Recherchée depuis des mois, une petite fille retrouvée cachée chez sa mère, qui voulait la protéger de l'inceste

Recherchée, la fille de 2 ans de Sophie Abida a été retrouvée par les forces de l'ordre chez elle ce mardi 19 septembre. Depuis 2022, la Loirétaine accuse son ex-conjoint de violences sexuelles sur leurs quatre enfants. Mais la justice a conclu à une manipulation de la mère.

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La petite Iris, 2 ans, a été retrouvée par les enquêteurs. Le 9 janvier 2023, le juge des affaires familiales de Chartres ordonnait le transfert de résidence de quatre enfants chez leur père. Depuis, leur mère, Sophie Abida, se soustrayait à la représentation de la plus jeune des quatre, âgée de 2 ans. Entre-temps, elle avait été placée en garde à vue, et condamnée à 10 mois de prison avec sursis pour non-représentation d'enfant.

Ce mardi 19 septembre, les gendarmes sont venus interpeller la mère chez elle, dans le Loiret, sur mandat d'amener du juge d'application des peines du tribunal judiciaire d'Orléans. Sur place, les enquêteurs trouvent la petite fille, immédiatement confiée à son père.

Un signalement de faits de violences sexuelles par les enfants

Le destin de Sophie Abida est, depuis plusieurs mois, médiatisé nationalement, et très documenté sur les réseaux sociaux. La mère tient un compte Instagram, "JusticePourMes4Enfants", qui compte 35 000 abonnés. En effet, elle ne cesse d'y documenter des faits d'inceste, que ses enfants lui auraient rapporté de la part de leur père, et son combat pour les faire reconnaître par la justice. Car, à l'image de Pauline Bourgoin, dont France 3 avait parlé en 2022, Sophie Abida s'est fait retirer la garde de ses enfants presque en conséquence de cette dénonciation.

Tout commence en 2021. En juillet, la relation entre la mère et son conjoint prend fin, "en raison de violences physiques" que le père aurait infligées aux trois aînés, selon la requête adressée par l'avocate Pauline Rongier à la cour d'appel de Versailles. L'homme a d'ailleurs reconnu certaines violences, fait l'objet d'un rappel à la loi et suivi un stage de parentalité plus tôt cette année-là. En janvier 2022, les trois enfants auraient alors révélé "de nouveaux faits de violences physiques subies au domicile paternel ainsi que des violences sexuelles".

La mère décide alors de déposer plainte en juillet 2022. L'aîné est entendu le 6 septembre à la gendarmerie de Tonnerre, dans l'Yonne, puis le 10 novembre à Beaugency. Il y décrit "des faits de viols commis par son père de manière récurrente", note le juge aux affaires familiales de Chartres, saisi par la mère "pour protéger ses enfants". En mars, devant le juge des enfants d'Orléans, il explique "que son père le réveille la nuit pour lui toucher 'le zizi et les fesses' et pour lui mettre 'le zizi' dans la bouche", selon le compte rendu de l'audience. En attendant une décision, la mère ne présente pas ses enfants au père, qui, à son tour, porte plainte pour non-représentation.

Rapports psychologiques accablants

Le 9 janvier, le juge des affaires familiales de Chartres rend sa décision. Pour la mère, c'est la douche froide : la résidence des enfants est placée chez le père. Le jugement met en avant le passé de Sophie Abida. Cette dernière avait déjà accusé un ancien compagnon d'agression sexuelle sur la fille qu'elle avait eue avec lui. Des faits pour lesquels elle avait alors été condamnée.

La décision s'appuie aussi sur un rapport psychologique, qui décrit des enfants "au cœur d'un conflit parental de loyauté majeur". Selon le texte, ils seraient "instrumentalisés par leur mère dans le conflit qui l'oppose au père", ce dernier faisant "figure de monstre à éliminer". Le jugement recommande "une prise en charge sur le plan psychique" pour la mère, et décrit à l'inverse "un père attentif et investi, qui a su reconnaître ses fragilités et demander de l'aide".

L'avocate de Sophie Abida, Pauline Rongier, fustige des rapports psychologiques réalisés par une experte "qui n'a jamais rencontré Sophie ou les enfants, il est particulièrement grave qu'elle puisse poser un tel diagnostic".

Pour l'avocate, la décision du juge traduisait l'utilisation du syndrome d'aliénation parentale (SAP). Ce dernier renvoie à un "pseudo-concept" selon lequel la mère "lave le cerveau de l'enfant pour que celui-ci refuse de voir son autre parent, le père le plus souvent", décrit la Ciivise, la commission sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants dans son avis du 27 octobre 2021. Ce SAP se serait "largement diffusé dans la pensée et dans les pratiques des professionnels", malgré "l'absence de validation scientifique".

"Injonction paradoxale"

Dans le cas de Sophie Abida, "les juges ne parlent plus de syndrome d'aliénation parentale, mais le déguisent avec des termes comme 'conflit parental', 'conflit de loyauté', fustige Me Pauline Rongier. L'idée, c'est de dire que ces enfants n'ont pas vécu ces violences, que la mère les manipule. Alors qu'ils ont parlé dans le cadre de l'enquête, et réitéré les faits devant le juge des enfants."

