Corse : comment la start-up GoodBarber s’est imposée sur le marché international

Fondée à Ajaccio il y a une dizaine d’années, la société Goodbarber est spécialisée dans la création d’applications mobiles. Un produit que la start-up insulaire vend surtout sur le marché mondial, où l’entreprise réalise 80% de son chiffre d’affaires.

Miser sur l’international. C'est le pari qu’a fait Sébastien Simoni avec Goodbarber. La société qu’il a cofondée en 2011 à Ajaccio fait aujourd’hui partie des "App builders" les plus en vue sur le marché mondial. 

Elle permet à l'utilisateur de confectionner soi-même sa propre application sur son smartphone, sans être un génie de l’informatique et avoir besoin de se plonger dans les méandres du codage.

"C’est un générateur d’applications mobiles pour IPhone et Android, indique Sébastien Simoni. Ce sont des logiciels "no code" qui permettent de créer des applications sans avoir recours à un code informatique."

Installé à Ajaccio, dans les locaux de l’espace de coworking CampusPlex - que Sébastien Simoni a également cofondé en 2009 -, Goodbarber est née de la fusion de deux start-up : "On a fusionné Webzine Maker et DuoApps pour développer le produit Goodbarber", précise le chef d’entreprise âgé de 53 ans.

À leur création, les 2 sociétés avaient obtenu deux récompenses, remportant notamment le concours national de la création d’entreprise innovante.

Aujourd’hui, avec un chiffre d’affaires annuel d’environ 4 millions d’euros, la start-up corse a su s’imposer sur un marché international concurrentiel, "tout en surmontant certaines contraintes liées à l’insularité", dixit Sébastien Simoni qui a répondu aux questions de France 3 Corse.

France 3 Corse : Un article récemment paru dans Les Échos souligne le fait que "GoodBarber revendique être dans le top 5 mondial des "App builders"". À quelle place exacte vous situez-vous ?

Sébastien Simoni : Nous sommes les leaders en Europe sur le marché des "App builders". Au niveau mondial, on ne connaît pas parfaitement les chiffres des concurrents, mais on se situerait entre la troisième et la cinquième place sur ce petit marché qui représente environ 200 sociétés et une centaine de millions dollars à travers le monde.

Le marché français ne représente que 20% de votre activité. Tout le reste se fait donc à l’international. Pourquoi ?

On a tout de suite décidé que notre produit serait international. On a donc mis en place une stratégie dans ce sens-là.  Au départ, on avait assez peu de moyens. On s'était donné 6 mois par pays pour les tester. On avait d’ailleurs recruté par le biais d'un programme européen qui s'appelait Eurodyssée. On avait fixé un budget de pub. On s’était dit que si on arrivait à tel objectif avec notre produit, on continuait. Si on voyait que ce n’était pas bon, on arrêtait. On a donc testé comme ça plein de produits dans beaucoup de pays. Il y a des endroits où l’on s’est cassé les dents. Notamment en Allemagne où on a mis beaucoup de temps avant de percer. À l’inverse, ça a pas mal pris aux États-Unis où, malgré la concurrence, nous sommes parvenus à nous différencier.

Pourquoi avez-vous décidé de miser sur l’international ?

C’était intentionnel dès le départ. La Corse représente un tout petit marché où il est très difficile de faire une société de service. Si on avait été localisé en région parisienne, on aurait peut-être fait différemment. En Corse, cela paraissait plus logique et plus évident de faire un produit et d'essayer de le vendre à l'export. Webzine Maker, notre première société, avait cette logique-là, mais on avait le regret de n’avoir performé que dans une cinquantaine de pays uniquement francophones. Du coup, quand on a lancé GoodBarber, il y a eu toute une stratégie pour décliner le produit sur six espaces linguistiques. Actuellement, nous sommes présents dans 152 pays, essentiellement en Amérique du Nord, du Sud, en Europe et en Afrique.

Comment gagnez-vous ces marchés ?

Notre moteur d'acquisition, c’est le marketing digital. On achète donc des campagnes un peu partout dans le monde, sur les moteurs de recherche. Il y a aussi une part de localisation du produit, c’est-à-dire de la traduction, du marketing. Ce qui a nécessité d’avoir des gens de différentes nationalités qui travaillent pour GoodBarber afin de pouvoir communiquer sur les marchés qui nous intéressaient. Après, sur le produit en lui-même, il y a quelques adaptations suivant les continents. Par exemple, les systèmes de paiement ne sont pas forcément les mêmes en Europe qu'en Amérique du Sud. Tout cela nécessite donc de la localisation mais globalement le produit est le même. 

Est-ce pour cette raison que vous avez ouvert des bureaux au Portugal et aux États-Unis ?

