Le groupe pharmaceutique a été reconnu coupable ce 20 décembre de tous les chefs qui lui étaient reprochés, y compris le délit d'escroquerie pour lequel il avait été relaxé en première instance. Servier se pourvoit en cassation.
C'est ce qui ressemblait à l'épilogue de plus de 12 ans de procédures judiciaires. Le laboratoire Servier, fondé dans le Loiret en 1954, est condamné par la cour d'appel de Paris, pour tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires ainsi que pour le délit d'escroquerie, pour lequel il avait été relaxé en première instance. La peine prononcée oblige l'entreprise à payer 7 millions d'euros d'amende et 415 millions de remboursement des organismes de sécurité sociale.
L'appât du gain caractérise l'escroquerie
L'affaire du Mediator éclate en 2010. Ce médicament "coupe-faim" est soupçonné d'avoir causé la mort de 1 500 à 2 100 personnes en France. Initialement, le Médiator est prescrit dans le traitement du diabète de type 2 associé à une surcharge pondérale. Le Mediator et ses génériques sont interdits à la vente depuis le 30 novembre 2009.
Selon les informations de Franceinfo, présent au procès, Servier a décidé de se pourvoir en cassation. La cour de cassation ne juge pas les affaires sur le fond des dossiers, mais sur la régularité des procédures.
Jean-Philippe Seta, ex-numéro 2 du groupe est également reconnu coupable, et condamné à 4 ans de prison, dont 3 sont assortis d'un sursis simple. Il devrait effectuer la partie ferme de sa peine sous bracelet électronique.
Une "erreur d'évaluation des risques" aux yeux de Servier
Les débats se sont déroulés pendant six mois, du 9 janvier au 8 juin 2023. Servier, et son ex-numéro 2 étaient mis en cause, face à plus de 7 650 parties civiles. Pendant le procès, le groupe reconnaît avoir commis "une erreur d'évaluation du risque" mais nie toute "dissimulation".
Ils peuvent me donner tout l'argent qu'ils veulent, ils m'ont pris ma vie.
Marie, victime du Médiator, à l'ouverture du second procès du Mediator
Au total, le Mediator, destiné aux diabétiques en surpoids, mais prescrit comme coupe-faim, aurait causé la mort d'environ 2 000 personnes. Des milliers d'autres restent marqués physiquement et subissent divers problèmes de santé depuis qu'ils ont consommé la molécule phare de Servier.
A l'ouverture des débats, Marie, une victime du médicament, avait accepté de témoigner auprès de France 3 Centre-Val de Loire. Elle décrivait alors une descente aux enfers : "J'ai commencé à être essoufflée et à avoir de l'œdème aux membres inférieurs. J'avais aussi des problèmes respiratoires, j'ai arrêté de fumer car j'ai cru que cette dernière cigarette allait m'être fatale, décrit Marie. J'ai vu la mort de près."
Deux longs procès dans ce scandale sanitaire
C'est le second procès-fleuve dans cette affaire, qui rassemble des milliers de parties civiles et 350 avocats. Un premier procès avait donc eu lieu à partir de septembre 2019. Les juges avaient rendu leur décision en mars 2021, reconnaissant les laboratoires Servier coupables des mêmes infractions mais relaxé des délits d'obtention indue d'autorisation de mise sur le marché et d'escroquerie. 2,7 millions d'euros d'amende sont alors prononcés. Les juges avaient déjà estimé que l'entreprise disposait "à partir de 1995, de suffisamment d'éléments pour prendre conscience des risques mortels" liés au Mediator.
Face à une décision qui ne convient à personne, toutes les parties, le parquet de Paris, les parties civiles et laboratoire pharmaceutique décident d'interjeter appel. L'ANSM, condamnée à 303 000 euros d'amende pour avoir "gravement failli dans sa mission de police sanitaire", accepte la condamnation.
La France ne retire le Mediator du marché qu'en 2009
Le médicament est retiré du marché en Espagne et en Italie en 2003-2004, mais seulement le 30 novembre 2009 en France. Un an plus tard, la docteure Irène Frachon, pneumologue à Brest publie son enquête dans le livre "Mediator 150 mg, combien de morts ?". Elle est alors considérée comme lanceuse d'alerte dans cette affaire. En 2011, l'Inspection générale des affaires sociales estimera que le retrait aurait dû intervenir dès 1999.
La fin, donc, de longues procédures judiciaires pour les victimes et leurs proches qui se sont investis dans cette première bataille. Servier pourrait cependant de nouveau comparaître puisqu'environ 5 000 autres dossiers pour homicides ou blessures involontaires sont toujours à l’instruction au parquet de Paris. Un nouveau procès pourrait donc avoir lieu dans les années à venir.