Pourquoi les plateformes logistiques excèdent les riverains et les associations écologistes

Coût foncier moins important, faible artificialisation des sols et emplacement stratégique, la région Centre-Val de Loire accueille depuis plusieurs années de plus en plus d'entrepôts logistiques. Au grand dam de collectifs de citoyens qui luttent contre ce qu'ils considèrent être une aberration sociale et écologique.

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145 000 m², une vue imprenable sur la plaine de Beauce, un accès privilégié à l’A10. Ce bâtiment aux proportions colossales n’aurait pas détonné dans le paysage. Dans la ZAC des Portes de Chambord, à Mer dans Loir-et-Cher, on compte en effet une bonne quinzaine d’entrepôts construits ou en devenir qu’on voit depuis l’autoroute. Pourtant, ce énième hangar ne verra pas le jour, ou du moins pas tout de suite. 

Une association, A bas le béton, opposée à l’implantation d’une nouvelle plateforme logistique a déposé un recours jugé recevable par le tribunal administratif d’Orléans. Ce recours qui conteste l’arrêté ICPE (Installation classée pour la protection de l’environnement) pris par la préfecture suspend pour au moins 18 mois l’avancement du projet porté par le groupe Panhard le temps de l’enquête. 

“Ce projet est écologiquement néfaste, socialement et économiquement inutile. La pollution est à la fois sonore, atmosphérique, lumineuse, énumère-t-il. Il faut comprendre qu’une plateforme logistique c’est des dizaines de camions qui vont et viennent à toute heure.”

Noé Petit, militant d’Europe-Ecologie-Les-Verts à l’origine de l’association

Cette association appartient à un collectif de luttes locales dans lequel plusieurs dénoncent les projets de plateformes logistiques sur leurs territoires. Au-delà des conséquences directes sur l’environnement local, les militants dénoncent un modèle “d’anti-sobriété” incompatible avec les enjeux climatiques et environnementaux. Malgré la responsabilité écologique affichée des projets de plateformes, la tendance actuelle est en effet à l’opposé de ce que ces collectifs demandent.

"Une brosse à dents va passer par dix entrepôts avant d'arriver dans votre magasin"

Force est de constater que la croissance du secteur se porte excessivement bien grâce au développement du e-commerce et de la globalisation. “Aujourd’hui, une brosse à dents va passer par au moins dix entrepôts avant d’arriver dans votre magasin”, explique Laetitia Dablanc, directrice de recherche à l’université Gustave Eiffel, directrice de la chaire Logistics City. C’est pourquoi les entrepôts ont poussé comme des (très gros) champignons ces vingt dernières années, et particulièrement les cinq dernières. 

Selon Immostat, 3,331 millions de mètres carrés d’entrepôts de plus de 10 000 m² ont été commercialisés en France en 2022. Malgré une légère baisse de régime cette année (-13% par rapport à 2021), cela reste une performance supérieure à la moyenne de la décennie passée. C’est d’ailleurs le secteur immobilier qui a le plus augmenté en France, assure Laetitia Dablanc. “Le marché est 'drivé' par deux grandes tendances : les mini-entrepôts dits du ‘dernier kilomètre’ et les entrepôts XXL”, développe l’urbaniste. 

30 910 salariés, 1 314 établissements et environ 6 M² d'entrepôts dans la région

En Centre-Val de Loire, c’est plutôt cette deuxième catégorie qui rafle la mise. Pour Eric Lecomte, directeur de BNP Paribas Real Estate Transaction à Orléansla région est la quatrième plateforme du secteur logistique français : “La situation géographique est particulièrement intéressante pour les entreprises : en effet, elle se situe au barycentre de la France, l’accès direct à l’A10 et l’A71 permettent une proximité facilitée à la région parisienne tout en ayant des loyers inférieurs à ceux du Sud de l’IDF". Il note l’absence de certaines taxes et la disponibilité d'un plus grand nombre d’entrepôts et projets disponibles. 

"Le bassin d’emploi de personnes qualifiées dans les métiers de la logistique est aussi un point important pour les entreprises", ajoute Eric Lecomte. En 2021, la filière logistique représentait 30 910 salariés, 1 314 établissements et environ 6 M² d'entrepôts en Centre-Val de Loire selon Dev Up Centre.

Le développement en Centre-Val de Loire, région parmi les moins artificialisées de France (en 2018, ce taux était de 5,6%), est aussi renforcé par la saturation des autres zones qui peinent à accueillir ces espaces par manque de place, mais pas seulement. “Dans la région lyonnaise, c’est complètement bloqué, raconte Didier Terrier, directeur général d’Arthur Loyd Logistique. Les associations attaquent systématiquement les permis de construire, c’est un vrai chemin de croix. Cela rallonge considérablement les processus et ça peut faire capoter des projets.

Projets avortés : une perte d'emplois potentielle ?

Cette opposition aux projets de plateformes logistiques s’est étendue un peu partout sur le territoire et le Centre-Val de Loire n’y échappe pas. Les associations écologistes ou de riverains comptent plusieurs victoires à leur actif. Plusieurs collectifs se sont organisés comme celui lancé par Noé Petit à Mer, un autre à Vierzon, l’un à Beaugency ou encore celui de Lamotte-Beuvron qui a réussi à faire reculer le promoteur Idec qui a retiré, en janvier 2023, son permis de construire pour un projet de 67 510 m².

