"Cliver, ce n'est pas quelque chose de négatif"

Entretien avec Caroline Poggi, qui vient de passer au long-métrage après plusieurs courts salués dans les festivals du monde entier, avec l'hypnotique Jessica Forever

- Comment on vit la sortie nationale de son premier film, à 29 ans? Ce doit être terriblement stressant...
- Pour nous c'est un peu particulier. Le film est terminé depuis près d'un an, et on a écumé les festivals pendant des mois, on l'a porté, pour le présenter à Toronto, à Berlin, en avant-première à travers la France.
Alors c'est plutôt un soulagement qu'un stress, on a envie de le lâcher maintenant, c'était éreintant de conserver toute cette énergie.
On s'en libère, en fait. C'est comme un accouchement (sourire).

- Une année d'attente, c'est aussi le risque de douter, de se demander si on a fait les bons choix, si on n'a pas été trop radicaux...
- Pas vraiment. En fait ca m'a permis de faire une introspection sur mon travail, comprendre ce que je faisais et pourquoi je le faisais.
Ou plutôt pourquoi on le faisait, avec Jonathan, le co-réalisateur, avec qui je travaille depuis des années.
On est dans un processus très instinctif, très spontané.
On réfléchit en général à la forme, à pourquoi les choses se sont agencées de telle ou telle manière a posteriori. 
 
 
- C'est difficile à croire, tant Jessica Forever semble mûrement pensé...
- Bizarrement, pas tant que cela. 
On ne théorise pas, on laisse parler nos influences. On a grandi entourés d'écrans, ce sont des choses qui nous constituent, on a pas besoin d'y penser. 
Par exemple on nous demande souvent comment on a conçu tel ou tel plan, tel ou tel cadre... Mais c'est juste le mélange d'énormément de choses, de la facon centrale dont sont cadrés les héros de jeux videos aux souvenirs des photos de famille...
On se concentre sur l'histoire et on se laisse envahir par les sensations. C'est ça qui dicte nos choix. 
 

En fait on s'est emparé des codes de notre génération pour les déplacer dans quelque chose de bien plus intemporel



- Mais vous aviez quand même conscience que vos choix allaient provoquer des réactions pas franchement tièdes...
- Pas vraiment! Quand on l'a commencé on avait l'impression de faire un blockbuster! On était sûrs de ça, et on avait envie de ça!
C'est quand on l'a présenté au public qu'on a changé d'avis (sourire)
La première fois, à Toronto, on a vu que le film était très clivant, qu'il provoquait des réactions diamétralement opposées. 
 

- C'était un peu naïf, non?
- Bon, je m'en doutais un peu pendant qu'on le faisait...Je savais que certaines choses allaient heurter. 
Mais on a pas fait Jessica Forever pour provoquer! C'est juste quelque chose que l'on partage avec le public de notre perception du monde dans lequel on vit.
Et puis, cliver, je vois pas ça comme quelque chose de négatif. 
Surtout quand, comme Jonathan et moi, on est dans la recherche et dans l'expérimentation. 
Moi je vis le cinéma comme une expérimentation. Et dans le court-métrage, on a tendance à pardonner ces expérimentations.
Voire à les encourager. 
Dans le long certainement pas. Il faut produire un truc clair, propre, parfait...
Et moi j'ai toujours eu envie de continuer à chercher, quitte à prendre des risques.

- Vous y teniez, à ne fournir aucune explication au spectateur?
- On voulait faire un film universel. le sujet de Jessica Forever, c'est "A-t-on encore le droit d'être un être humain aujourd'hui?"
C'est tout.
Si on raconte d'où les orphelins viennent, ce qu'ils ont fait, et pourquoi, on fait un autre film. On le cloisonne, c'est hyper-rassurant pour le spectateur, c'est concret, mais nous on ne veut pas de ça. 
On ne veut pas dire au spectateur ce qu'il doit penser. 
On veut lui laisser la place d'exister, dans notre film. D'y mettre de lui-même. 
 

Retrouvez notre critique de Jessica Forever ici.
 
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