Une association de patients saisit la justice suite à des effets secondaires irréversibles, subis après la prise d'antibiotiques à base de fluoroquinolones. Il serait encore prescrit trois fois trop en France, comparé aux dernières recommandations de l'agence du médicament.
"Je me suis retrouvée dans le corps de quelqu'un de 80 ans", Catherine Parfait en a pourtant 37. Des douleurs au thorax, palpitations, impression de chaud/froid, ou encore celle d'un corps qui la brûle, cette trentenaire est passée par des dizaines de symptômes.
Pour cette habitante d'Eure-et-Loir, ils sont le résultat d'une prise d'antibiotiques de la famille des fluoroquinolones. Elle fait partie des patients qui portent plainte contre X auprès du parquet de Versailles pour dénoncer des effets secondaires irréversibles et une prescription non justifiée du médicament.
Les fluoroquinolones "ne doivent être prescrites qu'après avoir soigneusement évalué leurs bénéfices au regard des risques d’effets indésirables attendus, et après en avoir informé le patient" indique le site de l'agence nationale du médicament.
Ce qui n'a pas été le cas pour Catherine. Elle a été confrontée aux fluoroquinolones pour la première fois fin 2020, pour une simple infection urinaire. Une prescription de "première intention" qui ne devrait pourtant pas être de mise.
Un risque réévalué en 2019
"Les antibiotiques, ce n'est pas automatique". Ces patients auraient sans doute souhaité que cette phrase de communication diffusée pendant plusieurs années s'applique à leur cas. Depuis 2019, l'agence nationale du médicament (ANSM) avait en effet réévalué la "balance bénéfice/risque" des fluoroquinolones.
Une décision prise : "compte tenu de la gravité de certains de ces effets, comme une atteinte du système nerveux (neuropathies périphériques), des troubles neuropsychiatriques, une affection du système musculosquelettique (douleurs et gonflements au niveau des articulations, inflammation, voire rupture des tendons, douleurs et/ou faiblesse au niveau des muscles), et de leur caractère durable dans le temps, invalidant et potentiellement irréversible", indique l'institution dans son dossier dédié aux Fluoroquinolones.
Des effets graves connus
Les praticiens le savent, cette famille d'antibiotiques peut avoir de lourdes conséquences : "on ne manie pas de la poudre de perlimpinpin" reconnaît Patrick Petit, président du conseil de l'ordre en Centre-Val de Loire." Chaque médecin est libre de sa prescription médicale, mais il faut qu'elle puisse se justifier. Si elle sort des indications validées scientifiquement".
Louis Bernard, chef du service des maladies infectieuses du CHRU de Tours, détaille les risques de tendinopathie" allant jusqu'à la rupture du tendon d'Achille", mais aussi les atteintes nerveuses et douleurs chroniques. Des effets rares, mais qui valent à ces médicaments d'être délivrés uniquement lors d'infections graves, comme des pyélonéphrites.
Catherine, elle, reste marquée, bien que sa situation s'améliore : "j'ai encore une sensation de courbatures en permanence, je suis facilement essoufflée et assez angoissée". Au pire de ses symptômes, la juriste ne trouve aucun soutien au sein du corps médical qu'elle consulte. Souvent, on lui oppose son stress.
Dernière chance avant l'hospitalisation
La limitation de cette famille d'antibiotiques ne tient pas que dans les risques d'effets indésirables, mais également à cause de la résistance à d'autres bactéries que peut développer une prise trop fréquente. Escherichia coli en première ligne.
Le professeur insiste cependant sur la nécessité de cet antibiotique, lorsqu'il est prescrit à bon escient, "il est bactéricide et assez révolutionnaire". C'est fréquemment la dernière option pour éviter l'hospitalisation : "puisqu'il se prend par voie orale". Contrairement à des prises intraveineuses qui doivent se faire à l'hôpital.
Encore prescrit trois fois trop ?
En réalité, selon Philippe Coville, "on en prescrit encore trois fois trop en France". Cet ingénieur fait partie des administrateurs d'un groupe Facebook qui réunissait près de 400 personnes le 24 mars 2023, deux semaines après la publication de plusieurs articles de presse sur le sujet.
"C'est une question d'habitude, de prescriptions parfois "estime Louis Bernard," mais il y a aussi des pressions par certains patients qui veulent avoir absolument des antibiotiques". L'habitude, quoi qu'il arrive, ne peut en revanche "pas être une excuse", aux yeux de Patrick Petit.
"Il n'y a pas plus d'effets secondaires parce qu'on le prescrit mal", précise le professeur Louis Bernard. "En revanche, plus on le prescrit, plus on a de risque d'avoir des patients qui subissent des effets indésirables".
Pénurie d'antibiotiques
Véronique Fauchier est médecin généraliste à Chartres, et ancienne présidente de l'ordre des médecins de son département. Au terme d'une journée de travail, elle affirme que les fluoroquinolones se prescrivent avec la plus grande précaution.
En revanche, la pénurie d'antibiotiques subie depuis 2021 rend parfois les prescriptions compliquées : "alors oui, on peut se retrouver à les prescrire parce qu'il manque d'autres références et qu'à ce moment-là, on n'a pas le choix".
Des praticiens non contrôlés
Pour exprimer sa nouvelle recommandation, prise à échelle européenne, l'ANSM envoie un courrier à tous les praticiens. Ce n'est pas assez, au regard de Philippe Coville. Véronique Fauchier l'allègue aussi de son côté, aucune vérification n'a été faite par les autorités.
La seule méthode consiste à faire appel à la caisse nationale de l'assurance-maladie (CNAM), pour une vérification précise des prescriptions par praticien. Les informations sont ensuite transmises aux caisses locales, les CPAM, pour enclencher une procédure et éventuellement des sanctions. "On n'a jamais eu ce type de requête, ni de mise en garde ou d'alerte particulière" assure Véronique Fauchier. Dans tous les cas, affirme la médecin généraliste, "ça ne se fera pas du jour au lendemain". Ce genre de procédure n'aboutirait pas avant au moins une année.