"J'ai peur de perdre complétement ma fille" : témoignages de familles confrontées à l'Aide sociale à l'enfance

Faux signalements, vraie maltraitance, placements abusifs : l'Aide sociale à l'enfance intimide autant qu'elle vient en aide. Nous avons rencontré trois familles aux prises avec un système qui leur semble souvent arbitraire et menaçant.

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L’histoire est aussi triste que banale. "J'ai eu Jeanne assez jeune, je n'avais pas encore commencé mes études", se souvient Anne, 35 ans aujourd’hui. Le père de la petite, "très absent", ne pense qu'à sortir avec ses amis. Il faut dire que cette enfant, il n'en voulait pas spécialement. Mais il est resté. Jusqu’au jour où il a commencé à être violent. 

Je lui ai demandé de partir", relate Anne. Elle porte plainte mais se rétracte vite, sous la pression. "C'était le père de ma fille !" Elle finit donc par quitter le foyer, avec Jeanne. Elle entreprend des cours du soir, tout en faisant son possible pour que la petite garde le contact avec son père. Lui ne vient pas souvent. "C'est parfois moi qui l'amenais, j'y tenais", résume-t-elle. 

"Il nous annonce que ma fille a porté plainte contre moi"

Après la séparation débutent les pressions. Anne se démène pour habiller sa fille, la nourrir. Heureusement pour elle, son entourage est solide et la soutient au quotidien. Le père, de son côté, achète “régulièrement” de “grosses voitures”. 

Un jour, l'ex-compagnon demande la garde principale et vient de plus en plus souvent voir la jeune fille. "Il a fait pression sur Jeanne sans en demander la garde le jour de l'audience", rappelle Anne. Le juge des affaires familiales tranche : Jeanne sera chez son père durant la moitié des week-ends et des vacances scolaires, contre une “toute petite pension alimentaire”. 

Début septembre, c’est le choc. “On va au lieu de rendez-vous fixé par le juge, un dimanche soir, après un week-end chez son père. Là, Jeanne ne se présente pas. On appelle le papa. On est à une heure de chez nous, avec Geoffrey [le nouveau compagnon d’Anne] et les deux petits. Il nous annonce que Jeanne a porté plainte contre moi pour violences."

C'est brutal. "Je m'effondre et je ne comprends pas. Je me mets à pleurer. J'ai l'impression que mon enfant vient de mourir. Ça se bouscule dans ma tête, je me demande ce que j'ai mal fait", revit Anne. Un silence. Elle pleure. La suite ? Une plainte déposée en gendarmerie, le soir même, pour non-représentation d'enfant. La première d'une série qui ne fait que commencer pour cette mère de deux autres petits, respectivement âgés de 2 ans et de 4 mois.

Justine*, la peur au ventre

Ce genre de scénario est exactement ce que redoute Justine*. Ancienne éducatrice spécialisée, elle a quitté le navire face au manque de moyens dans la profession et aux violences qu'elle a pu constater dans les structures où elle a travaillé. 

Mère de deux enfants de 3 ans et de 12 mois, la trentenaire est révoltée par les nombreuses histoires de placements abusifs qu’elle voit fleurir sur les réseaux. Au point de craindre pour sa propre famille.

J’ai commencé à me pencher sur de nombreux cas de placements abusifs et je me suis vraiment sentie menacée par ce système

Justine, ancienne éducatrice spécialisée et mère de deux enfants en bas âge 

Ce système, Justine le connaît bien. “Comme la Protection de l’Enfance manque cruellement de moyens et que les éducateurs sont débordés, ils n’ont pas le temps, je pense, d’étudier chaque dossier. Du coup, ils se fient à leur jugement arbitraire et à leur vision du monde pour décider d’un placement ou non”, estime-t-elle. Un diagnostic qui s’applique à “tous les professionnels qui entrent en jeu auprès des familles”.

“On n'est pas assez d'assistants familiaux”, confirme Clémence*, une assistante familiale jointe par France 3. “Et des foyers, on n’en a pas assez non plus.” De fait, la qualité de l’accompagnement peut drastiquement varier d’un lieu à l’autre, dans les Maisons du Département notamment. “Certains vont vouloir constater les faits, d'autres ne se poseront pas de question”, et prendront leur décision plus brutalement.

Des solutions pour les parents en proie au doute

Mais dans le cas de Justine*, des solutions existent. “Elle peut faire suivre ses enfants par la Protection maternelle et infantile (PMI), c'est gratuit”, note Marion, une ancienne éducatrice spécialisée. 

Mieux, elle peut se rassurer, selon Viviane, une psychologue de la CRIP (Cellule de recueil des informations préoccupantes). “Le manque d’extérieur, ça peut laisser paraître qu’il y a à s’inquiéter. Les informations préoccupantes viennent surtout de voisins, de proches ou de l’école”, explique-t-elle. 

