Au temps du confinement, le psychanalyste Gérard Miller a remplacé le divan par le téléphone pour continuer à travailler avec ses patients.

Lui est alors venue l'idée de faire un documentaire, "Un divan sur le fil", en interrogeant des psychanalysés ayants adoptés cette démarche et confrontés à la crise du coronavirus. 

En ayant l’idée d’interroger des patients sur leur psychanalyse à distance, quel était votre désir ? 

Gérard Miller : Avant d’interroger des patients sur leur psychanalyse à distance, j’ai eu d’abord le désir de faire moi-même des séances de psychanalyse par téléphone ! Certes, nous avons été de nombreux praticiens à avoir en même temps cette idée, mais ce n’en était pas moins une première dans l’histoire de la psychanalyse, pourtant vieille de 120 ans.

Remplacer pendant deux mois le célèbre divan de Freud par un téléphone, cela n’allait pas de soi… Dans le passé, cela s’était déjà produit ponctuellement pour un patient retenu à l’étranger ou gravement malade, mais jamais à grande échelle.

Du coup, j’ai eu tout de suite envie de vérifier, in vivo, comment cela se passait. Cette expérience était tellement inattendue qu’elle méritait bien qu’on demande leur avis aux principaux intéressés, les analysants. J’ai toujours eu le sentiment que nous, psychanalystes, n’étions pas des praticiens orthodoxes.  C’est ce qui m’a toujours plus chez Lacan : une étonnante capacité d’être à la fois le plus freudien des freudiens et en même temps le plus innovant des théoriciens. Cela étant, nous ne pouvons évidemment pas tout nous permettre. Alors, la psychanalyse au téléphone : foldinguerie ou innovation ? C’est ce que j’ai voulu vérifier publiquement en réalisant ce film.

Qu’avez-vous appris de ces patients qui se sont confiés à vous ? -Quels points communs se sont dégagés de ces quatre sujets confinés ?
Gérard Miller : Sur le coronavirus, sur le confinement, sur cette catastrophe planétaire, j’ai entendu un tout autre discours que celui qu’on entendait du matin au soir dans l’espace public. Dans l’espace public, et c’était bien légitime, on entendait dire que l’impréparation des gouvernants était coupable, que ceux-ci étaient à la fois autoritaires et indécis ou que c’était tout bonnement la faute à la mondialisation.
Dans l’espace privé, en se retrouvant enfermés quasiment 24h sur 24, c’est-à-dire livrés d’abord et avant tout à eux-mêmes, d’autres problématiques apparaissaient pour les patients, d’autres questionnements s’imposaient. Et ce que j’ai constaté, c’est que nombre d’entre eux, comme s’ils voulaient tirer profit de la situation contrainte qui était la leur, ne se contentaient pas de frapper la voûte du ciel avec leurs poings, mais commençaient à se demander : « En fait, qu’est-ce que tout cette histoire remet en cause de moi-même ?  Alors que je subis le coronavirus, en quoi suis-je néanmoins un de ces acteurs ? En quoi cette crise me remet en cause personnellement, remet en cause non seulement ma façon de consommer ou de me déplacer, mais aussi ma façon d’aimer, de privilégier ceci plutôt que cela, en quoi est remise en cause toute mon échelle de valeurs. »

Un de ces patients, ou une situation, vous a-t-il marqué en tant que psychanalyste ?
Gérard Miller : Barbara, qui est un des quatre personnages du film, est soignante et s’est retrouvée malade du Covid pendant le tournage. Par bonheur, elle s’en est bien tirée, et à la fin du film — tant pis pour le spoiler ! — elle m’apprend au téléphone ce qu’elle vient elle-même d’apprendre, qu’elle est enceinte. Un bébé confiné, doublement confiné même, mais qui rappelle que la vie est là et qu’elle insiste.
 


Selon vous, même si la psychanalyse a su s’adapter aux évènements, a-t-elle aider ces patients malgré la distance?
Gérard Miller : Le confinement a été très pénible pour la majorité d’entre nous et, sans aucun doute, les séances de psychanalyse par téléphone ont permis aux analysants de ne pas se retrouver en l’air du jour au lendemain, de continuer à tirer au clair leur inconscient et cela a eu, à court terme, des effets qu’on appeler positifs. Cela dit, j’ai toujours pensé, en dirigeant moi-même des cures au téléphone ou en réalisant ce film, que le déconfinement serait encore plus dur que le confinement — je ne crois pas m’être trompé.

