Printemps de Bourges, les rappeurs dans le texte : Georgio - Episode 1

Alors que les noms pour la salle hip-hop du Printemps de Bourges ont été dévoilés, nous avons rencontré trois artistes à l'affiche pour nous plonger avec eux dans leurs textes. Ce premier épisode est consacré au jeune rappeur Georgio, dont le troisième album, XXV, vient de sortir. 

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Le 11 décembre, le Printemps de Bourges a dévoilé la programmation très, très enthousiasmante de sa salle hip-hop. Columbine, Alpha Wann, Vald, et d'autres artistes qui ont marqué l'année 2018 de leur empreinte. 

A l'occasion de ces annonces, nous avons rencontré trois de ces artistes à l'affiche. Le but : nous plonger, avec eux, dans leurs textes, du début de leur carrière à aujourd'hui.
 

Episode 1 : Georgio


Notre série commence avec Georgio. Jeune rappeur, il a sorti le 23 novembre dernier son troisième album. Son titre : XXV, comme le nombre d'années qu'il vient de passer sur terre. Mélancolique, intimiste, loin des personnages du rap game, il a écrit sur tous les rythmes, sur toutes les musicalités. Avant XXV, quel est le chemin parcouru ? 

Pour cette rencontre, nous avons choisi 5 textes : 

- Rose noire (Bleu Noir, 2015)
- Mama Rita (Héra, 2016)
- L'espoir meurt en dernier (Héra, 2016)
- 100% (XXV, bonus track, 2018)
- Une nuit blanche pour des idées noires (EP, 2012) 


Rose noire et les synesthésies 


On a commencé par Rose noire, essence d'un thème qui revient sans cesse chez Georgio : l'amour, et l'amour fini. Avec la voix envoûtante d'Elisa Jo au refrain. 

"La première rupture, t'as l'impression que tu vas jamais t'en remettre. Il y a une désillusion complète de l'amour. Je pense que la rupture du premier amour, elle a une puissance en plus, surtout que, généralement tu la vis assez jeune, assez naïf" explique-t-il. De temps en temps, il lâche un bâillement dans son immense sweat jaune. Levé trop tôt, nous a-t-il dit. Ses yeux lui donnent raison. 

Lui qui, comme beaucoup de rappeurs, a beaucoup chanté le fait d'être incompris, parle cette fois d'une expérience vécue par tous. Mais il ne l'a pas écrit pour tous. "Quand j'écris, c'est avant tout personnel, je pense pas trop aux autres, confie-t-il. C'est plus de se dire : "J'ai fait ce deuil, je l'ai mis en musique, et on avance." 
 
Les roses, les pores de la peau, les parfums, le satin... Ce rap a l'air de mettre la main sur l'épaule de celui qui l'écoute. Georgio a arrêté une première fois l'école en quatrième, puis est sorti du système scolaire a ses 16 ans, mais il n'a jamais arrêté la littérature. Il a amené, dans ces textes, la même chose que Baudelaire ou Rimbaud : la synesthésie. 

"Pour moi c'est la force des mots, et de la musique, parfois, c'est quand t'arrives à créer des images, et c'est aussi ce que j'aime dans la littérature", sourit Georgio. Il cite un livre de Laurent Gaudé, Le soleil des Scorta. "Il arrive à me faire sentir l'odeur de l'huile d'olive, du sud de l'Italie, avec la terre craquelante, aride... J'essaie de m'inspirer de choses comme ça, j'ai envie qu'on puisse ressentir..."
 

Mama Rita et le manichéisme


Mama Rita, c'est la toute première collaboration de Georgio avec son père, même s'il a du mal à la considérer comme telle. "Ça c'est fait tellement instinctivement et naturellement. Puis, on parle de textes de chansons, j'ai pas l'impression de "bosser" avec mon père."

Son texte était brut, son père travaille les tournures, le rend plus poétique, "d'une certaine manière". Si beaucoup de rappeurs ont pris la parole pour les femmes, Mama Rita est presque un conte, anomalie dans la matrice. "Je trouvais que ça se prêtait bien au sujet, qu'il y ait un côté plus lent, narratif, que le beat puisse s'envoler sur les refrains mais que ce soit assez calme sur les couplets..." retrace l'artiste, qui a toujours fait attention à varier ses rythmes et ses mélodies. 
 
Ce texte, s'il termine par un appel à la révolte d'une femme battue, n'est pas un combat du bien contre le mal absolu. Il nous plonge, aussi, dans la pensée du mari violent.

"Je raconte une histoire que je n'ai pas vécue, c'est deux personnages fictifs, je préférais les faire exister entièrement. On a tous une morale, on sait qui est le "gentil", qui est le "méchant", y'a pas besoin de le décrire comme un salaud. Au contraire, je trouve que c'est plus fort de décrire une complexité humaine."
 