Du moment que les enfants sont épanouis, qu’il n’y a pas de souci éducatif, que les soins sont prodigués, elle n’a pas de raison de s’inquiéter

Viviane, psychologue de la CRIP (Cellule de recueil des informations préoccupantes)

La psychologue va jusqu’à nous parler des deux mesures existantes, en matière de placement. “Le placement est vraiment là en cas de danger majeur et immédiat. Si les parents ne sont pas d’accord pour mettre en place un placement administratif et qu’il y a beaucoup de danger, le juge procède à un placement avec mesures judiciaires”, précise-t-elle. 

De l'avis de Clémence*, il s’agit même de "se mettre en avant, montrer qu'on est bienveillant", avant tout signalement. “Il faudrait prendre rendez-vous avec une assistante sociale de la Maison du Département pour demander une aide : pour trouver un emploi ou pour avoir une autre maison, dans le cas d’enfants qui bougent et qui auraient besoin d’un jardin public”, résume l’assistante familiale.

Une longue lutte pour retrouver sa fille

Après le placement d’un enfant, le traumatisme peut être vif, surtout lorsqu’il y a un historique de violence. Anne*, après négociations, a pu revoir sa fille. Mais seulement sous la surveillance de la nouvelle compagne de son ex. 

"Je l'ai vue le samedi d'après. Je sentais qu'elle avait envie de me voir. Quand on est arrivés sur le lieu de rencontre, je lui ai tendu les bras. Elle a regardé sa belle-mère et est venue vers moi. Je n'ai pas eu à insister", précise Anne*. Le numéro de son nouveau téléphone, tout juste acheté par le père ? Même chose, elle l'obtient après un regard et une demande de permission auprès de sa belle-mère.

"Ce dont j'ai peur, c'est de perdre complétement ma fille"

Avocats, assistante sociale, contacts personnels… Anne* a remué ciel et terre pour récupérer sa fille, isolée chez son père et sans contact extérieur. La jeune femme ne peut se rendre chez lui, encore terrorisée par la violence dont elle a été victime. "J'avais le sentiment que ma fille était manipulée, je l'avais été", insiste Anne*. On ira jusqu'à lui dire : "Votre histoire, madame, elle n'est pas inédite".

Selon Viviane, la psychologue de la CRIP, il y a urgence. "Il faut alerter les services sociaux puisqu'elle n'a pas de regard. Là, une évaluation s'impose chez les deux parents”, débute-t-elle. 

Et aujourd'hui ? "Ce dont j'ai peur, c'est de perdre complètement ma fille. J'ai fait tout ce que je pouvais. On ne balaye pas 12 ans comme ça et, pourtant, je suis en train de les perdre. Elle se retrouve dans un conflit qui n'est pas le sien. Je ne souhaite ça à personne", jure Anne. 

Côté collège, la continuité scolaire a été mise en place le jour même. Ceci dit, personne ne semble avoir vérifié que l'enfant se trouve en lieu sûr. "On m'a dit que je n'étais plus décisionnaire, c'est le procureur qui décidera", apprend-elle.

La procédure pénale peut être longue, selon la psychologue de la CRIP, mais elle portera ses fruits, toujours dans l’intérêt de l’enfant. “De ce que j'ai pu voir, il s’agissait d’ordonnances de placement provisoire, ou OPP, ordonnées par le juge dans des délais très brefs. On intervient en urgence, on essaie de trouver des possibilités pour cet enfant-là, on échange. On peut notamment, depuis la nouvelle loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, désigner un tiers de confiance pour le placement", résume-t-elle. 

Faire de son mieux n’évite pas le danger

Comme dans de nombreuses familles, rien n'est toujours parfait. Ni tout blanc, ni tout noir. Surtout avec des adolescents. "On a eu des différends, tout n'était pas toujours rose mais j'ai juste éduqué ma fille", termine Anne. 

Une avocate, spécialisée en Droit familial, contactée par nos soins, juge cette situation avec discernement. Cela fait 20 ans qu’elle traite d’affaires de ce genre.  "Si le Juge des affaires familiales est saisi, l'enfant a son propre avocat. Dans mon cas, je reçois l'enfant, je l'écoute, je demande l'audition, j'assiste à celle-ci, avec l'enquêteur, sans intervenir”, commence-t-elle. “Cette situation peut durer. S'il y a une enquête sociale, elle n'a pas à avoir peur, il y aura une palette d'auditions plus large. Mais dans ce cas précis, il semble y avoir un problème de confinement, il faut passer par la voie judiciaire", poursuit l’avocate. 

Arnaud, placé à 4 ans et adulte épanoui

Arnaud a 25 ans. Il vit en région Centre-Val de Loire et a trouvé son équilibre professionnel et personnel. Il revient de loin mais a su se reconstruire, grâce aux repères et aux personnes bienveillantes qu'il a pu trouver sur son parcours. 