 



Connaissez-vous des collègues qui ont rencontré des difficultés à pratiquer à distance ? et vous-même ?
Gérard Miller : Je connais surtout des collègues qui n’ont pas souhaité faire des séances au téléphone, qui ont considéré que c’était contraire à leur éthique et qui ont rencontré des difficultés à reprendre le fil des cures deux mois plus tard, difficultés surmontables certes, mais bien réelles. Quant à ceux qui, comme moi, ont sauté le pas, ils ont été au contraire surpris de la facilité avec laquelle patients et analystes s’adaptaient, provisoirement bien sûr, à cette nouvelle façon de faire. Pour ma part, ayant retrouvé depuis le 11 mai mon cabinet et mon bon vieux divan, je n’exclus pas du coup, dans certaines circonstances bien précises, de refaire ponctuellement l’expérience.

Comme psychanalyste, en poursuivant vos séances, en réalisant ce film, avez-vous le sentiment d’avoir participé à votre façon à la « guerre » que le président de la République a souhaité que nous menions contre le virus ?
Gérard Miller : Certainement pas ! J’ai tout de suite fait partie de ceux qui contestaient le désir des autorités de nous voir « partir en guerre ». Comme psychanalyste justement, j’ai une petite idée de la façon dont les maîtres font l’usage qui leur convient de certains signifiants !

Quand ils ont besoin qu’aucune tête ne dépasse et surtout qu’aucune bouche ne s’ouvre, ils n’hésitent pas à sortir illico les drapeaux et les clairons, et imposent au pays de marcher au pas comme s’il n’y avait dès lors qu’une seule direction à suivre. Pour disqualifier définitivement l’argumentation d’un adversaire, on sait qu’il convient d’atteindre le point Godwin : trouver un lien supposé avec le nazisme pour clouer le bec dudit adversaire sans appel. Eh bien, quand j’ai entendu le président de la République lever le menton et marteler à plusieurs reprises que nous étions en guerre, j’y ai vu un stratagème équivalent. Brandir tel un étendard le signifiant « guerre » au moment précis où les questions se bousculaient et où les langues avaient envie de se délier, m’est apparu comme une entreprise plus qu’hasardeuse.
 


Pourquoi miser sur les affects mortifères qu’une guerre suscite en nous plutôt que sur ceux, pas moins stimulants, que nous sommes capables de mobiliser, en temps de paix, dans les moments les plus graves ? Le mot « guerre » avait un but précis : nous faire taire. A l’inverse, le film que j’ai réalisé veut montrer que, plus que jamais, la parole, et la parole libre, est cruciale. « Un divan sur le fil » n’est pas le récit d’une expérience exotique, mais bien un film de résistance.

Selon vous, qu’aurait dit Lacan de tout ça ?
Gérard Miller : Il aurait sans doute reparlé de ce qu’il appelait le « déchaînement de la science ». Et il aurait commenté ce que nous avons tous pu vérifier : lorsque la médecine aspire à triompher sans partage, elle n’est pas moins despotique, obtuse voire obscurantiste que peut l’être la religion.

 



Pour en savoir plus, retrouvez la collection Documentaire "ASSIGNÉS À RÉSIDENCE".
Lundi 28 septembre à 23.05 dans "La France en vrai"

7 films qui retracent le parcours d’hommes et de femmes confinés partout en France. Entre remise en question, inquiétude, interrogation, solitude et solidarité, chacun d’entre eux nous racontent l’épreuve du confinement.
 
Voir : Un divan sur le fil
Sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, Pays de la Loire et Hauts-de-France
Un film de Gérard Miller
Coproduit par Morgane Productions / France Télévisions
Pendant deux mois, de très nombreux psychanalystes ont remplacé le célèbre divan de Freud par un téléphone. 
 
(Dé) Confinés en Ré
Sur France 3 Nouvelle-Aquitaine et Paris Ile-de-France
Un film de Laurence Katrian, écrit par Catherine Touzet
Coproduction par Delonte Production et Via Decouverts films
Le confinement dans une île vouée au tourisme et ses corollaires : depuis le début du confinement, 5000 continentaux qui ont des résidences secondaires sont arrivés.
Ostréiculteurs, restaurateurs, gérants de supérette, retraités, trentenaires parisiens,…originaires de l’île ou continentaux, ils se sont tous retrouvés ici pour ces quelques semaines qui se sont prolongées. Bouleversés par le confinement, changement radical de vie ou non, tous partagent une inquiétude pour leur présent et leur avenir.
 