L'espoir meurt en dernier et le complexe d'Artaud


"La Loire qui se jette dans l'Atlantique", ce texte est l'histoire d'une trajectoire, d'un mi-chemin. "C'était vraiment cette image de se jeter dans l'infini, de contribuer. Je ne suis qu'un petit homme qui fera son bout de chemin, mais je contribue à l'art, essayer d'élever les autres à travers ma musique."

Georgio est une star, pas (encore) une super star et goûte les avantages et les inconvénients de cet entre-deux. "Ça me convient complètement, mais il faut réussir à se situer par rapport à ça. Je peux monter des tournées, où je peux emmener une partie de mes proches avec moi, mais pas tout le monde. A ce moment-là, tu penses à ton pote qui aime trop la musique, tu as trop envie de l'amener et tu peux pas. Tu culpabilises d'une certaine manière..."
 
Mais, il reconnaît, certaines blessures sont solubles dans le succès, "pas magique", mais rassurant. Une contradiction demeure : peut-on se foutre du regard des autres ("ils diront quoi ?"), et avoir "peur de mourir incompris" ?

"J'avais jamais fait attention à cette contradiction, mais je l'aime bien, elle est complètement humaine, en fait", remarque Georgio, pensif. Surgit la comparaison avec Antonin Artaud, génie dissous aux électrochocs en asile psychiatrique.

Elle est née d'un de ses livres, "Van Gogh, le suicidé de la société", et Georgio s'interroge autant sur le sujet que sur l'auteur : "Je me disais : "Est-ce qu'il est vraiment fou, ou est ce que la société ne l'a pas tué aussi ?" C'est aussi lié à l'ego-trip dans le rap, se comparer aux meilleurs."
 

100%, les affres du succès


"Parfois je me dis, ce genre de questions qu'il ne faut pas se poser : attends, pourquoi j'ai envie de parler de ça ? parce que ça va plaire à mon public ? parce que j'ai vraiment envie d'en parler ? parce que ça me perturbe au fond de moi ? Mais attends, pourquoi ça me perturbe au fond de moi ? Parce que j'ai envie de toucher plus de personnes ? Il faut pas essayer d'y répondre. Si on a envie d'en parler, faut le faire, faut se libérer de tout ça."

Il l'écrit sans détour : le succès "flirte avec le diable". Quand il prend le stylo, les mots d'un autre rappeur Adams Diallo (de la Sexion d'Assaut), résonnent à son oreille : "Tu veux prendre le mic, mais pour dire quoi ?"
 
Réfléchi, bourré de référence, boulimique de l'écriture, Georgio doit se forcer à couper le flux des pensées. "Je crois que dans l'instinct, on peut toucher des choses qu'on perd avec le fait de retravailler. Retravailler, c'est penser à la durée de vie d'un texte, c'est de penser aux autres, et parfois, à trop vouloir le mot juste, on crée une sorte de pudeur", brode-t-il à voix haute. 

"Qu'est ce que je vais faire après le troisième album ?" Se calmer, peut-être, un peu. "J'ai envie de faire des albums, remettre des poésies d'auteurs que je kiffe en musique... J'avais un projet de livre, que j'ai commencé. Un moment j'avais reçu aussi une proposition pour un film. Je me dis : "Putain, mais, si je vis tous ça avant 30 ans, mais qu'est-ce que je vais faire après ? Ne serait-ce que de 30 à 50 ans, qu'est-ce que je vais branler, si j'ai réalisé toutes mes envies ?"  On va commencer par une tournée. 
 

Une nuit blanche pour des idées noires, le texte fondateur


"Tu me ramènes à un texte que j'ai écrit quand j'avais 19 ans... rit Georgio, qui a même oublié certaines phases. J'avais écrit tout ce qui me passait par la tête, y'avait une vraie mélancolie qui découlait de cette instru."

Pour Georgio, la nostalgie n'est pas l'apanage de la vieillesse. "Je pense qu'à chaque étape de la vie, tu as des désillusions, tu comprends des choses. Moi à 19 ans, j'avais arrêté les études, fallait taffer, tu regrettes l'époque où tu ne pensais qu'à découvrir la bière (rires). Je me rappelle, c'était la GALÈRE. Mais aujourd'hui, quand j'y pense, je me dis que j'aimerai bien retrouver cette naïveté que j'avais dans la musique. Elle s'est envolée à tout jamais..."
 
Une phrase, en particulier, nous a interpellée dans ce texte là, cette première mixtape fébrile : "J'regrette juste que le rap me passe par la tête". "Attends, t'es sûre que j'ai dit ça ?!" réagit le rappeur en attrapant la feuille de notes. 

"Le rap, ça m'a toujours posé des problèmes dans ma vie, reconnaît-il. J'aime trop le rap, c'est un truc de ouf comment j'aime la musique, comment j'aime écrire... J'ai toujours niqué des moments à cause du rap, pour le rap. C'est un moment où je devais avoir des trucs à sauver dans ma vie, et j'ai rien sauvé du tout parce que j'étais en train de rapper ! Plein de fois dans ma vie, j'ai eu envie d'arrêter le rap, mais j'arrive pas. Chaque fois je me remets à écrire."
 
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