Depuis novembre, la ministre du Travail soutient devant la presse le rôle majeur de sa réforme sur le "boom" de l'apprentissage. Pour les régions, qui investissent depuis de nombreuses années, la pilule passe mal.
L'exécutif n'avait sans doute pas besoin d'un nouveau bras de fer, il ne pourra pourtant pas y échapper. Il oppose cette fois-ci la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, et Régions de France, l'institution qui représente les régions auprès des pouvoirs publics.
En cause : les nombreuses interview de la ministre vantant le bilan "record" du gouvernement sur la question de l'apprentissage. En 2018, l'Assemblée National a adopté la "loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel", proposée par Muriel Pénicaud elle-même.
Les entreprises aux commandes
Le texte contenait bien une réforme de l'apprentissage. Le but : encourager les entreprises à recruter des apprentis, et valoriser ce parcours comme une "voie royale" vers l'emploi.
De nombreuses mesures qu'on appellerait aujourd'hui de "flexibilité" ont été adoptées, comme par exemple une obtention plus facile de dérogations concernant le temps de travail de l'apprenti, des ruptures de contrat simplifiées ou encore la réduction de la durée minimale du contrat. Autre grand bouleversement : la compétence de l'apprentissage, autrefois prérogative des régions, passe dans les mains des branches professionnelles, c'est-à-dire des entreprises.
Un transfert qui, dès la présentation du texte, a rencontré l'hostilité des présidents de région, y compris ceux qui étaient favorables au principe d'une grande réforme. "Si nous confions aux branches professionnelles et à elles seules la responsabilité d'organiser l'apprentissage sur le territoire, il y aura des trous dans la raquette : les territoires ruraux et les quartiers périphériques de nos grandes villes. Il faut une grande réforme de l'apprentissage mais pas en l'organisant comme un marché" confiait François Bonneau sur le plateau de France 3 en avril 2018. Depuis, la question était restée sensible.
Un bilan de deux ans, une loi vieille d'un mois
Une sensibilité que la ministre Pénicaud n'a pas ménagé. Dans plusieurs interviews depuis novembre 2019, la ministre s'est félicité de la hausse du nombre d'apprentis dans le pays. La dernière en date a été donnée au Parisien, le 3 février. "Cette réforme a permis de lever tous les freins", "Nous allons battre des records", "Quand les effets d'une réforme sont aussi forts et rapides"... Autant de bon points auto-distribués qui ne sont pas du tout du goût des Régions.
Dans un nouveau texte au vitriol intitulé : "Chiffre de l'apprentissage : les mensonges de la ministre du travail", l'organisme reprend et dément point par point les déclations de la ministre. "La croissance à deux chiffres dont se prévaut à longueur d’interviews Mme Pénicaud, ce sont les Régions qui en sont à l’origine" entame le texte.
Effectivement, si de nombreux décrets d'applications ont déjà été publiés pour permettre l'application de la loi, celui qui transfère la compétence des contrats d'apprentissage aux régions n'est entré en vigueur que le 1er janvier 2020. "Tous les résultats enregistrés jusqu’à cette date sont donc le fruit des politiques actives menées par les Régions" démontre l'institution dans un autre communiqué.
"Nous n'avons pas attendu Mme Pénicaud"
"Ça n'est pas correct de la part de la ministre que d'attribuer la belle évolution de l'apprentissage constaté ces dernières années à cette loi. Nous disons à la ministre de respecter le travail qu'on fait les régions. Nous n'avons pas attendu Mme Pénicaud pour avoir un système d'apprentissage dynamique" ironise le président de région, François Bonneau.
Car en 2018, au moment du vote de la loi de la discorde, le Centre-Val de Loire occupait la première place en terme de nombre d'apprentis, et la deuxième place pour les crédits consacrés aux apprentis. La région a consacré près de 120 millions d'euros aux CFA (Centre de Formation des Apprentis) en 10 ans. Un exemple des nombreuses aides et dispositifs mobilisés pour valoriser et dynamiser la filière. Dans ces conditions, difficile de se voir privé de reconnaissance.
"La posture de Muriel Pénicaud est assez fanfaronne, agressive, elle n'a vraiment pas lieu d'être. La région Centre-Val de Loire est très, très inquiète de l'évolution des choses. Plutôt que de se vanter de choses qu'elle n'a pas faites, la ministre serait bienvenue d'écouter les préoccupation des régions" conclut François Bonneau.