Dans un ouvrage paru aux éditions Albiana, Jean-Guy Talamoni s’attache à redonner leurs lettres de noblesse aux premiers auteurs en langue corse. Une étude qui déborde largement le territoire de l’analyse littéraire.
Interroger l’histoire littéraire corse pour en dégager les écoles, les variations subtiles, le contexte social, historique et culturel dans lequel elle a pris forme: c’est le propos de « Littérature et politique en Corse », ouvrage tiré de la thèse soutenue en 2012 devant l’Université de Corse par Jean Guy Talamoni, avocat et élu indépendantiste à l’Assemblée de Corse.
L’ouvrage, copieux et solidement argumenté, nourri de références, passe au tamis de l’analyse l’émergence d’une littérature corse – dans une langue longtemps dévolue à l’exclusivité de la pratique orale.
Ses conclusions : délaissée, la période qu’il baptise Primu Riacquistu (par opposition au Riacquistu de la décennie 1970) se révèle féconde et exaltante.
Elle marque le passage de l’oralité à l’écrit mais aussi l’avènement du regard que les Corses portent eux-mêmes sur la Corse, dans leur propre langue. Autant dire, comme le souligne l’auteur citant Fernand Ettori : qu’elle donne à cette « langue maternelle le statut d’une langue nationale capable de parler dignement de tout ».
Un travail universitaire
Qui du chercheur, qui de l’élu indépendantiste et militant de longue date a pris la plume ? Dans un avant-propos éclairant, Jean Guy Talamoni répond sans détour à la question : « cette réflexion, explique-t-il, constitue clairement une démarche de recherche appliquée, dont l’objectif est de dévoiler des éléments utiles à l’action publique ; il s’agit d’accéder à l’intelligence des mécanismes à l’œuvre au sein de la société corse en vue d’agir sur ces derniers».Cette précaution prise comme on écarte a priori une critique de partialité, le lecteur doit reconnaître que l’œuvre ne s’écarte jamais de l’exigence analytique, s’appliquant à déjouer les formes d’une pensée simplifiée au profit d’une mise en perspective complexe.
Armes et bandits
Ainsi à propos de la question des armes, si prégnante encore de nos jours en Corse, l’auteur montre-t-il sans conteste que les auteurs insulaires, loin d’entretenir les caricatures nées du romantisme français, différenciaient nettement celles utilisées dans la sphère publique (prétexte à exalter l’ardeur guerrière passée de leurs compatriotes, ou leur patriotisme) et celles dévolues à un usage privé (et considérées comme néfastes, engendrant violence, drames et troubles sociaux).
De la même manière, les bandits, figures ethnotypiques célébrées par les auteurs français du XIXème siècle (de Mérimée à Maupassant, avec des fortunes diverses) sont-ils perçus et mis en scène par leurs homologues corses non comme de braves et fiers brigands d’honneur mais comme des reclus, à la vie peu enviable d’errances et de misère.
Une refondation du champ politique
Combattre ces visions « mutilantes » décriées par Jean Guy Talamoni permet, une fois la lecture de l’imposant volume achevée, de mieux percevoir la révolution intellectuelle de ce Primu Riacquistu relégué au rang de non-événement historique et qui rendit possible, non seulement l’émergence d’une littérature en langue corse achevée mais aussi – et surtout – une refondation du champ politique. C’est là l’un de ses principaux mérites, et non le moindre.
Littérature et politique en Corse, Jean-Guy Talamoni (471 p.) - Albiana, 2013.
>>Lire aussi son entretien avec Corse-Matin.