Édouard Durand est magistrat spécialisé dans la protection de l'enfance, et est le président de la Ciivise, qui recueille depuis 2021 la parole d'adultes incestés dans leur passé, plus ou moins lointain. Et des témoignages comme ceux de Sophie Abida, il dit en rencontrer "très fréquemment" :

Le parent protecteur, la mère dans la plupart des cas, se trouve face à une injonction paradoxale. Lorsque l'enfant lui révèle des violences sexuelles commises par le père, soit elle ne fait rien et on l'accuse de complicité, soit elle fait quelque chose et on l'accuse de mensonge et de manipulation.

Édouard Durant, président de la Ciivise

Pour lui, le SAP découle d'un "déni de la société, qui supporte mieux l'idée d'envoyer un enfant chez son parent violeur que de priver un père de ses droits parentaux". Avec la Ciivise, il plaide pour une "mise en sécurité immédiate de l'enfant qui révèle des violences". Le décret du 23 novembre 2021, inspiré des travaux de la Ciivise, suspend ainsi les poursuites pour non-représentation d'enfant, tant que le procureur n'a pas vérifié les accusations qui pèsent contre l'autre parent.

Le casse-tête des classements sans suite

Sauf que la plainte pour violences sexuelles contre l'ex-conjoint de Sophie Abida est finalement classée sans suite en février 2023 par le parquet de Chartres. "On a fait une enquête, on a recoupé un certain nombre de procédures, et on a classé sans suite en disant qu'il y avait une absence d'infraction", expliquait à France 3 le procureur de Chartres, Frédéric Chevallier, au mois de mai. "On ne peut pas parler d'enquête", dénonce de son côté Me Pauline Rongier. Elle regrette notamment que le père n'ait pas été placé en garde à vue, "ce qui aurait permis de confronter sa version aux déclarations des enfants et aux éléments matériels".

Des analyses psychologiques, il conclut que "la parole des enfants était extrêmement instrumentalisée, un discours appris, ce qui a été dit par deux experts psychologues différents, qui parlent de mise en danger auprès de la mère, pas du père". Selon lui, ce genre de cas, "on en rencontre assez fréquemment aux affaires familiales". Il estime que la médiatisation de l'affaire "prend des proportions de dingue". Le Parisien avait ainsi évoqué l'affaire en avril, ouvrant la voie à de nombreux articles de presse.

Même incompréhension de la part de Maître Agathe Denis, avocate du père des enfants. "J'utilise les pièces du dossier, et malheureusement, elles sont accablantes contre la partie adverse et je n'y peux rien", assenait-elle en mai, contactée par France 3. Elle accuse la mère et son avocate de "bafouer la présomption d'innocence, de raconter n'importe quoi".

Elle qualifie également de "scandale absolu" la "remise en cause de l'institution judiciaire" à laquelle s'adonnerait Sophie Abida sur les réseaux sociaux : "Le Français est très éloigné de sa justice et ne comprend pas comment ça fonctionne. Les magistrats ne travaillent pas au pifomètre !"

La mue de la justice

Pour Édouard Durand, à l'inverse, la justice doit entamer sa mue, et "s'adapter pour protéger". Il précise qu'un classement sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée "ne signifie pas que l'enquête a permis d'aboutir à la certitude que l'inceste n'a pas été commis". Et, "en l'absence de certitude, une société ne peut pas faire courir le risque à l'enfant", insiste-t-il.

Le magistrat assure que la Ciivise fera des préconisations à la fois "pour réduire le nombre de classements sans suite" (moins de 7% des plaintes pour violences sexuelles sur mineurs aboutissent à une condamnation, selon la commission) et pour qu'un classement sans suite pour infraction caractérisée "conduise à la mise en sécurité de l'enfant" malgré tout. Il assure que "le risque de se faire manipuler est tellement réduit qu'il ne peut pas être un principe d'action", et milite pour "croire les victimes".

Une posture un peu trop "doctrinaire", considère Frédéric Chevallier : "On n'est pas neuneu, on n'a pas attendu la Ciivise pour s'occuper des enfants." Dans l'affaire Sophie Abida, il soutient que "la parole a été entendue, expertisée, soumise à contradiction, mais n'est pas sacrée".

Dans les jours et mois qui viennent, Sophie Abida et son conseil espèrent toujours pouvoir renverser la situation contre l'institution judiciaire. Devant la cour d'appel de Versailles le 11 octobre, Me Pauline Rongier plaidera la relaxe de sa cliente dans le cadre de sa condamnation au correctionnel pour soustraction d'enfant. Elle prévoit notamment de diffuser des enregistrements sonores qui attesteraient d'une violence verbale de la part du père, et un autre d'une "scène inquiétante" entre le père et une de ses filles.

Une plainte a également été déposée pour violation de domicile, car les enquêteurs auraient fait venir le père chez elle ce mardi pendant sa comparution.

Par ailleurs, une instruction est toujours en cours à Chartres, conséquemment au dépôt d'une plainte en janvier avec constitution de partie civile après le classement sans suite de la plainte contre le père. Mais "aucun juge d'instruction n'a été nommé", signale Me Pauline Rongier. Le chemin est encore long pour que Sophie Abida récupère la garde de ses enfants.

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