Assassinat d’Yvan Colonna : Franck Elong Abé revient sur ses déclarations

Dans un courrier rédigé le 14 février et versé au dossier d’instruction, l’homme mis en examen pour l’assassinat d’Yvan Colonna revient sur sa position initiale. Il dit avoir été manipulé et pointe notamment le rôle de la DGSI et de l’État. La lettre oscille entre propos structurés et d'autres plus confus.

Le courrier est daté du 14 février. Il est signé de la main de Franck Elong Abé, l’homme mis en examen pour l’assassinat d’Yvan Colonna. La juge d'instruction antiterroriste en charge de l’enquête a décidé de verser cette lettre au dossier dix jours après sa rédaction.

Dans ce courrier de quatre pages - que France 3 Corse a pu consulter - adressé à la magistrate, le détenu, fiché S, dit "avoir été victime de manipulations" et affirme avoir agi contre la promesse "d’une grosse somme d’argent".

Selon ses dires, "100 000 euros par année de prison" lui auraient été proposés pour agir. Une somme d’argent qu’il dit ne pas avoir perçue.

Si Franck Elong Abé ne nomme pas expressément des commanditaires qui lui auraient demandé d’agir, il pointe cependant dans le texte la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) ainsi que l’État.

"Ils se sont servis de moi comme d’un abruti", écrit-il. Il évoque "des manipulateurs", et "des stratèges de la DGSI".

Le démenti du ministère

Contacté par téléphone par France Télévisions, le ministère de l’Intérieur, via son porte-parole Camille Chaize, indique : "Ces allégations sont totalement fausses et sont sans fondement. Les services du ministère de l'Intérieur ne commanditent pas d'assassinat ni d'agression contre qui que ce soit. Ce ne sont pas des pratiques qui existent. Une procédure judiciaire est actuellement en cours sur ce sujet."

Également sollicité ce mercredi 20 mars, le Parquet national antiterroriste (Pnat), en charge de l’enquête sur la mort d’Yvan Colonna, ne dément pas l'envoi de cette lettre mais "ne souhaite pas réagir" sur le sujet, faisant valoir "le secret de l'information judiciaire".

À ce jour, Franck Elong Abé, incarcéré à la prison de la Santé, n’a plus d’avocat constitué dans cette affaire. Aucune réaction n’a pu être sollicitée du côté de cette partie-là.

La défense monte au créneau

Du côté de la famille Colonna, les avocats ont déjà réagi.

Maîtres Dominique Paolini (qui représente le frère et les parents d'Yvan Colonna) et Anna Maria Sollacaro (conseil de la soeur d'Yvan Colonna) "confirment avoir appris l’existence de cette pièce". Ils ajoutent : "Même s’il convient de la prendre avec prudence, elle constitue un nouvel élément majeur puisqu’il a été choisi de la verser au dossier."

"Nous avons fait le choix de demander à Madame le Juge d’Instruction d’entendre Monsieur Elong Abé en présence des avocats de la partie civile que nous représentons, afin qu’il éclaire la famille sur les propos tenus dans cette correspondance", indiquent les deux avocats dans un communiqué commun.

Pour Maître Jean-François Casalta, qui défend la veuve d'Yvan Colonna, ce courrier "constitue un élément important et un fait nouveau dans le dossier qui nécessite de pousser plus loin les investigations dans ce sens".

Des doutes et des questions

En charge de l’enquête pour "assassinat en relation avec une entreprise terroriste", le Parquet national antiterroriste s'était saisi du dossier. Lors d’une conférence de presse, le procureur antiterroriste avait évoqué la piste d’un acte à caractère terroriste "résultant d'une conception religieuse extrémiste" et perpétré par un homme ayant "un parcours djihadiste". Cette hypothèse est corroborée par l'analyse des faits selon le PNAT.

Désormais, plusieurs questions se posent : les déclarations tardives de Franck Elong Abé sont-elles crédibles et fondées ? Sont-elles motivées par la volonté de faire éclater la vérité ou relèvent-elles d’une stratégie de défense visant à amoindrir sa responsabilité ?

Sont-elles celles d’un homme qui tente de s’en sortir, de minorer son rôle et donc sa peine ? Ou alors de ne pas être jugé comme un terroriste en affirmant avoir agi, désormais, sur ordres et en reprenant des accusations que l’on a pu entendre très tôt dans le débat public et en marge de la commission d’enquête parlementaire depuis le début de l’affaire : celles d’un assassinat qui aurait été commandité par les services de l'Etat

Ces accusations sont aussi celles d’un homme dont le discernement a été jugé altéré par les expertises psychologiques mais pas aboli. Y a-t-il une volonté de se mettre en lumière et de semer le trouble ?

On peut noter que le courrier de Franck Elong Abé alterne entre des propos structurés et d'autres plus confus.

Enfin, la rédaction de cette lettre a-t-elle été effectuée par Franck Elong Abé de sa propre initiative ou lui a-t-elle été suggérée ?

Il appartiendra à l’instruction en cours, et sans doute au procès à venir, de faire toute la lumière sur ces nouvelles déclarations et leur degré de crédibilité. Un procès au cours duquel Franck Elong Abé promet - dans sa lettre - de "tout déballer".

Ce courrier constitue un revirement avec les déclarations initiales de l’homme mis en examen, même si cela peut être fréquent dans un dossier criminel. 

Il intervient deux ans quasiment jour pour jour après la mort d’Yvan Colonna. Ce nouveau rebondissement ne manquera pas de susciter des réactions politiques en plein processus de discussion entre Paris et la Corse pour le statut d’autonomie.

Le reportage de Paul Salort :

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Intervenants : Me Jean-François Casalta, avocat des parties civiles ; Me Dominique Paolini, avocat des parties civiles ; Me Anna Maria Sollacaro, avocate des parties civiles. ©P. SALORT / FTV

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