Vins de Loire : "Si chacun venait acheter une caisse à la cave on n'aurait pas besoin de distiller, on s'en sortirait"

Un plan d'aide, financé par des fonds publics européens, permet depuis ce vendredi 5 juin aux viticulteurs de distiller leur vin pour le transformer en bioéthanol ou en gel hydroalcoolique. Pour beaucoup de viticulteurs du Centre-Val de Loire, ce n'est pas ce qui va sauver la filière. 

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Les gens ont économisé 5,5 millions d'euros pendant l'épidémie. Qu'ils viennent en dépenser une partie dans nos caves et ils pourront être fiers d'avoir sauvé notre production. 

Benoît Gautier est viticulteur à Rochecorbon et président de la Fédération des associations viticoles d'Indre-et-Loire. En avril et mai 2020, le chiffre d'affaires des viticulteurs du département a baissé de près de 90 % en moyenne. 

"Le vin de Touraine se vend en majorité en direct auprès des touristes étrangers et des restaurateurs. Nos principaux clients à l'étranger sont les Américains et les Anglais. Autant vous dire que les débouchés ont presque tous disparu." Ce producteur de Vouvray l'annonce : "La reprise des ventes à l'étranger sera très lente. Au mieux trois mois, au pire six mois. Qu'est ce qu'on fait ? On entasse le vin dans nos caves ?"

On va éviter de distiller en 2019

Benoît Gautier tente de relativiser : "Emotionnellement, distiller c'est très compliqué. C'est déjà tellement dur d'échapper aux aléas climatiques. On galère pendant un an, ce n'est pas pour distiller notre vin ensuite. Si on doit distiller, ce sera la dernière des solutions. Surtout on va éviter de distiller du 2019.".

Un enveloppe de 140 millions pour la distillation de crise 

Le secteur viticole avait déjà affronté depuis octobre 2019 les taxes de 25 % à l'importation vers les Etats-Unis décidées par Donald Trump.

Aujourd'hui les viticulteurs sont rattrapés par la crise du coronavirus. Avec la fermeture des frontières de très nombreux pays, les débouchés commerciaux ont disparu.

Le 11 mai, le gouvernement a annoncé deux grandes mesures de soutien pour un budget de 240 millions d’euros : la première concerne une exonération de charges patronales salariales pour les TPE et PME les plus en difficulté, pour un budget estimé de 100 millions d’euros. 

Les 140 millions d’euros restant serviront à financer la distillation de crise de deux millions d’hectolitres de vin à un prix moyen de 70 euros par hectolitre. 60 millions d'euros sont directement débloqués par le gouvernement, et 80 millions d'euros proviennent de l'enveloppe nationale issue de la PAC. Ce dispositif exceptionnel s'étendra jusqu'au 15 octobre.

L'alcool issu de cette distillation sera exclusivement réservé à l'industrie, pour la fabrication de bioéthanol, ou pour la pharmacie et les cosmétiques, notamment pour la production du gel hydroalcoolique.

Un crève-coeur pour chaque viticulteur qui doit recourir à la distillation

Chaque viticulteur qui le souhaite a jusqu'au 19 juin pour souscrire le volume qu'il souhaite distiller auprès de son distillateur local. FranceAgriMer indemnisera les distillateurs, ensuite chargés de répercuter les aides sur les producteurs.

"On avait demandé un système plus ouvert. Là, on a dix jours pour se décider. On n'a pas le temps de réfléchir. C'est un engagement ferme et définitif. Quand on sait à quelle vitesse notre raisin peut disparaître juste avec un orage de grêle. C'est un choix terrible", confie Benoît Gautier. 

Chaque hectolitre de vin sera indemnisé, à raison de 78 euros pour un vin sous appellation (0,78 euros le litre) et de 58 euros (0,58 euros le litre) pour un vin sans indication géographique.

"Je trouve que le vin sous appellation d'origine contrôlée devrait être mieux indemnisé. C'est un crève-coeur mais la distillation reste une solution pour assainir les marchés", explique Dominique Girault, viticulteur dans le Loir-et-Cher. 

 

Environ 10 % devraient être distillés dans le Val de Loire selon les premiers sondages 

"La distillation c'est en dernier recours. Mais c'est une bonne solution pour le collectif. C'est toujours un volume qui n'arrivera pas sur le marché. "

Cédric Chollet est viticulteur à Onzain dans le Loir-et-Cher en appellation Touraine-Mesland.

"Je ne pense pas qu'il y aura des vignerons qui vont distiller dans l'appellation Touraine -Mesland parce que nous avons des petites productions, nous avons bien travaillé en mars et nous allons pouvoir nous rattraper sur les deux prochaines années."

