Attaque d’Arras : “On ne peut pas dire que ça n’arrivera jamais chez nous”, craignent des professeurs en Corse

Après l’assassinat de Dominique Bernard, professeur de français dans un lycée d'Arras, plusieurs enseignants d’Ajaccio ne cachent pas leurs inquiétudes. Ils se sont rassemblés, jeudi 19 octobre, devant le rectorat.

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"On ne veut surtout pas se dire que c’est un de plus." Ne pas banaliser, ne pas oublier. Si une centaine de professeurs s’est réunie devant le rectorat d’Ajaccio, ce jeudi 19 octobre, c’est pour dire tout à la fois leur peine, leur effroi et leur colère après l’assassinat de Dominique Bernard, professeur de français, dans un lycée d'Arras.

Des émotions d’autant plus vives qu’elles font écho à celles ressenties il y a tout juste trois ans, après l'acte terroriste qui avait visé un autre professeur à Conflans-Sainte-Honorine.

"Je ne me suis toujours pas remise de la mort de Samuel Paty, témoigne Marie-Claude Siaud, enseignante au lycée Laetitia en BTS négociation et digitalisation de la relation client (NDRC). Je me rappelle exactement où j'étais quand j'ai appris la nouvelle, comme quand les deux tours jumelles de New-York se sont effondrées. Et c'était tellement énorme qu'on s'était dit que cela n’arriverait plus. Et vendredi dernier, ça recommence, et là il n'y a pas de mots."

"Certains professeurs de certaines matières deviennent des cibles potentielles"

Pas de mots, mais de nombreuses questions. "Comment peut-on arriver à être formaté à ce point pour tuer une personne lambda parce qu'elle est enseignante ? Je pense que quand on aura résolu cette interrogation, peut-être qu'on pourra arranger les choses."

La professeure craint-elle qu’un drame similaire arrive en Corse ? "Si j'étais honnête, je dirais non, parce que j'estime qu'on a des conditions ici qui sont différentes, mais peut-on décemment dire qu’on est à l'abri ? Ce serait très prétentieux. Pour autant, je n'ai pas peur", résume-t-elle.

Marie-Claude Siaud n’enseigne pas "une matière sensible". De son propre aveu, elle n’a jamais été confrontée à des situations problématiques. "Je n'ai pas été embêtée, mais certains professeurs de certaines matières deviennent des cibles potentielles systématiquement, ce que je ne suis pas, donc je me mets souvent à leur place", confie-t-elle.

"Quelle n'a pas été ma surprise, dans une 4e d’un collège du centre-ville, d'entendre des élèves remettre en cause la laïcité"

Angèle Folacci, professeure d'histoire

Professeure d’histoire, Angèle Folacci se retrouve, elle, parmi ces enseignants "en première ligne". Si elle n’a jamais dû faire face à des "contestations" de la part de ses élèves, elle raconte une anecdote qui, à tout le moins, interpelle.

"Tous les ans, depuis de nombreuses années, notamment depuis les attentats de Charlie Hebdo, je diffuse en classe une petite histoire de la caricature en France. Et quelle n'a pas été ma surprise, dans une 4e d’un collège du centre-ville, d'entendre des élèves qui remettaient en cause la laïcité et qui disaient qu'après tout, ce qui était sacré, il ne fallait pas y toucher", relate Angèle Folacci.

Face à des collégiens "qui reprenaient à leur compte certaines interviews du reportage", la professeure d’histoire a tenté de trouver les mots pour convaincre. "J’ai dû revenir sur l'importance de la laïcité, de la liberté d'expression que nous avons en démocratie et j'ai dit à mes élèves : « moi, mon arme, c'est mon stylo et mon esprit »."

Esprit critique

"Continuer à enseigner, c’est ce qui nous forge et ce qui nous maintient la tête hors de l'eau, reprend l’enseignante. Cela paraît dérisoire par rapport à des kalachnikovs, mais en attendant, nous nous devons d'être devant nos élèves et de les aider à acquérir un esprit critique."

Elle aussi veut croire que l’île reste encore protégée. "J’aime à me dire que notre « corsitude » peut nous préserver de l'intégrisme islamiste, mais suis-je dans l'utopie en disant cela ? Je pense qu'on n'est pas à l'abri d'une personne qui va être influencée par les réseaux sociaux et qui, à un moment donné, va se trouver comme mission de détruire quelqu'un qui représente la démocratie", livre-t-elle.

"Ce sont des choses qu'on n'avait pas l'habitude de voir avant"

Marie-Ange Cesari, professeure d'Anglais au collège Arthur Giovoni a, elle aussi, le sentiment qu’aucun territoire n’est désormais à l’abri d’une potentielle attaque. "Il est de notre devoir d'être là pour manifester notre soutien à cet enseignant qui se donnait corps et âme pour ses élèves. Mais je suis aussi présente à titre personnel, en tant que maman, parce qu’on a peur pour nos enfants parfois, et on se dit que ça peut arriver à n'importe qui et n'importe où", estime-t-elle.

L’enseignante juge que l’île est pour l’heure, "plus ou moins préservée, mais on est confrontés à des petits signes, insidieusement. On a l'impression que ça arrive toujours avec un petit peu de retard ici. On a, par exemple, des gamines qui, lorsqu'elles passent les grilles de l'établissement, se mettent un voile sur la tête, ce sont des choses qu'on n'avait pas l'habitude de voir avant", anlyse-t-elle.

Avant de conclure : "Personne n'est à l'abri, le monde devient fou. On ne peut pas dire que ça n'arrivera jamais chez nous, ça peut arriver, oui."

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