Dans un territoire souffrant, comme beaucoup d'endroits, de fracture culturelle, il n'est pas toujours facile de trouver un accès à la culture rapide et bon marché. Près de Mareuil-sur-Arnon, l'abbaye de La Prée tente de remplir ce rôle, à son échelle.
Sur la place du Marché à Mareuil-sur-Arnon, point de marché. Un vieil arrêt de bus d'un seul bloc de béton donne sur une route trouée en de multiples endroits par des travaux d'assainissement. Quelques arbres tentent de conserver le peu d'espace qu'il leur reste au milieu du bitume, sur lequel deux ou trois voitures ont décidé de stationner.
Au milieu de ce paysage, une petite cabane de bois peint en bleu très pâle renferme son trésor : des mots.
Des grands classiques de Victor Hugo et de Maupassant pour petits et grands, des pages d'histoires par Max Gallo, des enquêtes de Rouletabille par Gaston Leroux, et même des magazines plus ou moins récents… des pages grand format ou de poche, neuves ou bien écorchées remplissent à ras bord les deux étages de la "boîte à livres" du village. Même si les visiteurs s'y font rares.
Une bibliothèque ouverte deux heures par semaine
C'est peut-être le manque d'offre culturelle dans les alentours qui a fait de l'installation de cette boîte à livres une priorité à Mareuil. Pourtant, une bibliothèque continue d'avoir pignon sur rue dans le village.
"Il y a un grand choix de bouquins, mais elle n'est ouverte que deux heures par semaine et il n'y a que cinq personnes qui y vont", déplore Jean-Pierre Pineau, maire de Mareuil-sur-Arnon jusqu'en 2014. Selon lui, la bibliothèque souffre notamment du regroupement scolaire, qui n'a laissé à l'école du village que les classes de maternelle.
Avec Issoudun – et son cinéma, sa salle de concerts, son centre des congrès, sa médiathèque - à 15 km, Mareuil n'est pas complètement isolée de tout complexe culturel. Mais au niveau local, il faut bien dire que la commune ne peut compter que sur ses partages de livres.
Et sur les animations portées par l'association Moulin de Nouan Environnement. A 3 km de Mareuil, sur le territoire de la commune de Chezal-Benoît, elle organise tous les ans La Croisette en fête, une série de festivités musicales et lyriques.
La Prée, oasis culturelle ?
Mais pour trouver un centre culturel permanent, il faut pousser un peu plus loin, dans une large clairière au milieu d'un vallon de l'Arnon. Là est nichée l'abbaye de La Prée, dédiée au culte religieux du XIIe siècle jusqu'à la Révolution. Depuis, le monastère est passé de propriétaire en propriétaire, perdant au passage son abbatiale.
En 1954, les bâtiments sont donnés aux Petits frères des pauvres, association fondée à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale par Armand Marquiset, et qui vient en aide aux personnes âgées isolées.
En 1991, Les Petits frère des pauvres et Pour que l'esprit vive - une association à vocation artistique fondée elle-aussi par Armand Marquiset - s'associent pour crée un établissement social et culturel à La Prée.
L'abbaye héberge dès lors des résidences d'artistes, parrainées à partir de 2002 par l'Académie des Beaux-Arts. Belle performance pour quelques bâtiments dissimulés par une épaisse forêt au milieu du Berry.
Melting-pot artistique
"On accueille une cinquantaine d'artistes par an, que ce soit en résidences longues de 9 mois, ou en résidences courtes d'un mois, une semaine ou même un week-end", explique Magalie Nadaud, responsable de la résidence artistique.
Parmi eux : des compositeurs, des peintres, des sculpteurs… Toute discipline académique est acceptée, pourvu que l'artiste soit un créateur.
"Au début, on exposait les créations pour les habitants des environs, mais les gens ne venaient pas, précise Magalie Nadaud. On n'arrive pas à trouver un public aux plasticiens, donc on a arrêté." Il ne faut cependant pas croire que les artistes évoluent dans un cercle fermé.
Dans l'hôtellerie, un bâtiment adjacent à l'abbaye en elle-même, Les Petits frères des pauvres accueillent des personnes âgées venues de toute la France pour des résidences plus ou moins longues d'avril à octobre. Et d'octobre à avril, des personnes âgées dépendantes de la région sont accueillies pendant plusieurs semaines, histoire de passer l'hiver entourées.
Désacraliser la figure de l'artiste
Une cohabitation avec les artistes qui bénéficie à tous les résidents selon Magalie Nadaud : "Il n'y a pas d'obligation de liens entre les deux maisons, mais ça se fait naturellement. Ca désacralise la figure de l'artiste pour les personnes âgées, ça décloisonne les beaux-arts, et ça permet aux artistes de sortir un peu de leur univers."
Afin d'élargir l'influence culturelle locale de l'abbaye, certains artistes en résidence se sont déplacés dans des EHPAD des alentours, pour des ateliers musicaux ou d'écriture avec les résidents. Une façon de faire connaître une abbaye qui reste en manque de notoriété.
"Il y a encore des gens qui habitent à 15 km et qui ne sont jamais venus à La Prée, regrette Magalie Nadaud. C'est privé mais c'est ouvert au public, familier et pas guindé."
Des concerts, tous complets
Car on peut entrer dans l'abbaye presque comme dans un moulin. Outre les appartements des artistes et des résidents, les rez-de-chaussée des bâtiments sont totalement accessibles au public.
Il est ainsi possible de se balader sous les arcades du cloître, de s'installer quelques minutes dans l'ancien chapitre, avant d'entamer une promenade aérée dans le parc classé espace naturel sensible par le Conseil général de l'Indre.
Pour attirer du monde sur le site, l'association organise tous les mois et demi des concerts de musique classique dans un salon de l'abbaye. Preuve du succès de l'opération, les organisateurs ont "dû refuser 50 personnes lors du dernier concert".
Au programme de cette fin de saison 2019/2020 : Verdi, Puccini et Wagner à l'accordéon, Beethoven et Fauré au violoncelle, clarinette et piano, ou encore un soliste piano sur des airs de Chopin et Schubert.
Des spectacles qui attirent un public "d'habitués des environs, qui sont notre meilleure publicité", se réjouit Magalie Nadaud.
Garder le lien avec les villages alentours
Le lien se fait également avec les personnes âgées résidant à l'hôtellerie, dont "il s'agit souvent du premier concert". "Les concerts sont toujours très bien", confirme Françoise, une résidente d'hiver. "Je n'en manque jamais un seul. "
La Prée est même le théâtre d'un festival de musique classique au moment de la Pentecôte, festival qui délocalise certains de ses concerts dans les églises des environs (à Ségry et Saint-Ambroix, mais pas à Mareuil).
"On a gagné du public dans les villages grâce à ça, explique la responsable de la résidence d'artistes. Les gens ne se seraient pas forcément déplacés jusqu'à La Prée", malgré la proximité de l'abbaye avec les bourgs de Ségry et Saint-Ambroix.
Bien-sûr, La Prée n'est pas une salle de concerts de 500 places, ni même un centre d'art populaire. Mais ce territoire, comme beaucoup d'autres, souffre de fracture culturelle. Et dans ce contexte, l'abbaye ressemble bien plus à une oasis qu'à un mirage.