L’abbé Bernard Tartu, ancien chef de chœur des Petits chanteurs de Touraine, fait l'objet de neuf plaintes pour pédophilie entre 1968 et 1985. Bien que les faits soient prescrits en raison de leur ancienneté, le Tribunal Pénal Canonique National (TPCN) a été saisi 30 ans après. Pourquoi ce tribunal a-t-il été choisi et quel est son rôle ? Explications.
Un tribunal spécifique à l’église, c’est l’objectif du Tribunal Pénal Canonique National (TPCN). Il a été institué en décembre 2022, suite aux recommandations de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) dans le rapport Sauvé de 2021.
Pourquoi le TPCN a-t-il été créé ?
Le TPCN a été conçu pour répondre à deux objectifs majeurs.
D'une part, il permet de "dépayser" les affaires sensibles. En effet, lorsque des accusations sont portées contre un prêtre dans un diocèse, la pression locale peut compromettre l’impartialité du jugement. En confiant ces dossiers à une instance nationale, l’Église cherche à éviter toute influence locale et à garantir une justice plus objective.
Dans l’affaire du père Bernard Tartu, accusé de viols et d’agressions sexuelles sur des mineurs entre 1968 et 1985, l’évêque de Tours, Mgr Vincent Jordy, a choisi de saisir le TPCN en raison des tensions locales. Il rendra vendredi 29 novembre le jugement officiel sur l’affaire lors d'une conférence de presse.
Il y avait de nombreuses tensions entre un collectif soutenant les victimes et un autre soutenant le prêtre accusé. J'ai donc saisi le TPCN pour que l'affaire soit traitée dans un cadre national, plus éloigné des enjeux locaux.
Mgr Vincent Jordy, Evêque de Tours
Comme le précise Danto Ludovic, prêtre à Nantes et Doyen de la Faculté de Droit canonique de Paris, "Le TPCN a été conçu pour éviter le risque de partialité qui peut exister lorsqu’une affaire est traitée par un tribunal local. Souvent le prêtre connait tout le monde alors c'est difficile de traiter une affaire de manière neutre."
D'autre part, l'objectif du TPCN est le renforcement des compétences et l’harmonisation de la jurisprudence.
Jusqu’à présent, les d’affaires pénales dans l’Église rendaient difficile pour les tribunaux locaux, souvent peu nombreux et mal équipés, de traiter efficacement ces dossiers complexes. Dans les petites villes, il n’y a pas toujours suffisamment de juristes spécialisés pour juger ces affaires de manière compétente.
L'Eglise s'est rendu compte qu’il fallait des experts pour traiter les affaires d'agressions sexuelles, et que les diocèses n’étaient pas toujours habilités à administrer la justice canonique. C’est pour cela que j’ai décidé de saisir le TPCN
Mgr Vincent Jordy, évêque de Tours
Ce constat a conduit à la création du Tribunal Pénal Canonique National (TPCN), afin de centraliser les affaires sensibles et garantir une justice plus spécialisée et cohérente à l’échelle nationale.
De plus, avant sa création, les tribunaux locaux pouvaient rendre des verdicts différents, ce qui remettait en question la crédibilité de l’Église. "Le TPCN permet de garantir que les affaires soient traitées de la même manière, qu’elles se passent à Lille ou à Marseille", affirme Danto Ludovic.
La prescription : un obstacle que peut contrer la justice canonique
L’affaire du père Tartu, ancien chef de chœur des Petits chanteurs de Touraine, soulève également la question de la prescription.
En droit civil, les faits de violences sexuelles sur mineurs sont souvent prescrits au bout de 20 ans.
Dans le cas de l'affaire Tartu, les abus présumés remontent à plus de 30 ans, ce qui empêche toute action devant un tribunal civil. Cependant, le droit canonique ne suit pas les mêmes délais. Cela permet à l’Église de juger des faits anciens, même s’ils sont prescrits en droit civil.
"Dans des cas d’abus sur mineurs, le Saint-Siège peut décider de lever ou non la prescription", explique Danto Ludovic.
Cette flexibilité offre aux victimes la possibilité de voir leurs souffrances reconnues et d’obtenir des sanctions ecclésiastiques, même lorsque les délais de prescription ont expiré en justice civile.
Danto Ludovic, prêtre à Nantes et Doyen de la Faculté de Droit canonique de Paris
Pour les personnes victimes de l'abbé Tartu, la procédure canonique avec le TPCN devient ainsi le seul moyen d’obtenir une forme de justice, même si elles ne peuvent plus agir devant un tribunal civil.
Le TPCN : le dernier mot dans le jugement
Bien que le TPCN rende le jugement, c’est l’évêque de la circonscription concernée qui décide si cette décision sera rendue publique. "L’évêque n’a pas le dernier mot sur le fond du jugement, mais il a la responsabilité de sa diffusion", précise Danto Ludovic.
L’évêque doit donc respecter la décision du tribunal, mais il peut choisir de la rendre publique ou non.
Dans l’affaire du père Tartu, Mgr Vincent Jordy insiste sur son rôle d’application de la sentence :
Mon rôle, en tant qu’évêque, est de mettre en œuvre la décision du TPCN, qui a été validée par Rome. Je ne commente pas la décision de justice, je l’applique.
Mgr Vincent Jordy, Evêque de Tours
L’évêque est donc responsable de l’application des sanctions prononcées par le tribunal, sans pouvoir les modifier.
C’est pourquoi l’instance canonique joue un rôle clé dans le traitement de ces affaires complexes, offrant à l’Église un outil de justice propre, distinct de la justice civile, mais tout aussi important pour la crédibilité de l’institution.
L’un des principes fondamentaux du TPCN est de garantir un procès équitable, où l’accusé peut se défendre.
Dans le cas du père Tartu, ce dernier a eu la possibilité de se défendre devant le tribunal.
L’abbé Tartu a été entendu, il y a eu un contradictoire, des témoins ont été auditionnés, et des expertises psychologiques ont été prises en compte
Mgr Vincent Jordy, Evêque de Tours
Bernard Tartu condamné
Selon nos confrères du Parisien, Bernard Tartu, 88 ans, a été "reconnu coupable de ces viols et écope d’une interdiction perpétuelle d’officier."
Selon l’évêque de Tours, Mgr Vincent Jordy, le père Bernard Tartu n’a pas fait appel. Le jugement sera applicable immédiatement.