Car, au sein de familles d’accueil bienveillantes, les choses peuvent effectivement s’adoucir. "Le placement en famille peut être salutaire. Il fallait juste qu'il trouve sa place d'enfant", indique l'avocate contactée par France 3. Car le parcours d'Arnaud n'a rien du long fleuve tranquille :

Mes parents avaient décidé que, tant qu’on leur retirerait leurs enfants, ils continueraient d’en faire

Arnaud, placé en foyer suite aux attouchements de son père

"J'ai été placé à 4 ans, suite à une plainte que j'avais faite à l'école", commence le jeune homme. Les faits ? Des violences et des attouchements, de la part de son père. Quand il a seulement un an, la plus grande de ses sœurs se fait violer.  La petite, de 18 mois, atterrit en pouponnière avant de rejoindre Arnaud, pour un premier séjour de 8 mois. 

Les parents biologiques ont alors un droit de visite, encadré, en milieu protégé. "Un mois après notre placement en foyer, ma mère était de nouveau enceinte", précise-t-il. Heureusement pour lui, lorsqu'il a environ 4 ans, il fait la rencontre de ceux qui deviendront ses véritables parents. Une famille d’accueil.

Le défi de se reconstruire

Pour Clémence, notre assistante familiale, tout est une histoire d’attention, de moyens et de temps. Mais, surtout, de sensibilité. “On va au-delà, on est maman, on les a 24h/24. Quand on voit qu’un enfant n’est pas bien, on n’hésite pas, on demande un rendez-vous avec l’éducateur spécialisé. On travaille avec l’enfant pour son bien-être”, assure-t-elle.

Pour la psychologue de la CRIP, Viviane, rien d’étonnant non plus à ce qu’Arnaud ait trouvé un certain épanouissement auprès de ses parents de cœur. "Dans la majorité des foyers, il n'y a pas de cadre contenant, contrairement aux familles d'accueil”, justifie-t-elle. Mais l’histoire ne s’arrête malheureusement pas là, pour Arnaud.

Arnaud a 5 ans. Les visites régulières chez ses parents biologiques se passent relativement bien. Vient alors l'heure d'une potentielle réintégration au sein de la famille. C'est le rôle de l'Aide sociale à l'enfance : faire en sorte de ne pas rompre le lien et le reconstruire, si possible. Après plusieurs épisodes de visites, de plus en plus fréquentes, dès ses 7 ans, Arnaud retourne donc vivre chez ses parents, avec sa grande sœur.

Mais là, rien ne se passe comme prévu. "Quand j'ai eu 9 ans et demi, mon père a réessayé de me toucher. Je me suis battu avec lui. J'ai ressaisi le juge et j'ai décidé de ne plus y aller", indique Arnaud. L'Aide sociale à l'enfance lui demande de s'expliquer sur son choix, de manière à ce qu’il soit bien conscient des conséquences. Jusqu'à ses 18 ans, la politique de l'ASE reste la même.

Devenu père de famille à 23 ans, Arnaud décide d'avancer. "On a peut-être plus de doutes", tempère-t-il. Logique, après tout. "Construire une famille, est-ce que cela ne me fera pas vriller comme mes géniteurs l'ont fait ?", questionne Arnaud. La réponse est non.

Une famille à construire et des doutes qui s'installent 

Pour Marion, notre ancienne éducatrice spécialisée, le fait de devenir papa est un événement crucial dans la vie d’Arnaud. Et de tous les parents, finalement. "Quand on vit une situation, elle peut être réactivée par un événement. En devenant parent, ça résonne. Le fait de se poser des questions, c'est ce qui montre que c'est sain."

Arnaud, lui, a cherché des réponses adaptées. "J'essaye de faire au mieux, juste pour elles. De faire ce qui est juste sur le moment", résume-t-il, expliquant ne pas ressentir le besoin de "recontextualiser" son enfance. Il a appris à prendre du recul lorsqu’il raconte son histoire : "Je relativise. J'ai vu des enfants arriver en pleine nuit, après un passage à l'hôpital. Leur mère les avait frappés avec des lattes de lit"

C'est très compliqué de se reconstruire avec un parcours cassé, avec des ruptures. Les facteurs de résilience sont très importants

Viviane, psychologue de la CRIP

Depuis toujours et dès qu'il en ressent le besoin, Arnaud peut trouver tout le soutien dont il a besoin auprès de la famille qu'il s'est construite et qui l'a toujours soutenu. C'est sa chance, finalement. 

Sa compagne peut en témoigner : "Le monde entier dit que tu es un bon père, que tu es bienveillant". Pour tous les enfants dans sa situation, Arnaud est finalement un exemple de résilience, de détermination. "J'ai réussi à m'extraire rapidement d'une situation complexe, on m'a aidé à me reconstruire. Je n'ai pas été tout seul", termine-t-il. 

 

*Les prénoms des personnes citées dans cet article ont été modifiés, pour conserver leur anonymat.  

Vous êtes un enfant, un adolescent, un jeune majeur et vous pensez être victime de violences ? Vous êtes inquiet pour l'un de vos camarades ? Vous êtes un parent en difficulté avec ses enfants ? Vous êtes un adulte préoccupé par une situation d'enfant en danger ou en risque de l'être ? Contactez le 119

Article initialement publié le 1er octobre 2022

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