Oui. Au Portugal, au début, nous étions à Lisbonne. Ensuite, nous nous sommes installés à Coimbra, qui est une ville universitaire où l’on trouve beaucoup de ressources de qualité. Dix  personnes travaillent actuellement là-bas. Nous sommes aussi implantés aux États-Unis, sur la Côte Est, à New York, avec trois ingénieurs. Pour des raisons de support commercial, il était utile pour nous d’être présents sur un autre fuseau horaire. Avec le Covid, le télétravail s’est beaucoup développé. Notre dernière recrue travaille d’ailleurs de cette manière-là depuis Chicago.

Ici, à Ajaccio, GoodBarber emploie une quarantaine de personnes, dont certaines viennent de l’étranger. Une volonté ou une nécessité ?

Un peu les deux. On avait d'abord comme politique d'essayer de faire venir notamment des Italiens, des Espagnols, des Allemands. Ça s’est très bien passé. Mais ce sont souvent des gens qui habitent dans des grandes villes et ils ont parfois un peu de mal à se faire à la vie ici. Cela est notamment dû au fait que les coûts des transports sont très prohibitifs et que les temps de trajet simplement pour retouner en Italie ou en Espagne depuis la Corse sont longs. Ils ne peuvent donc pas rentrés chez eux aussi souvent qu’ils le souhaiteraient. Ce sont des coûts qui peuvent être parfois insurmontables.

Vous avez commencé vos études à Corte. L’Université de Corse, où se trouve notamment l’École d’ingénieurs Paoli Tech, est-elle pourvoyeuse de futures recrues pour votre entreprise ?

Il y a eu plusieurs phases à l’Université : dans les années 2000 à 2007, il y a eu pas mal d'effectifs en informatique. Des choix avaient été faits et étaient assez précurseurs pour l'époque. Après, on a connu un passage à vide où les effectifs se sont un peu effondrés. Là, depuis quelques années, notamment avec le buzz autour des start-up, vers 2015, les effectifs sont remontés. Il y a donc plus de monde maintenant, ce qui marque un retour en grâce du numérique et du digital.

Plusieurs de nos ingénieurs donnent d’ailleurs des cours à Corte et on les incite à le faire. C’est normal et un juste retour des choses. Cela nous permet aussi de connaître les nouvelles générations. On le fait aussi avec l’entreprise Aflokkat qui forme pas mal de gens dans le digital.

Globalement, en Corse, depuis 5 ans, il y a un développement des formations digitales. La Collectivité de Corse participe à leur financement. C’est très bien mais il faudrait faire encore un peu plus et un peu plus vite.

Les formations sont-elles suffisantes pour votre secteur d’activité ?

Je pense surtout qu’il n’y a pas assez de gens qui font des formations technologiques en Corse.  Après, il faut rappeler que l’Université de Corse a une mission très large. Ce n’est pas une fac spécialisée dans la "Tech". La France a un retard de 10 points sur l’Allemagne dans les formations technologiques ; c’est un gros problème quand on veut jouer un rôle dans la troisième révolution industrielle. Cela n’a pas toujours été le cas.

À Corte, l’informatique est un département parmi d’autres. Ils ont fait des choix de troncs communs scientifiques avec une spécialisation à partir de la troisième année. Les gens qui sortent du bac et qui veulent faire du codage de suite sont donc un peu bloqués. Mais je crois que c’est un peu en train de changer aujourd’hui. Il y a un progrès, c’est certain, mais on peut faire encore beaucoup mieux en mettant davantage de moyens, notamment en matière de politique fiscale concernant la recherche et le développement.

 Selon vous, il y aurait donc la place de créer un véritable secteur digital en Corse ?

J’en suis assez persuadé, et ce même si on a une petite démographie. Sans faire de l’île un lieu où il n’y aurait que des start-up, car il y a un équilibre à trouver, je pense qu’il est indispensable pour la Corse d’avoir un secteur "Tech" à développer qui soit équivalent à celui d’autres territoires. Malgré tout, on fait partie des régions du monde les plus développées, mais il y a cette anomalie où on a peu d’entreprises "Tech".

Au départ, quand on a débuté, il y a des écueils qu’on avait sous-estimés, notamment le fait de trouver les ressources humaines dans un petit territoire. Mais on a réussi à trouver des gens de très bonne qualité. Je pense que ce qui a été créé dans le digital en Corse ces 20 dernières années, c'est à dire ce noyau de 300 ou 400 personnes, représente quelque chose de très important, qui a de la valeur. Potentiellement, il peut naître de ce noyau des entreprises qui pourraient avoir un succès fulgurant et plus large.

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