Inceste : une mère privée de sa fille, la justice pointée du doigt dans une lettre signée par 30 parlementaires

En essayant de protéger sa fille d'un possible inceste, Pauline Bourgoin s'est vu deux fois retirer la garde de l'enfant. Ce 15 novembre, une trentaine de parlementaires adressent une lettre ouverte au Premier ministre et au ministre de la Justice, pour réclamer une enquête sur l'institution judiciaire d'Orléans.

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Un symbole utile à la cause des mères désenfantées ? Le 15 novembre, un courrier a été adressé au Premier ministre Michel Barnier, et au garde des Sceaux Didier Migaud, signé par une trentaine de parlementaires de tous bords. L'objectif : faire la lumière sur les "dysfonctionnements de la Justice dans le traitement des dénonciations d'inceste".

La lettre, également signée par de nombreuses associations de protection de l'enfance et des femmes, et par des professionnels du secteur, réclame "qu'une mission d'enquête soit confiée à l'Inspection générale de la Justice", pour faire la lumière sur "les défaillances qui ont eu lieu au sein de la juridiction d'Orléans".

Des "défaillances" dans l'affaire Pauline Bourgoin*, mère de la petite Louise*, désormais âgée de 4 ans. La mère s'est vue retirer la garde en mai 2022 après avoir porté plainte contre son ex-compagnon et père de l'enfant, pour un soupçon d'inceste et des violences sexuelles et psychologiques.

À l'époque, la mère "se montre à l’écoute des besoins de sa fille, mais parfois dans l’excès", écrivent les services sociaux du Loiret. Le tribunal estime ensuite que Louise est manipulée par ses deux parents, au centre d'un "conflit parental" post-séparation, et place la petite fille en famille d'accueil.

"Comment on peut dire à une mère : 'On vous retire votre enfant parce que vous être trop bienveillante' ?"

Vice-présidente de la région Centre-Val de Loire et maire de Fleury-les-Aubrais, Carole Canette (PS) suit le dossier depuis 2022, et a aussi signé le courrier collégial adressé au gouvernement. "Je connais le dossier, j'ai vu des écrits, j'ai entendu des conversations entre travailleurs sociaux... Comment on peut dire à une mère : 'On vous retire votre enfant parce que vous être trop bienveillante' ?", s'interroge-t-elle.

L'élue voit, dans le cas de Pauline Bourgoin, "une affaire emblématique de ce qui se passe pour des centaines et milliers de femmes" :

Dès lors qu'elles dénoncent une suspicion, voire plus que ça, d'actes incestueux, elles se retrouvent embarquées dans une mécanique infernale. On considère qu'elles aliènent les enfants, et on leur retire leurs enfants. Voire, on va les placer chez le père. Du coup, plus aucune mère ne va aller dénoncer les actes incestueux du père !

Carole Canette, vice-présidente du conseil régional du Centre-Val de Loire

Depuis le premier placement de Louise, les choses ont évolué, selon l'échelon judiciaire (Montargis, Orléans, Pontoise) décisionnaire. En janvier 2023, la petite fille a pu retourner vivre chez sa mère, avec quelques séjours chez son père. Au bout de quelques semaines, la mère refuse à nouveau de lui reconfier la fillette après de nouveaux soupçons, et le père porte plainte.

Les décisions s'enchaînent à nouveau, à l'été 2024. "La Juridiction des affaires familiales d'Orléans a décidé de transférer brutalement la garde de Louise à son père, père contre lequel elle continuait de dénoncer l'inceste", est-il écrit dans la lettre. Pour la deuxième fois en deux ans, le tribunal d'Orléans retire la garde de la petite fille à sa mère. "La Justice d'Orléans a décidé de lui faire revivre ce cauchemar et, à 4 ans, Louise a de nouveau été brutalement transférée."

Députée (Liot) du Loiret, Constance de Pélichy aussi a signé le courrier. "Ces retraits sont extrêmement graves pour la santé psychique de l'enfant, alors qu'elle et sa mère étaient en train de se reconstruire en région parisienne", s'indigne-t-elle. Elle regrette que "la parole de l'enfant soit, de manière générale dans ce genre de cas, trop mal prise en compte".

L'espoir d'un plan d'actions national

Depuis, le juge des enfants de Pontoise (Val-d'Oise) a suspendu les droits du père et à nouveau confié l'enfant à sa mère. "Mais le mal est fait, assène le texte. Le traumatisme est prégnant avec des conséquences graves sur la santé de la petite fille, et celle de la mère." Autant de faits qui "questionnent sur le fonctionnement de notre institution, ça nécessite qu'on creuse pour comprendre, et pour trouver les moyens de réparer", plaide Constance de Pélichy.

D'où la mesure réclamée par la lettre : que l'Inspection générale de la justice mette son nez dans la circonscription judiciaire d'Orléans, et trouve les causes de ces dysfonctionnements. Mais attention, "il ne s'agit pas de fustiger une juridiction ou des magistrats, assure Me Pauline Rongier, l'avocate de la mère. Mais de comprendre les causes pour y remédier, prendre un cas concret pour pouvoir agir concrètement. Parce qu'il y a une défaillance du système judiciaire."

Reste à savoir si la lettre trouvera les yeux de Michel Barnier et Didier Migaux, voire débouchera sur de vraies mesures. "J'espère de tout cœur qu'il y aura des suites, que ce soit une enquête ou autre chose, mais qu'il y ait un résultat administratif ou judiciaire pour permettre à la mère et sa fille de se reconstruire", lance Constance de Pélichy. Carole Canette, elle, espère même "un plan d'actions" pour faire face aux "mécaniques" menant à ce genre d'affaires. Qui, malheureusement, "ne sont ni isolées, ni inédites".

* Les prénoms et noms ont été modifiés.

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