"Nous devions garder contact avec eux" : prévenir et soigner les addictions pendant le confinement

Ecrans, jeux en ligne, alcool, drogues ... les addictions ont persisté pendant les deux confinements. Face à cet isolement des personnes, comment associations et addictologues se sont organisés pour prévenir et soigner ?

"On n'a pas de télévision dans les chambres. Quand on se retrouve seule le soir à 23h30 et qu'on n'a pas envie de dormir parce qu'on n'a rien fait de la journée, oui c'est long" ; "je dors, je mange, je fume" ; "Depuis décembre je n'ai pas vu mon homme, ma maman, mes enfants et petits enfants alors que ce sont des choses dont j'ai besoin" ; "A la fin, on sentait que c'était prêt à exploser". Ces témoignages, extraits de l'atelier radio de l'Association de santé et de solidarité, ont été recueillis aux appartements de coordination thérapeutique et au centre de soin résidentiel femmes et enfants d'Orléans. Des femmes y sont soignés pour leur(s) addiction(s).

Parmi les fermetures annoncées par Jean Castex jeudi 10 décembre, il y avait celle des salles de jeux et casinos. Machine à sous, roulette, Blackjack : ces jeux de hasard peuvent très vite devenir des pratiques "problématique ou pathologique", autrement dit une addiction. Cette tendance semble s'accentuer pendant les périodes de confinement selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies. Toujours selon eux, au cours du deuxième semestre 2020, la dépense moyenne des joueurs de poker en ligne était de 134 euros, contre 99 sur la même période en 2019.

Toujours d'après l'Observatoire, 53% des usagers interrogés déclarait consommer autant ou plus de cannabis pendant le confinement. Il démontre aussi qu'en matière de consommation d'alcool et de tabac, la plupart des usagers habituels n'ont pas changé leurs habitudes pendant cette période.

"Davantage recours à l'hospitalisation pour mettre à l'abri de la crise suicidaire"

Estelle Duchesne, addictologue à Bourges, tient tout d'abord à rappeler ce qu'est une addiction : 

L'addiction, c'est lorsque le patient se dit "je continue mon comportement alors que j'en réalise les conséquences". L'entourage est bien souvent impuissant et ne comprend pas la situation. Il continue à consommer tout en connaissant les effets sur sa santé. En général, les patients consacrent moins de temps à leur travail, leurs proches et/ou leurs loisirs au profit de leur(s) addiction(s).

Estelle Duchesne, addictologue

Le premier confinement a été plutôt bien vécu par ses patients, qui avaient, pour la plupart, l'impression de faire partie d'un projet commun de lutte contre la pandémie. En revanche, le second a aggravé la situation de certains. "Tous les projets construits peu à peu s'effondrent, ce qui les incitent à replonger dans l'addiction. J'ai même eu des gens, qui se disaient "stables", qui ont replongé. Par exemple, un patient avait trouvé un travail très récemment. On lui avait promis un CDD mais le confinement a fait que son entreprise n'a pas pu le garder". Il y a aussi les décisions importantes, prises à distance, qui sont parfois mal vécue : l'un de ses patients, seul chez lui, a appris par une lettre postale sa radiation de Pôle Emploi. "Ils paniquent et du coup ils décrochent".

Pendant le premier confinement, l'addictologue perdait énormément d'informations en faisant ses entretiens par téléphone : "70% des signes d'addiction sont non-verbaux". Si certains se sont prêtés au jeu, d'autres ne disaient rien, assuraient que tout allait bien. Elle a donc été obligée de contacter des patients plus fréquemment : "au lieu de les voir une fois par mois, je m'entretenais avec eux une fois par semaine".

En temps normal, Estelle Duchesne apprend à ses patients à connaître leur maladie, à se remettre en question et à réfléchir à leurs modes de vie sur le long terme. Pendant cette période d'isolement où les crises d'anxiétés et les problèmes s'accumulent, les plus fragiles ont dû être hospitalisés dans l'urgence : "Les médecins ont davantage recours à l'hospitalisation pour mettre à l'abri de la crise suicidaire". 

"On verra les conséquences de ce manque de prévention en présentiel demain"

A Orléans, les équipes de l'association APLEAT-ACEP ont dû s'adapter au confinement, notamment en matière de prévention. Cyril Polvoreda, son directeur général, a dû suspendre ses interventions en milieu scolaire à cause de l'épidémie. Les programmes ont donc été numérisés et largement diffusés. "On verra les conséquences de ce manque de prévention en présentiel demain".

En ce qui concerne les patients, il observe cependant qu'il n'y a pas eu de gros décrochages de leur part pendant ces périodes d'isolement : "Le lien avait été créé et nous devions impérativement garder contact avec eux". L'association a même réussi à récupérer les décrocheurs. 

Associations et addictologues sont unanimes : ceux qui ont developpé une dépendance pendant le confinement ne viendront que plus tard. On ne rend compte d'une addiction que des mois, voire des années plus tard. Ils le rappellent : il n'y a pas de discrimation dans l'addiction, tout le monde peut être concerné.

L'association APLEAT-ACEP a ouvert une ligne solidaire pour toute personne souffrant de problèmes d'addiction, de décrochage ou nécessitant des besoins primaires pour les plus précaires. Vous pouvez les contacter au 08.05.38.49.49

 

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