Le rôle des élus est crucial car ils délivrent les permis de construire. Or, l’accueil qu’ils réservent aux plateformes logistiques divergent au-delà des oppositions partisanes. Si certains y sont complètement opposés, d’autres peinent parfois à faire accepter le projet à leurs concitoyens. 

Pascal Bioulac, maire LR de Lamotte-Beuvron, est “entièrement dégoûté” que l’opposition au projet ait causé le retrait d’Idec. “Quand une entreprise met 40 millions d’euros sur la table et promet 300 emplois et qu’on laisse cette chance nous passer entre les doigts, oui, on est amer.” Pour le maire, élu en 2014, sa commune a besoin de ce genre de projet pour maintenir son dynamisme.

Accueillir ces activités logistiques permet aux collectivités de rendre leur territoire attractif en terme d’emploi, et donc de garder des services ouverts", vante Olivier Parizot, directeur France Mountpark qui est porteur d’un parc logistique XXL de plus de 270 000 m² à Illiers-Combray et Blandainville (le premier entrepôt de 36 000 m² devrait être prêt au 1er trimestre, le deuxième de 123 000 m² sera lancé avant la fin de l’année tandis que le troisième de 110 000 m² est incertain).

Des mairies à la recherche de financements

L’ancien candidat Nupes aux législatives 2022 dans le Loir-et-Cher, Noé Petit, comprend l’appât économique mais dénonce un court-termisme irresponsable. Il remet en cause le nombre réel d’emplois créés et l’inadéquation des postes proposés face au bassin d’emploi.

Surtout dans le climat économique actuel, c’est très dur pour un maire qui a des finances dans le rouge de dire non à des projets qui lui proposent de l’argent facile et immédiat. Mais ce ne sont pas des emplois pérennes.

Noé Petit, candidat EELV aux législatives 2022 dans le Loir-et-Cher

Certaines activités sont mieux acceptées que d’autres par les riverains et les mairies : le e-commerce, par exemple, n’a pas la cote. “Des entreprises comme Amazon détruisent plus d’emplois qu’ils n’en créent - ils déplacent des travailleurs -, ne font pas revivre les centre-villes contrairement à ce qu’ils prétendent, et ne paient pas leurs impôts en France, dénonce Noé Petit. "C’est révoltant que les intérêts privés priment sur les intérêts collectifs.”

En Centre-Val de Loire, un tiers des entrepôts logistiques accueillent des sociétés de la grande distribution, un autre tiers des logisticiens, le reste du marché étant équitablement réparti entre des sociétés industrielles et des transporteurs selon BNP Paribas Real Estate.

Dominique Bouissou, co-présidente de "Beaugency, béton et camions ça suffit", s’inquiète de la possibilité que les entreprises voient dans ces plateformes logistiques un simple investissement financier et que les locataires finissent par s’en aller. “C’est déjà ce qu’il se passe, par exemple à Baule, où va se retrouver avec des friches inutilisées.” 

Harold Huwart, vice-président de la région Centre-Val de Loire, a partagé cette crainte dans un article du Berry Républicain en janvier 2022.

Les sociétés foncières sont dans une logique de spéculation. Je rappelle que les trois quarts des terrains aménagés en zone économique en région, et particulièrement en Eure-et-Loir, l’ont été par les logisticiens, ces dernières années. Si on continue dans cette logique, on va ruiner le foncier et ce seront les futures friches qui poseront des graves problèmes aux collectivités.

Harold Huwart, vice-président de la région Centre-Val de Loire

Quid de la spéculation foncière ?

Pour Noé Petit, les promoteurs immobiliers sont entrés dans une “course” à l’achat de terrain avant qu’il ne soit trop tard. “La loi Climat et résilience pose un objectif zéro artificialisation nette d’ici 2050, donc ils achètent du foncier et construisent dessus avant qu’il ne soit trop tard sans forcément avoir d’entreprises voulant s’installer dans les hangars.” 

Cette pratique a un nom : c’est la construction à blanc. Pas vraiment rare, ce procédé n’inquiète pas les professionnels. "Le taux de vacance en France, en incluant les chantiers actuellement en cours, s’établit autour de 4% et ce taux seulement calculé sur l’offre immédiatement disponible, n’est plus que d’environ 2%", explique Arthur Rodriguez, directeur Logistique France chez BNP Paribas Real Estate.

L’Afilog, l’association des professionnels de la logistique, a signé une charte afin de mieux réhabiliter les friches et ainsi moins artificialiser les sols. De l’avis du secteur, les habitudes changent mais lentement. Il faut dire que le coût d’une réhabilitation dépasse de loin le coût d’une nouvelle construction. Pour montrer patte blanche, les nouvelles constructions assurent respecter des normes environnementales strictes. Des promesses qui ne rassurent pas les opposants : Dominique Bouissou de Beaugency dénonce, elle, un greenwashing

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