Dans le Loir-et-Cher, selon les premiers sondages, 1 %  de la production pourrait être distillée. 

"La distillation concerne surtout les régions qui comptent de grands bassins de production. Mais c'est vrai qu'avec les baisses de chiffres d'affaires qui vont jusqu'à 80 % dans le département, certains viticulteurs vont devoir distiller. Il vaudrait mieux avoir des aides au stockage pour acheter des cuves supplémentaires", explique François Cazin, président de la fédération des associations viticoles du Loir-et-Cher. 

Pour le syndicat interprofessionnel InterLoire, qui compte 3000 vignerons et 250 négociants de Nantes à Blois, la distillation concernerait environ 10% de la production.

"Cela représente 200 000 hectolitres", évalue Jean-Martin Dutour, président d'InterLoire. Mais il s'agit de sondages. Il est trop tôt pour avoir des chiffres définitifs."

Pour Jean-Martin Dutour, la distillation indemnisée est une bonne idée pour régler ds problèmes de surplus au cas par cas et pour éliminer du vin de moins bonne qualité. "Ce n'est en aucun cas la solution pour sauver la filière et pour nous aider à traverser la crise du Covid. Ce qui va sauver la filière c'est sa capacité à stocker et à renouer le dialogue avec sa clientèle". 

 

Pour des aides au stockage plus importantes

L'Etat a débloqué une enveloppe de 15 millions d'euros pour l'aide au stockage. "C'est pour les gros producteurs. C'est pas pour nous. Cela représente à peine 10 euros pour un hectolitre. A peine de quoi rembourser les frais de dossier", s'énerve Benoît Gautier, président de la Fédération des associations viticoles d'Indre-et-Loire. 

"Le stockage pèse lourd dans une trésorerie, explique François Cazin, président de la fédération des associations viticoles du Loir-et-Cher. Mais on voudrait pouvoir conserver le vin dans de bonnes conditions pour le mettre sur le marché quand il en manque". 

Et avec la récolte précoce qui s'annonce, l'urgence est là.  

Dominique Girault, viticulteur à Noyers-sur-Cher dans le Loir-et-Cher enregistre une baisse de 60 à 70 % de ses ventes depuis le début de l'épidémie. 

"Le millesime 2019 va être très précoce. On s'attend à pouvoir récolter les premiers créments autour du 15 août. C'est du jamais vu. Tout se prépare pour un millesime exceptionnel. Il faut libérer les cuves rapidement. Ou en acheter d'autres."

Apprendre de ces crises et assouplir les règles

Pour Jean-Marc Dutour, président d'InterLoire : "On ne peut plus compter sur des aides financières de l'Etat. La filière doit apprendre de ces crises climatiques et sanitaires pour investir dans le stockage".

Il ajoute : "On a les outils notamment ceux de la Politique agricole commune pour investir et communiquer mais ils sont tellement compliqués et lourds à mettre en place que seules les grandes entreprises viticoles et les interprofessions peuvent les utiliser. Il faudrait que l'administration assouplisse les règles et on pourrait affronter ce genre de situation plus simplement. " 

Il enchaîne en nous donnant un exemple pour illustrer l'aberration de la situation : "InterLoire a lancé un programme d'action en 2017. Nous n'avons toujours pas été payés par FranceAgrimer. Ce sont les lourdeurs administratives qui nous empêchent de bien nous organiser face à ce genre de crise". 

Relancer la consommation pour s'en sortir *

La solution la plus simple pour traverser cette crise reste encore la vente de vin. "Si chaque Tourangeau venait nous acheter un carton de six bouteilles à la cave, je vous promets que personne ne serait obligé de distiller son vin", interpelle Benoît Gautier qui constate dans le même temps que les ventes de Prosecco ont augmenté de 8 % pendant la crise du Covid. "Il est possible de faire des cocktails avec du vin de Loire. Si les gens veulent être fiers d'eux, qu'ils viennent à la cave". 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour relancer la demande des consommateurs, l'Interprofession InterLoire va diffuser une campagne de communication cet été qui a coûté 900 000 euros.

"Nous nous sommes associés aux syndicats de producteurs pour réveiller l'enthousiasme de nos consommateurs cet été. On a déjà perdu entre 150 et 200 millions d'euros de chiffres d'affaires en un mois et demi. Si la consommation ne repart pas, on pourra vite enregistrer une perte de 300 millions d'euros pour les Vins du Val de Loire", estime Jean Martin Dutour, président d'InterLoire.

* L'abus d'alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération. 

 

 

 

 

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