"L'argument démographique" est régulièrement avancé par l'exécutif pour justifier les fermetures de classes ou d'écoles. En région Centre-Val de Loire, les chiffres ont pourtant plutôt tendance à le contredire.
"Le vrai sujet derrière ça (...), c'est la démographie." Invité d'Europe1 le 2 juillet, le ministre de l'Education Nationale persiste et signe. Interrogé sur les fermetures de classes et d'écoles en cette rentrée 2019, Jean-Michel Blanquer se retranche derrière ce que l'Association des Maires Ruraux de France (AMRF) appelle "l'argument démographique".En mai dernier, la gazette éditée par l'association a consacré à la question un article intutilé : "Fermer des écoles ? L'argument démographique recalé à l'examen des chiffres". Avec des chiffres majoritairement issus de l'INSEE, l'AMRF soutient que le nombre d'élèves potentiels a à peine baissé de 6% entre 1982 et 2013. Dans le même lapse de temps, le nombre d'écoles primaires aurait lui diminué de 24%. "La politique malthusienne du ministère est manifestement déconnectée du critère démographique, et contraint inutilement [les familles]" conclut l'article.
La disparition des élèves est-elle une réalité ?
Ces affirmations sont-elles fondées ? Selon les chiffres régionaux transmis par l'INSEE à France 3, le paradoxe est bien celui décrit par l'AMRF. En Centre-Val de Loire, il est même encore plus poussé.
- "La population en zone rurale a augmenté"
Au niveau national, le chiffre avancé par l'AMRF est de +12% entre 1982 et 2015. En région Centre, sur la même période, on arrive même a une augmentation de la population de 13.56% en zone rurale.
Un chiffre d'autant plus significatif qu'en 2014, selon le Programme de développement rural régional, 51% de la population régionale résidait dans un territoire rural. Les zones considérées comme rurales occupent d'ailleurs 67% de la superficie de la région.
- "Le nombre de jeunes ruraux n'a que très légèrement baissé"
Sur cette même période de référence, l'AMRF assure que le nombre de jeunes ruraux n'a baissé que de 6%. En région Centre-Val de Loire, le constat est différent, mais abonde dans le sens des maires ruraux. Le nombre de jeunes entre 0 et 14 ans a chez nous augmenté de près de 9% en une trentaine d'années.
Après une baisse continue entre 1982 et 1999, la région a bénéficié d'un mini baby-boom autour des années 2000. En conséquence, le nombre de jeunes a fait un bond de 15% entre 1999 et 2010. Ces dernières années, la tendance est pourtant repartie à la baisse : entre 2010 et 2015, on constate un fléchissement de l'ordre de - 4%.
De plus, les chiffres communiqués à chaque rentrée par le rectorat sont parlants. En 2018, l'académie annonçait accueillir 225 598 élèves du 1er degré. Pour cette rentrée 2019, la même source a officialisé 245 863 élèves, une augmentation bien visible.
- "Le nombre d'écoles primaires a diminué de 24%"
Ici, difficile de faire confirmer le chiffre de l'AMRF. D'abord parce que le postulat ne concerne ni particulièrement la région Centre, ni particulièrement les zones rurales. Seule détentrice de ces chiffres et contactée à de nombreuses reprises, l'académie d'Orléans-Tours n'a pas donné suite à nos sollicitations. Cependant, des sources complémentaires indiquent que ces déclarations vont dans le sens de la réalité.
En effet, une étude menée par deux géographes membres de l'INRA, Aleksandra Barczak et Mohamed Hilal, s'est penché sur l'évolution des équipements en milieu rural en France, cette fois entre 1980 et 2013.
Avec un territoire composé à presque 70% de zones rurales, on peut raisonnablement supposer que la majeure partie des écoles affectées ont été des écoles rurales.
Ces vérifications chiffrés et régionales corroborent en grande partie les conclusions de l'AMRF et même les appuient. En région Centre, le nombre d'école a sensiblement diminué sur une période de trente ans, sans prise en compte du nombre d'élèves qui a connu une évolution en dents de scie mais a bel et bien augmenté sur la durée.
Les écoles rurales, une "variable d'ajustement"
Pour Dominique Dhumeaux, vice-président de l'Association des Maires Ruraux, malgré les promesses faites par Emmanuel Macron en 2017, les classes des écoles rurales sont toujours "la variable d'ajustement des directeurs d'académie", une politique entamée bien avant le quinquennat actuel.
Il évoque des écoles rurales vidées pour satisfaire la mesure de dédoublement des classes de CP en REP et REP+, et un double standard. "En milieu rural, on part du principe qu'une classe de 4 niveaux avec 20 enfants, c'est bien. En milieu urbain, il ne faut pas plus de 12 enfants face à un enseignant. C'est une politique éducative très efficace, qui porte ses fruits, mais qui nous fait payer un lourd tribut", expose Dominique Dhumeaux.
Le prix est d'autant plus lourd à payer qu'à la campagne, l'école est souvent au centre de la vie de la commune. "La plupart du temps, c'est le vivier de la vie associative, le lieu où les nouvelles familles qui s'installent créent leur vie sociale" appuie le vice-président de l'AMRF. Sans compter que la fermeture d'une école rurale met en jeu bien plus d'emplois qu'en ville. En plus des ATSEM et du personnel d'entretien, Dominique Dhumeaux avance le cas particulier de la cantine. "Quand elle est assurée par le dernier commerce du village en lui apportant un revenu régulier, ça met ce commerce en péril, et tous les acteurs de proximité concernés."
Avec la fermeture des écoles de la République, les écoles hors-contrat se multiplient. Un palliatif pour les maires, comme le sont les médecins recrutés à l'étranger pour éviter la désertficiation médicale. "L'élu, il a la pression de ses habitants, et il cherche des solutions pour pallier cette carence de l'Etat. C'est dommage. Cette fierté qui était française de dire que l'éducation était la même pour tous s'étiole, d'année en année et de réforme en réforme."