trois quarts d'heure par terre, personne ne le voyait et il n'arrivait plus à parler, donc il ne pouvait pas appeler. Il est arrivé qu'il tombe à 1h15 du matin mais il y avait seulement le veilleur de nuit et une aide-soignante pour tout l’établissement", déplore-t-elle. Elle s’interroge, se demande si la pathologie de José est la seule cause de ses chutes. "Ses pantoufles étaient-elles trop larges et il trébuchait ? Je cherchais des réponses mais aussi des solutions. Je demandais à ce qu’il ait de la kiné, qu’il voit un ostéopathe. On m’a ri au nez. Jusqu'au jour où je suis sortie de mes gonds, je n'ai plus maîtrisé mes réactions, j'ai éclaté en sanglots. J’ai fait une mini-crise de nerfs".

Anne-Marie met "trois mois" à lui obtenir des chaussons thérapeutiques. Malgré cela, les chutes se poursuivent. Au total, José fait entre 10 et 15 allers-retours aux urgences en dix mois. "Un jour, j'appelle comme tous les matins, on me dit à 9h qu’il est tombé mais qu’il va bien, qu’apparemment il n’a rien. A 11h on me rappelle : "Il faut qu'on envoie votre papa aux urgences, il a le crâne ouvert sur au moins 5cm." J'étais hors de moi ! J'ai tenu des propos, peut-être même des menaces. Je n'ai pas lâché à partir de là."  Anne-Marie décide alors de faire un signalement à l’Agence Régionale de Santé du Centre-Val de Loire. Elle écrit également une lettre à Sophie Boissard, la PDG du groupe Korian, et dépose plainte contre le Château des Landes auprès de la procureure de la République d’Orléans. Les trois lettres sont postées le 27 juillet dernier. "Ce n’est pas un acte anodin. J'en ai mesuré l'ampleur, et je me suis dit : je ne peux pas me taire, laisser continuer à laisser faire, ni pour mon papa ni pour le reste des résidents."

Le lendemain, le téléphone sonne. On annonce alors à Anne-Marie le décès de José. Quelques jours auparavant, il avait été hospitalisé une énième fois suite à une chute. A son retour, elle avait constaté que son père avait du mal à respirer et pensait qu’il avait le nez cassé. "Il avait de l’oxygène mais n’arrêtait pas de le retirer. Il a dû l’enlever durant la nuit et personne ne s’en est rendu compte  parce que le matin, le médecin qui a constaté le décès m’a dit qu’il avait sans doute manqué d’oxygène".

Une plainte "légitime" selon la nouvelle directrice du Château des Landes

Anne-Marie considère donc la mort de son père "consécutive aux multiples chutes" qui, selon elle, seraient la conséquence d’un manque de surveillance. Elle attend alors des réponses aux trois lettres postées la veille. Celle de la direction de Korian lui parvient le 10 août dernier. On la renvoie vers l’assureur du groupe dont les conclusions sont tombées en janvier. Dans ce courrier, la compagnie d’assurance ne relève "aucune faute dans l’organisation et le fonctionnement" de l’établissement. Le signalement à l’ARS lui, conduit à la mise en place d’un plan d’actions. Et c’est la nouvelle directrice, arrivée en octobre dernier, qui s’évertue à le mettre en place.  "A l’époque, j’étais IDEC (ndlr : infirmière coordinatrice) d’appui national. J’étais missionnée par le groupe Korian sur un établissement considéré en difficulté pour mettre en place des actions correctives", explique, Isabelle Lorenzotti, arrivée donc au Château des Landes après le décès de José. "La famille m’a fait remonter plusieurs disfonctionnements et à juste titre. Ce sont des disfonctionnements que j’ai pu constater dans l’accompagnement de ce monsieur", reconnait l’actuelle directrice, qui estime "légitime" la plainte d’Anne-Marie.

"Quand on perd un proche il est important de savoir pourquoi. Surtout quand on a des questions sur l’accompagnement. Je reconnais des disfonctionnements et je m’en excuse platement, malheureusement je ne peux pas faire grand-chose d’autre pour ce qu’il s’est passé avant. Par contre je peux m’engager pour qu’aujourd’hui et demain ça ne se reproduise en aucun cas."

Isabelle Lorenzotti - Directrice du Château des Landes

Des disfonctionnements qu’Isabelle Lorenzotti impute à "un manque important de soutien de la part de la hiérarchie" de l’époque. Lorsque José y résidait, le Château des Landes avait des allures de bateau sans capitaine. Les 4 membres de la direction étaient absents, tous en arrêt maladie. "Les équipes ont essayé de faire au mieux comme elles pouvaient. Quand on n’est pas secondé, pas soutenu, pas guidé par sa hiérarchie, on ne prend parfois pas les bonnes décisions ou on est démuni et on ne sait pas se dépatouiller avec ce qu’il se passe. Je pense que c’était le disfonctionnement le plus important."

"Il y a eu beaucoup d’améliorations"

Depuis, la directrice dit avoir mis en place plusieurs mesures. Des formations sur hygiène, la bienveillance, des briefs quotidiens avec le personnel, l’amélioration de certaines pratiques et la mise en place de serrures anti-panique dans l’unité de vie protégée. Enfin, des moments d’échanges avec les familles ont été instaurés une fois par mois. "Cela nous a permis d’entendre la parole des familles qui n’était pas entendue auparavant, et cela nous permet aussi de progresser et de pouvoir répondre à des questions sommes toutes légitimes. Ils laissent leurs proches ici, ce qui est déjà douloureux comme étape, ils payent un certain prix aussi et ont droit à des réponses".

Isabelle Lorenzotti reconnait également que les effectifs manquaient. "Beaucoup de personnel était en arrêt maladie à cause des problèmes avec la direction". Depuis son arrivée, sept à huit soignants sont de nouveau présents en journée et trois la nuit pour 60 résidents. "Il y a eu beaucoup d’améliorations", conclue la nouvelle directrice, "et on est encore en voie d’amélioration".

Anne-Marie, elle, est décidée à aller jusqu’au bout de son combat. Sa plainte a conduit à l’ouverture d’une enquête judiciaire et elle tente actuellement d’entrer en contact avec Sarah Saldmann, une avocate parisienne qui affirme avoir reçu une trentaine de plainte de familles de résidents du groupe Korian. Elle envisage de déposer une action collective en justice en avril prochain à laquelle Anne-Marie souhaite donc se joindre. "Ma colère ne me ramènera pas mon père. Mais je lui dois ça. Je pense à toutes les autres personnes qui sont là, qui pour beaucoup, ne reçoivent aucune visite, n'ont pas de famille. J'ai envie que ces gens qui sont tout en haut de la pyramide redescendent, qu'ils oublient les dividendes, les actionnaires, et qu'ils soient plus proches des familles et des résidents."

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