Voyance, amour et confinement
Sur France 3 Grand-Est
Un film d’Yvonne Debeaumarché
Coproduction Imagissime et La vie bonne productions
Le film est un conte intime où des extraits de conversations intimes dialoguent avec des séquences psychédéliques. Contrainte comme des millions de Français au confinement, la réalisatrice, alors en proie à une crise de couple décide de filmer pendant 55 jours son tirage de cartes quotidien et les conversations drôles et profondes qui jaillissent de cet isolement, avec des amis, artistes, prof, forain, soignant, psy, fleuriste et même avec de vagues connaissances qui surgissent au fil de conversations virtuelles.
Cette rencontre de soi-même en miroir des autres, nous emmène aux confins d’une introspection parfois douloureuse qui passe par la Pensée Magique. Une réflexion intime et collective, pour donner un sens à ces semaines d’errements et d’isolement.
 
Confinés, la vie dans mon immeuble
Sur France 3 Provence-Alpes Côte d’Azur
Réalisé par Philippine HATTEMBERG 
Coproduit par Mars Productions
 Le 17 mars 2020, la France entière s’est arrêtée pour tenter de combattre un ennemi invisible : la Covid-19. À Marseille comme ailleurs, les rues se sont soudainement vidées. Alors que tout le monde était sommé de fermer sa porte, je suis allée frapper à celle de mes voisins. Ces voisins que je ne connaissais pas, que je croisais parfois, que j’ignorais souvent, j’ai décidé de profiter de ce temps hors du temps pour faire leur connaissance.
Pendant 2 mois, j’ai suivi le quotidien de Madame Cantina, de Marie, Elisabeth, Nicolas, Christelle, Olivier, Camille, Chloé et les autres. Un casting hétéroclite, avec une tranche d’âge large allant de 8 à 89 ans. Au fur et à mesure de ce confinement, nous avons créé des liens de plus en plus intimes. Nous avons partagé nos inquiétudes, nos interrogations, nos angoisses mais aussi nos rires et nos joies. 
 
Ehpad à huit clos 
Sur France 3 Normandie et Bretagne
Un film de Christophe Ramage
Coproduit par Arts films / Rétroviseur productions
 Ce documentaire témoigne d’une des réalités du confinement vécu dans les Ehpad au printemps 2020. La résidence pour personnes âgées dépendantes le Village des Aubépins à Maromme est déjà bien connu dans le secteur pour ses actions et ses innovations, elle a ouvert ses portes à Christophe Ramage pour vivre de l’intérieur le quotidien des résidents et accompagner la cellule de crise de l’équipe de direction.
Découvrez la parole des résidents, l’engagement des personnels, les analyses de la directrice Marie-Pascale MONGAUX qui démontrent l’importance de maintenir le lien social et le respect de l’individu. Une gestion humaine incontournable pour limiter le traumatisme compte tenu des circonstances et qui reste la clé d’un quotidien digne et étrangement serein pour les résidents de ces établissements de vie si essentiels à nos sociétés.
 
In Casa
Sur France 3 Corse
Un film de Cyril Claus
Coproduit par France 3 Corse Via Stella / Intervista Prod
Au lendemain du discours du Président de la République annonçant le confinement des Français pour faire face à la crise sanitaire provoquée par le Coronavirus, Cyril Claus, stoppé dans ses élans de réalisation des magazines dont il a la charge pour la télévision, s'interroge...
Bien que confiné « à la campagne » sur les hauteurs d'Ajaccio avec sa compagne et leur fils et conscient de ce privilège, le réalisateur Cyril Claus entreprend un long travail d'introspection ponctué de « vidéoconférences »  avec sa mère ou sa fille demeurées en ville, mais aussi de rendez-vous virtuels avec des amis proches 
 
 
5 regards en confinement
Sur France 3 Bourgogne Franche-Comté, Centre-Val de Loire et France 3 Occitanie
Réalisé par Jonathan Safir et Adi Walter
Coproduit par Tikkoun
Avec la pandémie de Covid-19, le monde traverse un moment historique et dans le contexte inédit du confinement mondial, nous voulons rassembler les instants captés par des professionnels de l’image dans leur intimité. Cinq unités de réalisation, chacune avec leur esthétique et sensibilité singulières, qui vont saisir les effets de cette situation - parfois anxiogène, parfois drolatiques - sur leur environnement, leurs sentiments, leur imagination… Cinq voix, cinq regards sur un monde en plein bouleversement - le point de vue microscopique à l’échelle de l’humanité de ce huis clos généralisé.

 
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