Si, dans l'île, mai 68 n'a pas connu l'effervescence continentale, notamment en ce qui concerne la révolte étudiante, un élan de liberté a néanmoins soufflé sur la jeunesse. Dans le domaine social, le rapport de force avec l'Etat a eu des conséquences, autrement plus significatives.
Mars 1968. Quand Alain Peyrefitte, éphémère ministre de l'Education Nationale, inaugure le collège des Padules à Ajaccio, nous sommes toujours dans l'ancien monde, celui des blouses roses pour les filles, grises pour les garçons dont quelques-uns viennent de faire une timide entrée au lycée de jeunes filles Laetitia Bonaparte.
Discipline de fer, punitions, aucun dialogue professeur-élève, interdiction même d'être gaucher, voilà pour l'état des lieux. Mais en quelques semaines, les uns après les autres, tous les verrous vont sauter. Les jeunes ne veulent plus de cette société autoritaire, moraliste, capitaliste : une révolte dont juste, une légère brise, va souffler sur quelques groupes de lycéens insulaires.
"Mais notre véritable fond de pensée, ce n'était pas le Grand Soir, la révolution, c'était de pouvoir embrasser les filles!"On était obligatoirement imprégné par ce qui se passait ailleurs, moi j'étais rouquin à l'époque, on m'a vite appelé Pierrot le Rouge, à cause de Dany le Rouge, parce que j'étais avec mes amis à l'initiative de petits troubles, se souvient Pierre-Paul Carette, élève de 1ère ES en 1968 (Lycée Laetitia).
Mai 68, la révolte s'amplifie. Après les étudiants, ce sont les ouvriers puis toutes les catégories de population qui se retrouvent dans la rue. Rien de comparable en Corse, surtout côté lycéens. Sous la houlette d'une poignée d'enseignants gauchistes, c'est de manière très convenable, qu'on continue à revendiquer.
Côté syndical et social, le bras de fer avec l'Etat va connaître son apogée avec dix millions de grévistes. Dans l'île, de nombreuses entreprises prennent le relais. Avec le blocage des ports, un bateau spécial ravitaille la population dans ce rapport de force avec l'Etat où des négociations importantes se jouent à Paris avec les syndicats.
Si la révolution n'a pas eu lieu, les accords de Grenelle revoient à la hausse le salaire minimum avec d'autres acquis.
"Et puis il y a eu qu'on le veuille ou non, le fait que les sections syndicales ont été créées au niveau des entreprises de plus de 50 salariés"On travaillait 8 heures et demi par jour, 6 jours par semaine. De 49 heures, on est passé à 45 et après à 40 heures, raconte Joachim Biggi, ancien Cadre EDF en Corse, ancien Secrétaire Général CGT.
Monde solidaire et fraternel, la dignité au travail, telle fût, entre autres, la dimension symbolique de mai 68, sans oublier la critique de la société de consommation, des aspirations qu'avaient fini par entendre le général De Gaulle et qui résonnent encore, cinquante ans plus tard.