Charlin Hallouin est un des agriculteurs qui a rencontré Emmanuel Macron ce jeudi à l'Elysée. Pour lui, le discours n'était pas à la hauteur des attentes. Débrief.
Convaincant, Emmanuel Macron ? "C'était un discours oui et non", répond Charlin Hallouin. Plutôt non, en fait. Emmanuel Macron avait réuni ce jeudi matin à l'Elysée plusieurs centaines d'agriculteurs, pour prononcer un discours sur l'avenir du monde agricole. Coincé entre les états généraux de l'alimentation, qui se sont clos en décembre, et le Salon de l'agriculture dans deux jours."Pour moi, ce n'était pas suffisant"
Parmi les agriculteurs venus l'écouter, Charlin Hallouin, céréalier du Loir-et-Cher que nous avions interviewé il y a quelques jours, afin de connaître ses attentes. Pour lui, c'est une globale déception.
- Sur l'interdiction du glyphosate
Point de tension entre Emmanuel Macron et les agriculteurs céréaliers : l'interdiction du glyphosate en France, dans les 3 ans à venir. Emmanuel Macron avait annoncé son intention de se désolidariser de la décision de l'Union Européenne qui souhaitait, elle, autoriser l'usage de ce pesticide. Classé comme cancerogène probable par l'OMS, le produit de la célèbre firme Monsanto fait l'objet d'une bataille d'experts.
Problème : Emmanuel Macron avait promis alors une solution alternative. Encore flou pour Charlin Hallouin.
J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans. #MakeOurPlanetGreatAgain
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 27 novembre 2017
"Il affirme que 90% des agriculteurs ont une solution… Je dois faire partie des 10%. Et quand je discute avec mes collègues, je n’en trouve pas 9 sur 10 qui n’ont plus de souci avec cette interdiction."
- Sur les retards de la Politique Agricole Commune
Depuis 2015, le monde agricole souffre du retard de versement des aides versées par la Commission Européenne au titre de la Politique Agricole Commune (PAC). Ce retard a été d'abord provoqué par une contestation des documents fournis par la France sur les superficies primables, soit un conflit purement administratif. Toujours pas réglé.
Sur ce dossier, pour le céréalier, Emmanuel Macron a botté en touche. "L’erreur ne vient pas de lui, il nous l’a bien rappelé. Il nous annoncé un énième calendrier de paiement, on sait qu’il ne va pas être tenu. Ils n’ont jamais été tenus depuis 2015 ! Il nous l’a dit de toute façon, à la fin, "Il n’y aura pas de miracle". J’ai peur qu’en attendant, les agriculteurs payent la facture."
- Sur le plan d'investissement de 5 milliards d'euros et l'accord Mercosur
En septembre 2017, le gouvernement Macron avait annoncé un investissement de 5 milliards d'euros pour l'agriculture. Pourquoi ? "Pour accélérer l’adaptation des outils et le changement des pratiques, pour mieux intégrer la réponse aux défis climatique, pour renforcer la compétitivité des différentes filières, pour soutenir la recherche et l’innovation", selon les dires d'Edouard Philippe.
Des termes génériques que les agriculteurs s'attendaient à avoir des précisions. Elles sont venues mais, de l'avis de l'agriculteur loir-et-chérien, avec des incohérences. Pour lui, les axes définis par le président entrent en conflit avec les projets d'accord avec le Mercosur, le marché de libre-échange latinoaméricain. Celui-ci suscite la méfiance du monde agricole.
"Il a parlé d’un plan de 5milliards d’euros, en gros pour nous aider à investir – c’est-à-dire à encore créer des charges – pour pouvoir créer des nouvelles filières, de nouveaux bâtiments, produire mieux et plus sainement… Et de l’autre côté, on ne nous garantit pas une protection sur les marchandises et les matières premières agricoles qui vont entrer en France, depuis des pays qui produisent, eux, de manière catastrophique.
Il nous a donné ses lignes rouges, oui. Mais ce n’est pas parce qu’on est jeune agriculteur qu’on est naïf ! Nous ce qu’on veut, ce sont des sanctions si ces lignes rouges sont franchies, et pour l’instant, on ne les a pas. Est-ce qu’il y en aura ? Si oui, lesquelles ?" réagit Charlin Hallouin.
Il n'y aura aucune réduction de nos standards de qualité. Il n'y aura jamais de bœuf aux hormones en France.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 22 février 2018
- Sur les rapports agriculteurs / distributeurs
Cette intervention d'Emmanuel Macron intervient, on l'a dit, à la croisée des tensions. Parmi elles, celle, sempiternelle, du conflit entre agriculteurs et distributeurs. Il a été ravivé par les discussions autour du projet de loi Alimentation, présenté après les états généraux du même nom, début février. Dans la ligne de mire des producteurs, les distributeurs qui font pression sur eux pour faire baisser leurs prix.
Là encore, la prise de position d'Emmanuel Macron n'a pas convaincu son spectateur : " Il a passé son temps à remonter les bretelles des industriels et distributeurs, mais sans jamais en nommer, on avait même parfois l’impression que c’étaient les agriculteurs qu’il montrait du doigt ! A un moment, il faut savoir taper du poing sur la table. Nous les agriculteurs, on n’est rien par rapport à eux. Si ce ne sont pas les politiques qui font quelque chose, qu’est-ce qu’on va faire, nous ?"
- Sur les achats de terre par les investisseurs étrangers
Cette thématique a particulièrement concerné notre région : il y a deux ans, puis cet été, des investisseurs chinois avaient acquis plusieurs milliers d'hectares de terres dans l'Indre et l'Allier. Ils avaient réussi, grâce à un montage juridique, à contourner les prérogatives des Safer, les sociétés chargées de protéger le modèle agricole familial.
Précisément pour faire suite à cette affaire, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place de "verrous réglementaires" sur les achats de terres agricoles par des étrangers en France. Une décision qui n'a suscité que le dédain poli de Charlin Hallouin. "Le rôle de la Safer a été renforcé récemment, ça n’a pas empêché les investisseurs étrangers d’occuper plusieurs centaines d’hectares."
Le bilan du professionnel
Sans surprise, l'avis global du jeune céréalier Charlin Hallouin est loin de l'enthousiasme.
"J’ai entendu beaucoup de forme et très peu de fond, la même chose que lors du discours des vœux. Peut-être qu’il attend le salon de l’agriculture pour les vraies annonces ? On peut toujours y croire.. ! Pour moi, ce n’était pas suffisant. Il manquait des choses : de l’application, et des certitudes."