Face à la hausse des prix du carburant, Elisabeth Borne et son gouvernement voudraient autoriser la vente à perte pour les distributeurs sur une période limitée. Une mesure qui passe mal chez les indépendants.
"La question est de savoir si l'on veut transformer les territoires ruraux en déserts". Voilà ce que déclare Bruno Marchat, secrétaire général et membre du directoire de Picoty SAS, distributeur indépendant de carburant, qui fait partie du groupe Avia, présent notamment dans la région Centre-Val de Loire.
Les dernières annonces d'Elisabeth Borne passent mal. Dans une interview au Parisien le samedi 16 septembre, la Première ministre a annoncé aux distributeurs de carburants, qu'ils seraient autorisés à vendre à perte "sur une période limitée de quelques mois". Une mesure "à titre exceptionnel", pourtant interdite depuis 1963. Le but ? Réduire les prix du carburant, en forte hausse depuis le début du mois d'août et approchant les deux euros le litre à la pompe.
Concrètement, la vente à perte permettrait aux distributeurs de vendre le carburant à un prix inférieur à celui auquel ils l'ont acheté. Pour Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, invité sur RTL ce dimanche 17 septembre, "on parle quasiment d'un demi-euro potentiellement en moins par litre".
La vente à perte est loin de convaincre tout le monde, notamment chez les distributeurs indépendants, qui devraient faire face aux grandes surfaces et à Total par exemple, pouvant proposer des prix plus attractifs.
"Une vente à perte dans une entreprise n'est pas envisageable, c'est antiéconomique […] L'Etat ne prend pas ses responsabilités en faisant voter une loi comme celle-ci", assure Bruno Marchat. "On n'a pas même le même métier qu'un raffineur ou qu'une grande surface. L'activité principale d'une grande surface n'est pas la distribution de carburant, nos marges de manœuvre ne sont pas les mêmes", insiste le secrétaire général de Picoty SAS.
Vendre à perte, c'est aussi condamner la transition énergétique qui nécessite des investissements colossaux pour préparer l'avenir.
Bruno Marchat, secrétaire général de Picoty SAS.
Le futur de ces enseignes semble incertain. "Je ne vois pas comment on va pouvoir faire", poursuit Bruno Marchat. Le secrétaire général lève d'ailleurs une autre problématique : la logistique. "Ceux qui commenceraient à vendre à perte verraient certainement des afflux de clientèle comme on l'a connu à certaines périodes".
Par ailleurs, la décision et la stratégie globale de l'État sur les prix des carburants, ne semble pas être comprise. "Ce n'est certainement pas la bonne décision", constate Bruno Marchat. "Vous avez un produit qui est taxé à 60%. L'État a des leviers et a choisi la facilité. Soit l'Etat décide de maintenir ce niveau de taxes mais il faut qu'il tienne un discours clair vis-à-vis du consommateur, pourquoi il veut maintenir ce niveau de taxe. Il ne peut pas demander aux autres de faire l'effort à sa place", continue-t-il.
On cherche des espèces de mesurettes qui n'ont pas de sens au final, je pense que le consommateur n'est pas dupe.
Bruno Marchat, secrétaire général de Picoty SAS.
La stratégie du gouvernement reste donc floue. Bruno Marchat se demande si ce type de mesure aurait pu être adapté sur d'autres produits. "Vous imaginez que pour lutter contre l'inflation, on demande à un boulanger de vendre sa baguette à pertes, est-ce que ça a du sens ?", interroge-t-il. "On a ciblé le secteur de l'énergie parce que c'est le secteur sur lequel l'Europe et la France ne pèsent absolument pas", conclut le secrétaire général de Picoty SAS.
La mesure de cette vente à perte sera précisée dans une proposition de loi, attendue fin septembre. Si elle est votée, la mesure pourrait entrer en vigueur au mois de décembre.