TEMOIGNAGE. "Je restais à veiller le patient, il n'était plus conscient", Angélique, infirmière libérale, accompagne les patients en fin de vie

Un projet de loi sur la fin de vie d'ici la fin de l'été. C'est le souhait du président de la République. Sur le terrain, l'accompagnement à la fin de vie est bien plus complexe à mettre en œuvre. Patience, écoute et compréhension sont indispensables. Nous avons rencontré Angélique, infirmière depuis 20 ans dans le Loiret.

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Angélique est infirmière depuis 20 ans. Dont trois en urgences et médecine, le reste en libéral. Chaque année, elle accompagne des patients dans cette étape difficile qu'est la fin de vie. Parfois brutale et fulgurante, en quelques jours, ou bien durant plusieurs semaines. 

En 2022, Angélique s'est rendue au chevet de quatre personnes. Dont une femme d'une quarantaine d'années et un homme plus âgé, qu'elle a suivi durant un mois. "J'ai géré presque toute seule, c'était l'été. Les aides à domicile venaient pour faire la toilette", raconte-t-elle.

À un moment, les patients s'endorment, ils sont dans un état comateux. On continue à leur parler, à les rassurer…

Angélique, infirmière libérale intervenant à domicile

"Je restais à veiller, le patient n'était plus conscient", se souvient Angélique. Lui parler, le soulager avec des massages des articulations, veiller à ce qu'il ne grimace pas de douleur… Chaque geste est important, pour accompagner le malade. Pour les proches, également. 

"On est là, à côté de la famille. On écoute l'histoire de la personne, les souvenirs de l'entourage. On écoute les croyances sans jugement. Je les aide, je leur dis que leur parent a l'air bien. ", poursuit Angélique, dont la voix reste douce et rassurante, même lorsqu'elle s'adresse à nous. 

Une oreille attentive et le temps nécessaire pour préparer l'entourage au deuil

Face à l'émotion, la tristesse, la colère, l'incompréhension, l'infirmière s'adapte. "On reste le plus calme possible. On leur dit qu'on est là, qu'on les entend. On essaie de trouver les mots les plus justes. Cela prend du temps", résume Angélique.

Le temps, dans ces circonstances, n'est pas la priorité de la professionnelle. Alors que sa tournée est souvent menée au pas de charge, l'infirmière s'interdit de raisonner dans ce sens. "Quand j'y suis, je peux rester trois quarts d'heure. Je pense que c'est important. Parfois, on ne parle pas, il y a du silence", développe-t-elle. 

"On ne compte pas le temps, pas l'argent. Si je le fais, cet accompagnement à la fin de vie, c'est par amour du métier. Sur ma tournée, j'y consacrerai le temps nécessaire", ajoute Angélique. Elle rappelle que la journée ne compte que 24 heures et qu'elle parviendra toujours à s'organiser en fonction des priorités. 

On n'est pas là pour courir ni pour affoler les patients et leurs proches.

Angélique, infirmière depuis 20 ans

"Tous les gens ne meurent pas à domicile mais certains préfèrent rester chez eux", souligne Angélique. Pour autant, ces personnes sont généralement plutôt âgées. Ce qui n'est pas le cas de cette femme dont elle parle aussi, une patiente atteinte d'un cancer généralisé à 40 ans. 

En quelques jours, il a fallu faire face. "On l'a accompagnée. Elle a été très très douloureuse. C'était très difficile de la sédater", se souvient Angélique. Pour elle aussi, ces moments sont compliqués. Mais elle explique pouvoir être écoutée en cas de besoin, par les professionnels des soins palliatifs notamment. 

À mon niveau, je trouve que les médecins de ville ne sont pas assez disponibles pour ce genre de prise en charge

Angélique, infirmière libérale

"On n'intervient jamais seul quand il s'agit d'une fin de vie à domicile", commente Angélique, infirmière exerçant dans le Loiret. Toute une équipe est en effet mobilisée, parmi lesquelles les infirmiers salariés ou libéraux, les aides à domicile et le médecin. 

Ce dernier, central en ce qui concerne la médication, est installé en cabinet de ville ou bien rattaché à un centre hospitalier. L'infirmière parle aussi de "prestataires qui livrent le matériel, souvent une perfusion. L'hydratation au moins, si ce n'est une alimentation et de quoi soulager la douleur." 

Plusieurs solutions à évaluer selon la situation du patient

La morphine, par exemple. En cas de sortie d'hospitalisation, deux options se présentent. L'hôpital accompagne le patient et garde le lien avec lui, en mettant en place l'accompagnement par un prestataire, qui, lui, contactera Angélique est ses confrères, ou bien l'Hospitalisation à domicile (HAD), qui dispose d'équipes salariées et d'infirmiers libéraux partenaires

Une étape intermédiaire, entre le médecin de ville et l'HAD existe et permet, selon les circonstances, de procéder à un suivi peu médicalisé. Il s'agit des Services de soins infirmiers à domicile, également appelés SSIAD.

