À 88 ans, Paco Guirao est le dernier charpentier de marine de Bonifacio. Il coule une retraite bien méritée. S’il a bien transmis son savoir-faire à ses fils, plus aucun bateau en bois ne sort de l'atelier familial, faute de demande.
Paco n'a jamais cessé de chanter les airs andalous de son enfance en travaillant. Sa vocation de charpentier de marine lui est venue tout jeune. Tout commence à Cadix en Espagne, lorsqu'il joue un jour au bord de l'eau avec une planche.
« J’entends crier : ‘Voyou viens ici ! Viens ici ! Qu’est-ce que tu fais avec cette planche ?’ Il me prend par l’oreille. Il me dit : ‘Tu ne sais pas ce que c’est que cette planche ?’ Je lui dis : ‘Non, je l’ai trouvé comme ça’. Il me dit : ‘Viens ici, je vais te montrer à quoi elle sert.’ Il était en train de réparer une barque. Le lendemain, matin, j’y suis allé. Il m’a dit : ’Qu’est-ce que tu fais là ?’ Je lui ai répondu : ‘Rien, je viens travailler.’ Et voilà, j’ai commencé à 14 ans », livre-t-il.
À 88 ans, Paco est aujourd'hui à la retraite, mais il ne peut s'empêcher de s’affairer dans l’atelier familial. En 2008, il n'y a pas si longtemps, il a complètement rénové un chalutier pour en faire un bateau de plaisance.
Le résultat est un véritable travail d'orfèvre. « Pour le métier de charpentier, surtout quand on construit des bateaux, l’œil compte beaucoup. Il faut avoir le coup d’œil », insiste Paco.
« Les bateaux que j’ai faits sont comme mes enfants »
Le Santa Lucia a aujourd'hui coulé. Mais dans le port de Bonifacio, il reste un autre Santa Lucia, un petit bateau de pêche fabriqué par Paco dans les années 1980. Un marin l'a racheté à son ancien propriétaire.
Il a effectué lui-même toutes les rénovations. « Ça ne peut que faire plaisir. Ce sont les derniers bateaux fait à Bonifacio. De lui rallonger la vie et de le garder encore pour commencer la mienne, puisque je commence à pêcher à mon compte avec, ce ne sont que des bonnes choses », soutient Ghjuvanni Albertini, marin. « Pour moi les bateaux en bois, surtout les bateaux que j’ai fait moi, ce sont comme des enfants », sourit Paco, heureux que le Santa Lucia, longtemps abandonné, ait repris vie.
Paco travaille d'abord comme charpentier de marine à Barcelone, puis à Marseille. Il arrive à Bonifacio en 1972 avec sa famille. D'abord employé, il s'installe finalement à son compte. Son atelier se situe sur le port. « Je pense souvent quand on avait l’atelier là, il y avait les enfants, on faisait les bateaux. Il y avait du monde, des pêcheurs », se souvient-il.
« Le bois ça n’intéresse plus »
L'entreprise familiale sera obligée de quitter le port en 2004. Les fils ont bien essayé de prendre la relève, mais les commandes se sont raréfiées. Outre cette barque, que Paco a réalisée par plaisir, aucun autre bateau n'est sorti du nouvel atelier. « Maintenant, c’est difficile. Il n’y a pas beaucoup de travail. Maintenant le bois ça n’intéresse plus. Tout est en plastique, en PVC. Il y a de moins en moins de travail », regrette Paco.
Les dernières rénovations remontent à la fin des années 2000. L'entreprise ne subsiste aujourd’hui que grâce à des travaux de menuiserie. « C’est très dur parce qu’actuellement les bateaux en bois sont en voie de disparition. C’est énormément d’entretien, ce n’est pas comme un bateau en plastique ou en aluminium, où on le sort, on met un coup de casher, on lui fait la peinture et on le remet à l’eau. Un bateau en bois demande beaucoup plus d’entretien. Il faut tous les cinq ou six ans le décaper complètement pour le repeindre et il y a toujours des pièces à changer. Je pense que c’est la dernière génération de charpentier qui va s’arrêter. Du moins à Bonifacio, on était les seuls », confie le fils de Paco Guirao.
Car le petit-fils de Paco n'envisage pas non plus de prendre la relève. Avec la retraite du charpentier de marine, c'est tout un savoir-faire qui est destiné à s'éteindre.