"Il faut continuer à alimenter la population !" : la disparition des stations-service rurales inquiète

Les stations-service traditionnelles se font de plus en plus rares. D'autant plus dans les campagnes. Entre concurrence des grandes surfaces, rentabilité difficile, remise aux normes obligatoire et baisse de la consommation, les pompistes n'y arrivent plus. Illustration à Smarves, dans la Vienne, où la station-service historique vient de fermer.

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C'est un départ à la retraite qui risque de peser lourd pour les habitants de Smarves, dans la Vienne. Car avec le départ du pompiste, c'est aussi la station-service de la commune, ouverte depuis 1993, qui ferme ses portes, faute de repreneur. Mais la tendance est nationale, surtout en milieu rural. Le nombre de ces stations-service traditionnelles, notamment présentes en campagne est passé de 6 500 à 5 673 entre 2013 et 2023, selon l'Union française des industries pétrolières (Ufip). Le président national des distributeurs de carburants et énergies nouvelles de Mobilians, Francis Pousse, pointe l'arrivée progressive des grandes surfaces, représentant à présent 67 % des parts de marché alors que la consommation de carburant baisse d'année en année.

500 000 euros pour la remise aux normes

"Toutes les personnes anciennes de la commune avaient pour habitude de venir chez M. Bodin pour l'essence", témoigne Michel Godet, le maire de Smarves. Il conserve le souvenir d'un pompiste aimé de tous : "C'était quelqu'un d'hyper agréable qui était capable de vous conseiller. Vous vouliez changer de voiture ? Il n'en vendait pas, mais il pouvait vous avertir sur la qualité de tel ou tel moteur." De quoi témoigner de l'importance des commerces de proximité en milieu rural.

Mais les difficultés sont fortes. Depuis 2019, la consommation de carburant routier en France baisse de 1,1 % par an, toujours selon l'Ufip. À Smarves, la station-service avait une capacité de 20 000 litres d'essences, ce qui est très faible. "Au regard des prix, surtout les jeunes, certains préféraient aller à une grande station-service, un petit peu plus loin", constate le maire. La station-service de Smarves écoulait son petit stock en seulement un mois. "Quand on fait les calculs, à 10 centimes de rapport au litre, c'est compliqué de payer une personne à temps plein", soulève Patrick Couturas l'adjoint au maire de Smarves en charge du dossier.

Mais en plus de ces difficultés, les stations services doivent respecter des normes strictes afin de protéger la santé et l'environnement. Pour ce faire, elles doivent être réhabilitées en moyenne tous les 10 ans. Les derniers travaux à Smarves datent de 2012. Pour la remise aux normes, il faudrait débourser pas moins de 500 000 euros, d'après Patrick Couturas. "Il y a les structures, les cuves, la décantation, les zones d'absorption de liquide, les solvants, énumère-t-il. Ça va très vite !" Dans ces conditions, impossible de faire perdurer l'activité.

"Cette année, ce sera pire"

Si la tendance s'intensifie ces dernières années, elle n'est pas nouvelle. "Depuis le début des années 1980 et l'apparition des grandes surfaces, le nombre de stations-service traditionnelles est passé de 40 000 à 5 673 en 2023", alerte Francis Pousse du syndicat Mobilians. Il observe tout même une hausse inquiétante des fermetures de stations-service en campagne ces dernières années, après un petit rebond lié à la pandémie de Covid-19 et au soutien apporté par l'État aux entreprises. "En 2023, nous sommes à 120 stations fermées et je pense que pour cette année, ce sera pire", craint-il.

Le pompiste ne peut pas rivaliser avec les opérations de vente du carburant à prix coûtant des grandes surfaces.

Francis Pousse

président national des distributeurs de carburants et énergies nouvelles de Mobilians

Ces dernières années, Francis Pousse observe un certain découragement dans la profession. "Il y a eu des remises de certains pétroliers qui se sont rajoutées à des remises d'État. L'an dernier, ça a été une proposition de vente à perte tout à fait originale de la part du gouvernement. Elle s'est transformée en vente à prix coûtant pendant trois mois consécutifs dans certaines enseignes, constate le président national des distributeurs de carburants et énergies nouvelles de Mobilians. Or, le pompiste ne peut pas rivaliser avec ce type d'action."

Il souligne également une "certaine défiance" vis-à-vis de la profession, de plus en plus mal vue dans l'opinion publique. "Alors c'est vrai que le pétrole, ce n'est pas trop dans l'air du temps, il faut qu'on en sorte. Mais intelligemment, car ce n'est pas demain qu'on aura 100 % de véhicule électriques, on vise 2050, voire après. Mais pendant ce temps-là, il faudra continuer à alimenter la population", insiste-t-il.

Une donnée sur laquelle alerte l'association 40 millions d'automobilistes. Son délégué général, Pierre Chasseray dénonce des fermetures qui mettraient "en péril la mobilité des usagers de la route, en particulier dans les zones rurales", comme le relaie Les Échos. De quoi craindre, selon lui, que ces disparitions entraînent celle d'autres entreprises, par réaction en chaîne.

Des solutions pour la survie des stations-service rurales ?

Face à la baisse de consommation et la perte de revenus, les stations services traditionnelles s'adaptent pour survivre et diversifient leur activité. À Smarves, la station faisait également garage automobile. Une quasi-obligation à présent en campagne. Non loin de là, à Nouaillé-Maupertuis, Basile Rinsant, le gérant de la station-service, est aussi garagiste. La pompe à essence représente seulement 15 % de son chiffre d'affaires. "Tant qu'elle nous rapporte un petit peu et surtout qu'on ne perd rien sur cette station-là, on la gardera. Le jour où on commencera à ne plus être rentable, on fermera", explique-t-il.

L'enjeu est fort pour les populations locales et la vie en milieu rural. À tel point que certaines communes décident de municipaliser des stations services. C'est le cas depuis longtemps à Guillaumes, un village perché dans les Alpes. Plus récemment, en 2019, c'est la commune de Genillé, en Indre-et-Loire, qui a passé le pas et fait les investissements nécessaires pour le maintien d'une pompe à essence. Deux ans après, le maire de la commune décrivait "une vraie réussite" dynamisant l'activité. Mais ce genre d'initiative n'est pas possible partout. À Smarves, les habitants vont devoir se passer de leur station-service historique.

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