L'hospitalisation à domicile, soutenue par les soins palliatifs

"Souvent, quand ce n'est pas l'HAD, on est aussi en lien avec les soins palliatifs", précise Angélique. Une routine qui fonctionne, contrairement à la médecine de ville. Surchargée et déjà sous l'eau depuis un certain temps. "Cela n'est pas toujours évident de travailler avec les médecins de ville", résume-t-elle.

"On en a perdu beaucoup, par ici. Avec ceux qui sont partis, c'était déjà compliqué. Certains, installés aujourd'hui, ne sont pas joignables par téléphone", note la professionnelle. Le problème, c'est que le médecin reste indispensable : "On ne peut pas prendre en charge sans ordonnance !"

Les protocoles, ça va deux minutes. Je fais au mieux, avec le coeur

Angélique, infirmière dans le Loiret

Et après, une fois le décès survenu ? "On n'intervient plus, par la suite", explique Angélique. Pour autant, elle tient à conserver ses valeurs et une certaine humanité. Notamment auprès de l'entourage de cet homme, parti l'été dernier. "Je suis repassée pour présenter mes condoléances, pour dire au revoir à la famille", explique-t-elle.

"Tant que cela reste dans la déontologie… C'était important pour moi. Je ne peux pas, d'un coup, disparaître. Il faut d'abord clôturer ce moment", énonce Angélique. Cet accompagnement à la fin de vie a toujours fait partie de sa carrière. "J'ai toujours été à l'écoute", souligne-t-elle. 

"Mon discours était peut-être différent au début", nuance-t-elle. Avec l'âge, la maturité s'est installée. "Quand les gens pleurent auprès de leurs parents, c'est difficile aussi. On le ressent, on est dans l'empathie, mais il faut passer à autre chose. On y arrive assez vite, quand on reprend la tournée", conclut-elle.

Suite à la convention citoyenne sur la fin de vie, Emmanuel Macron s'est exprimé en début de semaine. Le résultat est sans appel : les 184 citoyens interpellent le gouvernement quant aux inégalités d'accès aux soins palliatifs et se prononcent, avec prudence, en faveur d'une aide active à mourir, sous conditions.  

De son côté, le président de la République estime qu'un projet de loi est souhaitable "d'ici la fin de l'été". Avec "toutes les parties prenantes et sur la base des conclusions", il s'agira de bâtir "un modèle français de la fin de vie"

De nombreux professionnels feront valoir leur clause de conscience. Seulement quelques professionnels sont favorables à l'évolution de la loi. Car celle-ci prévoit déjà des choses.

Tony-Marc Camus, président du réseau régional des soins palliatifs Centre-Val de Loire

Localement, le projet régional de santé (PRS) donne lieu à un travail sur la question des soins palliatifs. "C'est la troisième génération de ce projet régional de santé. On y travaille depuis plusieurs mois", résume Tony-Marc Camus, président du réseau régional des soins palliatifs en région Centre-Val de Loire et directeur général adjoint de l'Assad-HAD. 

"Donner la mort n'est pas un soin"

Il rappelle que ce réseau, ainsi que la cellule de coordination des soins palliatifs, est le plus ancien de France. Sa mission ? Coordonner l'offre et le développement des soins palliatifs, avec l'Agence régionale de santé, en région. Au sujet de l'évolution de la loi, l'incertitude est le maître mot. 

"Il est peut-être urgent de ne pas trop faire bouger les choses", explique Tony-Marc Camus, parlant déjà de trois projets de loi déposés par an. Des propos confirmés par Laurent de Loynes de Fumichon, responsable de l'équipe mobile des soins palliatifs et d’accompagnement au Centre hospitalier régional d'Orléans

Ma crainte, avec la future loi sur l'aide active à mourir, c'est la perte de compétence des soignants. Et donc, un abandon.

Laurent de Loynes de Fumichon, responsable de l'équipe mobile de soins palliatifs au CHU d'Orléans

"S'il n'y a plus de soignants, il n'y a plus de patients. C'est d'ailleurs le risque de ce projet de loi", explique-t-il. Spécialisé dans la prise en charge de la douleur depuis 17 ans, le médecin consacre 100 % de son activité aux soins palliatifs, au sein du Centre d'activité Douleurs - Soins palliatifs d'Orléans. 

"Il y a très peu de gens, au final, qui veulent mourir", assure Laurent de Loynes de Fumichon. Une fois accompagné sur le plan de la douleur, insupportable parfois, le patient peut se sentir mieux. Il peut aussi faire face à la dépression, laquelle altère le jugement et peut conduire à une perte de sens de la vie.

En tant que donneurs de mort, évidemment, on est défavorables.

Dr Laurent de Loynes de Fumichon

Encore une fois, un accompagnement est possible, concernant la dépression. Et parfois, rarement, "on n'a pas de réponse". Par an, selon le spécialiste, il ne restera que deux à trois patients. Pour ces derniers, des solutions, parmi lesquelles la sédation, existent déjà. Avec écoute, du patient et de son projet, tout est possible. 

"Donner la mort n'est pas un soin. On n'a pas fait médecine pour ça", rappelle Dr Laurent de Loynes de Fumichon. Les réponses d'exception, selon lui, sont donc possibles, en ayant d'abord une vision globale du patient, une certaine expertise de ce dernier, à son contact, et beaucoup d'humanité. 

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